C'est le site internet de Libération qui nous l'apprend : Bussereau et Woerth déraillent sur 13 milliards ! (par CATHERINE MAUSSION)

LE CONTEXTE
Lundi, Réseau Ferré de France (RFF, propriétaire du réseau ferré) a signé avec l'Etat son premier contrat de performance (2008-2012), dont l'objectif central est d'investir massivement sur la rénovation du réseau (des opérations lourdes, par opposition à l'entretien courant de l'infrastructure). Une signature médiatisée, qui est notamment censée apporter une réponse à l'audit réalisé en 2005, lequel avait pointé l'état inquiétant des voies ferrées en France, faute de moyens alloués.

LA PHRASE
«Au total, l'Etat consacrera 13 milliards d'euros à la rénovation de l'infrastructure entre 2008 et 2015», s'est félicité Dominique Bussereau, le ministre des transports. «Il s'agit d'un effort absolument sans précédent», a surenchéri Eric Woerth, le ministre du Budget, accompagné du ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo.

LES FAITS
Belle opération de communication que ce gros paquet d'euros pour rénover un rail en décrépitude. A croire que l'Etat, si pingre à son habitude, si soucieux de ne pas exploser son budget, va largement ouvrir les cordons de sa bourse pour venir au secours du réseau ferré.
Mais de quelle poche vont vraiment sortir les 13 milliards d'euros ? De celle de l'Etat ou de la poche d'autres contributeurs comme, par exemple, la SNCF ?
La réponse est écrite en creux dans le contrat de performance (2008-2012) signé lundi. Et que dit ce contrat ? Certes, l'Etat s'engage d'ici 2015 à ce que 13 milliards d'euros soient injectés pour rénover le réseau. Mieux, il n'a pas exclu que ce chiffre monte jusqu'à 14 milliards. Mais l'Etat se garde bien de chiffrer année après année le chèque qu’il envisage de signer lui-même pour financer les travaux. Son obole viendra après les efforts que feront les uns et les autres. C'est un peu «aide-toi et le ciel t'aidera».
Reprenons les termes du contrat : Le «plan d'affaires» est clair. Aujourd'hui, l'Etat consacre autour d'un milliard d'euros à la rénovation lourde du réseau. Demain, si l'on en croit le «plan d'affaires», les sommes vont grimper progressivement: 1,09 milliard en 2008, 1,4 milliard en 2009... 1,7 milliard en 2012. Et si l'on ajoute à cet effort les années jusqu'à 2015, on atteint effectivement le montant annoncé de 13 milliards. Woerth aurait donc raison.
Sauf que l'Etat n'a pas l'intention d'augmenter son effort.

Aujourd'hui, la contribution de l'Etat à RFF se fait via diverses subventions. Elles se montent à 2,5 milliards. Et il n'est pas prévu de le relever. Qui va payer, alors ?
L'Etat mise d'abord sur des gains de productivité. RFF disposera chaque année d'une enveloppe fixée dans le contrat, pour ses charges courantes (entretien des voies et gestion de la circulation des trains...). Et ce budget reste résolument calé autour de 3 milliards d'euros. RFF va donc devoir se débrouiller pour que ses charges d'entretien ne dérapent pas. Effort identique de productivité pour les travaux lourds de rénovation. Le contrat avance même un chiffre: 15 % de productivité sur ces travaux de remise à neuf du réseau, mais sans que l'on sache si c'est un objectif pour tout de suite ou sur la durée du plan...
In fine, comme RFF soustraite les travaux (rénovation, entretien, gestion de la circulation des trains...) à la SNCF qui dispose des personnels, c'est sur cette dernière que pèsera pour beaucoup l'effort. Un changement de braquet radical par rapport aux années passées.
La seconde «embrouille» de l'Etat se situe du côté des recettes. La première ressource de RFF, ce sont les péages. Ils sont acquittés par la SNCF (et demain très progressivement par les opérateurs privés, à mesure de la montée en puissance des concurrents). Jusqu'à présent, les péages couvraient grosso modo les seules charges courantes d'entretien et d'exploitation. Ainsi, pour l'année 2009, les tableaux publiés dans le contrat de performance font état de 3,056 milliards d'euros de recettes tirées des péages et 2,930 milliards de coûts dits «d'infrastructure» (entretien et exploitation).
Mais très vite, les péages devraient s'envoler. Le contrat fixe le rythme de progression : 3,28 milliards d'euros en 2010, 3,78 en 2011, 4 en 2012... L'intention est explicite : les péages doivent financer aussi la rénovation. L'objectif est même chiffré : la part des péages doit passer de 48 % des coûts totaux (charges courantes et rénovation) en 2008, à 60 % en 2012. Ce qui fait dire à la SNCF qu'elle sera le premier contributeur de ce plan de rénovation du réseau. Et ce sera autant de moins à payer pour l'Etat.
Le contrat de performance fait grincer aussi du côté des collectivités territoriales. Depuis la fin des années 90, les régions ont la compétence pour organiser le transport des voyageurs sur les TER. Et elles vont subir l'augmentation des péages sur leurs nouveaux trains. Mais sans bénéficier des investissements de rénovation... qui ne seront pas affectés aux lignes régionales. Martin Malvy, président de Midi-Pyrénées et à la tête d'Avenir Rail – un lieu de réflexion entre élus sur le ferroviaire – a ainsi dénoncé un contrat de performance «qui donne la priorité pour la rénovation aux voies rapides, celles classées de 1 à 6, alors que nos trains régionaux circulent sur des voies classées 7 à 9 !» Malvy dénonce une situation ubuesque : n'attendant pas grand-chose pour la rénovation de ses voies ferrées, il a engagé il y a peu 800 millions de travaux lourds sur la région Midi-Pyrénées (dont 170 millions seulement financés par RFF). Ce qui lui permettra de faire rouler, dit-il, 35 trains supplémentaires en janvier (il exploite déjà 348 liaisons quotidiennes). «Je vais devoir payer plein pot des péages en hausse pour ces nouveaux trains», alors que «c'est moi qui ai financé les travaux !». Comble de l'ironie, «je vais payer plus cher alors que RFF va faire des économies sur l'entretien grâce au réseau que j'ai rénové!»
Au final, l'Etat s'en sort donc à moindre frais. Il se contentera en fait d'apporter ce qui manque. Et «on ne voit pas de signes qu'il augmentera sa contribution», ajoute t-on dans les couloirs de RFF.
Et vous avez dit, monsieur Woerth que ce gros chiffre de 13 milliards, est pour l'Etat «un effort absolument sans précédent!»