En excluant tout débat sur la remise en cause du choix nucléaire, en autorisant la contamination des milieux naturels par les cultures OGM dans une loi préalable, en traitant du seul changement climatique (l’aval du carbone) sans même évoquer la déplétion géologique des énergies fossiles (l’amont du carbone), la loi Grenelle 1 vise le consensus médiatique sur le plus facile en écartant le dissensus politique sur le plus difficile.

Cette loi est-elle infidèle au Grenelle 2007 ? Oui et non…

Oui, le projet initial du gouvernement traduisait en terme juridique une version édulcorée, voire régressive, des 173 engagements adoptés par les parties prenantes il y a un an. Ainsi, par exemple, de l’amendement « Ollier » sur la norme thermique de 50 kWh/m2 /an pour les constructions neuves, infléchie en 80 ou même 120 kWh/m2/an lorsqu’équipées en chauffage électrique. Le lobby nucléaire est satisfait au détriment des ménages modestes qui paieront plus cher leurs factures électriques dans un habitat moins bien isolé. Ainsi encore, de l’abandon du « plafonnement des capacités routières » de la France au profit d’une possibilité d’augmentation des routes pour des raisons « d’engorgement, de sécurité, ou d’intérêt local », formule qui justifiait déjà la bitumisation du pays depuis cinquante ans. De même, l’amendement « Jacob » qui favorise la « valorisation énergétique » n’est qu’une relance des incinérateurs, degré zéro de l’intelligence de traitement des déchets.

Ainsi aussi l’introduction, dans la loi, de l’objectif de recherche d’une « croissance durable », énoncé ridicule tant du point de vue écologique que du point de vue économique et social, au moment où notre pays et le monde affrontent une récession qui sera longue et douloureuse, surtout pour les plus défavorisés, au Nord comme au Sud. Enfin, en refusant de choisir l’indicateur majeur que constitue l’empreinte écologique comme outil d’évaluation des politiques à mettre en œuvre, et en s’en tenant aux illusions de la notion molle de « développement durable », la loi ne franchit pas le saut intellectuel nécessaire pour réaliser la « révolution verte » évoquée par Jean-Louis Borloo. Non, Monsieur Borloo, chaque amendement voté n’a pas constitué « une avancée ». Certains sont de sérieux reculs par rapport aux engagements du Grenelle.

Mais cette loi n’est pas rien. Les parties prenantes du Grenelle s’étaient entendues sur un compromis. Ce compromis est dans la loi, peu ou prou. Dans bien des domaines (bâtiments, transports, biodiversité, déchets, gouvernance…), il sera désormais plus difficile aux productivistes économiques et politiques de saccager l’environnement comme ils le firent auparavant. Certes, la loi Grenelle 1 est plus lyrique que juridique, plus poétique que contraignante, plus incitative que normative. Mais, tout compte fait, elle reprend une partie des engagements du compromis de l’an dernier. Même le choix de Christian Jacob comme rapporteur fut habile, au sein d’une majorité UMP a priori hostile au projet de Jean-Louis Borloo et Nathalie K-M.

Cependant, il est probable que les investissements énoncés dans le texte soient revus à la baisse par la récession qui commence. Il restera alors du processus Grenelle et de cette loi une sorte de message pédagogique pour changer les comportements individuels et influencer les choix collectifs. Un code de la sobriété par gros temps de récession.

Le putsch avorté de Patrick Ollier

Sur la forme, on ne peut que déplorer le rythme des débats qui a été imposé par le gouvernement et par Patrick Ollier. Les travaux de coélaboration du Grenelle engagés l’an dernier avec les associations, les syndicats, les entreprises et les collectivités, se sont étalés sur une année entière. Comment le gouvernement a-t-il pu croire que les députés viendraient à bout d’un tel texte en quelques séances dans l’hémicycle, morcelées en demi-journées ? Le président Sarkozy avait fait du Grenelle un processus déterminant de sa politique générale. Le projet de loi a été traité hâtivement comme un sujet secondaire. En outre, Patrick Ollier a essayé de passer en force en réécrivant tout le texte à partir de l’article 19, pour faire tomber sans débat tous les amendements de l’opposition ! Un putsch inacceptable qui a conduit les députés Verts à refuser d’examiner les articles 20 et 21 ainsi réécrits. Ollier a finalement cédé et les débats ont heureusement repris normalement à partir de l’article 22.

Les améliorations gagnées par les Verts

Les députés Verts, très engagés dans le processus et dans la loi, ont arraché des votes favorables sur plusieurs des amendements que j’ai défendus en leur nom. Nous pouvons recenser douze avancées significatives introduites par notre action :
1/ Le passage de la part des énergies renouvelables de 20 à 23% respecte les objectifs proposés par l’Union européenne. Par cet amendement, la France rétablie son ambition initiale
2/ Nous avons également fait adopté un amendement portant sur les biomatériaux, ayant étrangement disparu du texte. Nous avons ainsi rétabli l’utilisation renforcée de bois certifiés et de biomatériaux
3/ Il a été accepté que la durée de rénovation des bâtiments publics passe de 10 à 8 ans. Nous avons réussi à amoindrir le retard des bâtiments publics en terme d’émissions de gaz à effet. Ils devraient être tous rénovés et correctement isolés en 2017
4/ Un amendement prévoit de défendre l’objectif communautaire de 120 grammes de dioxyde de carbone / kilomètre d’ici 2012 pour les véhicules neufs. Cet amendement a été également repris par la majorité, mais nous l’avions déposé co-signé des quatre députés Verts
5/ Nous sommes parvenus à faire voter « l’étiquetage énergétique à tous les appareils de grande consommation ». Il s’agit par cet amendement de faire interdire à la vente dans des délais courts les appareils les plus énergivores et d’imposer un régime de veille peu consommateur d’énergie
6/ Dès 2012, les phosphates seront interdits dans tous les produits lessiviels. Les phosphates sont un des principaux responsables de la pollution des eaux en France
7/ Un des nos amendements consistait à inscrire la bio-diversité des semences dans le projet de loi. Il a été voté à l’unanimité
8/ Un de nos grands succès durant les débats est l’adoption de l’amendement portant sur le crédit d’impôt pour les diagnostics énergétiques de toutes les exploitations agricoles. Tracteurs et machines, bâtiments et serres, intrants, devront désormais être évalués. C’est un grand progrès
9/ Grâce à un amendement des députés Verts, les bandes enherbées deviennent un élément constitutif obligatoire de la trame verte et bleue. Elles constituent ainsi officiellement un maillage naturel favorisant la circulation de la biodiversité
10/ Désormais les pollutions marines que constituent le dégazage, les déballastages et l’apparition d’espèces invasives sont mentionnées explicitement dans le texte. La lutte contre ces pollutions sera renforcée
12/ L’écologie deviendra un domaine à part entière dans la formation du personnel des entreprises

Les députés Verts décideront mardi 21 octobre matin de leur choix lors du vote solennel de l’après-midi. Ils tiendront compte de la nouveauté introduite dans les esprits par le processus Grenelle et par certaines parties de la loi. Mais, ils continueront à lutter en seconde lecture pour que ce texte à moitié écolo le devienne beaucoup plus.

Yves COCHET