Le lien étroit entre les Français et leurs terroirs fait de l’agriculture un véritable enjeu citoyen. Quelque 81% des citoyens estiment qu’il faut développer en priorité une agriculture de petits exploitants «pour nourrir le mieux possible l’humanité d’ici à 2030», contre 16% qui estiment qu’il faut privilégier une agriculture industrielle (1). En France, l’opportunité de changer de direction va se présenter dans les semaines à venir à l’occasion de la discussion au Parlement du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Cependant, le discours officiel, qui enjoint les agriculteurs français à relever le double défi de «la compétitivité internationale et de l’agro-écologie», fait craindre la poursuite d’une agriculture à deux vitesses : un même produit pour tous, comme le poulet, mais un poulet de qualité pour une minorité, riche, et un poulet de batterie pour les autres, destinés à nos classes populaires et aux pays pauvres.
Pour les écologistes et de nombreuses organisations paysannes, environnementales et citoyennes, ne pas choisir une orientation agricole claire, c’est refuser d’analyser les échecs de la politique de développement par filière de ces cinquante dernières années. Aujourd’hui, c’est de cette politique que sont victimes les paysans et ouvriers en Bretagne. Malgré une production suffisante, les revenus de l’agriculture n’ont profité qu’aux spéculateurs : le nombre d’agriculteurs est en constante diminution, les écosystèmes sont fragilisés, l’accès à l’alimentation, qui plus est à une alimentation de qualité, est loin d’être acquis pour toute la population. Ainsi, sept millions de Français - dont des agriculteurs ! - seraient en droit de recourir à l’aide alimentaire.
Il faut que le choix politique en faveur de la transition vers l’agro-écologie soit assorti d’objectifs clairs et chiffrés en matière de lutte contre l’accaparement et l’artificialisation des terres et des ressources, de refus des OGM et de privatisation du vivant, de soutien à l’agriculture biologique productrice d’emplois et de multiplication des initiatives et alternatives venant du terrain. L’avenir passe notamment par un pouvoir donné aux collectivités locales pour le développement de projets agricoles territoriaux générateurs d’une économie agricole de proximité et d’une politique alimentaire répondant aux besoins des populations.
Nous appelons les élus, les représentants des collectivités territoriales, les associations non gouvernementales de solidarité, les agricultrices et agriculteurs, tous les citoyens, à s’emparer de cet enjeu stratégique crucial. Face aux lobbys et au poids de l’agro-industrie, la voix des citoyens doit être mieux entendue.
Les pouvoirs publics doivent impérieusement mettre en place les conditions de la transition : démocratiser le système de gestion agricole, en y incluant la société civile, offrir aux jeunes les conditions d’un avenir meilleur, par une formation innovante, des fermes transmissibles et un métier porteur de sens , et lier politiques agricoles et alimentaires.
Les enjeux climatiques, écologiques et alimentaires doivent guider les choix économiques, et non l’inverse, en agriculture comme dans les autres secteurs. Seule une réforme courageuse de notre politique agricole et agroalimentaire répondra à ces ambitions. C’est ce que nous attendons du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
José BOVÉ Eurodéputé, François de RUGY Coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, Joël LABBÉ Sénateur du Morbihan et Brigitte ALLAIN Députée de Dordogne