Ondes de choc entre Paris et les opérateurs

Les négociations sur l’implantation d’antennes relais achoppent, menaçant l’implantation de la 4G dans la capitale.
Par CATHERINE MAUSSION, Libération, 26 avril 2012

Free Mobile interdit d’antennes, et les Parisiens privés de 4G ? On y est presque. Les négociations entre la ville de Paris et les opérateurs télécoms pour limiter l’exposition des habitants aux ondes de téléphonie mobile prennent une vilaine tournure. Le président de la Fédération française des télécoms, Pierre Louette – par ailleurs directeur général adjoint du groupe France Télécom – a adressé le 11 avril à Bertrand Delanoë, le maire de Paris, une lettre de quasi-rupture que Libération s’est procurée. En clair : «Les opérateurs arrivent au bout des avancées qu’ils peuvent consentir.» Et si la mairie de Paris persistait dans son souhait de baisser encore l’exposition aux ondes, cela ne pourrait se faire «sans compromettre gravement la qualité des services et le déploiement des nouvelles
technologies». Bonjour la saturation des réseaux aux heures de pointe et bonne chance à Free Mobile pour planter ses mâts…

Hier, aucune des parties ne souhaitait s’exprimer sur cette lettre. L’annulation de la réunion du 13 avril, dans la foulée du courrier, est à mettre sur le compte «des vacances scolaires», assure-t-on à la ville, et ne serait pas liée à un coup de sang. Que chaque partie veut d’ailleurs éviter : les «discussions doivent reprendre très prochainement», même s’il n’est pas certain qu’elles se concluent par un accord, sous-entend-t-on la ville.

Douille vide. Au centre de la bagarre, une charte, signée en 2003 entre le trio des opérateurs et la mairie de Paris, qui engage«à contenir à 2 volts/mètre (v/m) le niveau moyen d’exposition effective de la population parisienne dans les lieux de vie». Mais, pour la ville de Paris, épaulée par sa composante écologiste, ce seuil n’est plus acceptable. Pour les opérateurs, en revanche, cette limite, à la veille de l’implantation du réseau 4G (très haut débit mobile) doit être relevée. La renégociation de la charte, amorcée en mars 2011, et rompue à l’automne, avait difficilement repris il y a trois mois face la nécessité d’aboutir. La voilà à nouveau menacée.

Pour les opérateurs, l’absence de charte devient un petit calvaire à chaque tentative de planter un mât. Depuis l’été, la ville de Paris a gelé toutes les installations sur les bâtiments publics (caserne de pompiers, HLM…) Et les baux arrivés à expiration – près de 200 - mettent les mâts concernés sous le couperet d’un possible démontage.
«Nous nous sommes portés volontaires pour déposer la première antenne», assure Célia Blauel, élue de la mairie du XIVe, en charge de la téléphonie mobile, et adepte du principe de précaution. Les sites privés sont donc de plus en plus courtisés, notamment par Free Mobile. Mais l’opposition des riverains, soutenus dans leur combat par Priartem ou Robin des toits, deux associations en pointe dans la lutte contre les ondes, est forte.

Illustration au 64, rue de la Santé (Paris, XIVe). La scène se déroule mi-avril à la mairie d’arrondissement. Dans la salle, une vingtaine de résidents, dont une petite poignée d’irréductibles, invectivent Catherine Gabay, l’émissaire de Free Mobile, et Pascal Cherki, le maire d’arrondissement. En cause, l’installation d’une antenne sur un foyer de jeunes travailleurs. La séance de conciliation vire au grand bazar : entre «démonteurs» qui veulent la dépose de l’antenne, et «limiteurs», mobilisés sur l’abaissement du seuil. Puis un homme se poste face à la représentante de Free, une douille vide à la main, et bredouille quelques mots à propos de «chasse au sanglier», avant d’être mis à la porte par les participants… Le vide béant, créé par l’absence de charte, exacerbe les passions. Dans le cas de la rue de la Santé, un avis négatif avait été émis par la mairie de Paris sur une pose d’antenne par Free Mobile. Lequel entend passer outre, comme il en a juridiquement le droit. Un seul impératif s’impose à l’opérateur : que le champ d’ondes ne dépasse pas 41 volts à 61 volts par mètre, en fonction des fréquences utilisées. C’est le seuil
préconisé par l’Organisation mondiale de la santé et celui fixé par l’Europe. Une limite que Free Mobile est très loin d’atteindre.

A la séance de concertation, Catherine Gabay est venue avec son rétroprojecteur et ses mesures. Que disent-elles ? Sur une petite centaine de simulations, soit autant d’adresses, le pic culmine à 2,34 v/m au 81, rue de la Santé à hauteur du 10e étage. Onze mesures
dépassent 1 v/m. Free est donc dans les clous de la réglementation. Son antenne est également compatible avec la charte de la ville de Paris et sa moyenne de 2 v/m sur vingt-quatre heures, ce qui correspond à une valeur pic de 4,6 v/m.

Travaux sensibles. Free, dont la valeur maximum atteint 2,34 v/m, serait donc 100% conforme à la charte. Du moins à l’ancienne charte. Parce que le seuil de 0,6 v/m réclamé aujourd’hui par les associations, et considéré comme le chiffre cible à atteindre selon un vœu adopté par le Conseil de Paris, est autrement plus sévère. Et il ne s’agit plus d’une moyenne, mais d’une valeur maximum. A cette aune-là, Free balance quatre fois trop d’ondes.

Pour se représenter le fossé qui sépare les exigences des uns et des autres, il suffit de se rapporter au courrier des opérateurs à Bertrand Delanoë. Leur dernière proposition, c’est «5,5 v/m d’exposition maximale aux antennes 2G et 3G dans les lieux de vie fermés, en contrepartie d’une démarche […] de concertation renforcée». Et même, 7,5 v/m en incluant la 4G. Douze fois plus que le 0,6 v/m prôné par les élus Europe Ecologie-les Verts à la ville de Paris, seuil qu’ils ont fait adopter dans leur motion.

Pendant ce temps, d’autres travaux sensibles tardent à être publiés. Et pour cause. Selon les premiers résultats dont Libération a eu connaissance, la limitation à 0,6 v/m dont rêvent les adeptes du principe de précaution, conduirait à multiplier par deux, voire par trois le nombre d’antennes. La facture pour les opérateurs serait alors de plusieurs milliards d’euros…

Ces travaux, menés dans la continuité du Grenelle des ondes, lancé en 2009 par le gouvernement pour mettre un peu de rationalité dans le débat, sont entrés dans la phase expérimentale : «Nous essayons de simuler une reconfiguration du réseau actuel de façon à respecter la barre des 0,6 v/m», précise un participant au Copic, le comité pilotant ces expérimentations. Et l’affaire semble particulièrement complexe. Sur un quartier du XIVe arrondissement, un des 17 lieux testés et où le travail est le plus avancé, «le ratio auquel nous aboutissons, c’est au moins une multiplication par trois du nombre d’antennes, et nous n’avons pas vérifié si la réception est possible en indoor [à l’intérieur des appartements, ndlr].» La qualité de service n’a pas non plus pu être évaluée. D’où le report à juin des résultats.

Villes réceptives. A la veille du déploiement de la 4G, les opérateurs agitent le retard dont pourrait souffrir Paris, alors que Marseille, Lyon ou Montpellier, villes plus réceptives aux antennes, sont en cours d’équipement. A la mi-février, selon l’état des lieux dressé par Mao Péninou, le «Monsieur antennes» de la ville de Paris, Free avait déposé huit demandes d’implantation sur des bâtiments publics, toutes gelées. Et 74 mâts étaient en cours d’instruction concernant des sites privés. A comparer au millier d’antennes déjà déployées sur la capitale. «Soit on arrive à s’entendre, soit il n’y aura pas de charte», affirmait-on hier à la mairie.