Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne se retrouvent jeudi 14 mars à l'occasion d'un nouveau sommet. Au programme : hausse du chômage et croissance en berne. Face au sentiment anti-européen suscité par la politique de rigueur budgétaire, Pascal Canfin, le ministre du Développement, s'interroge : "Nous préparons aujourd'hui les années 30. Mais quelles années 30 ? Est-ce 1930 : davantage de nationalisme, de fermeture sur soi, d'extrémisme, moins de solidarité et la désintégration de l'euro? Ou est-ce les années 2030 ?" L'ancien eurodéputé, membre d'EuropeEcologie - Les Verts, propose notamment de mettre la Banque centrale européenne au service de la croissance. Interview.
Quel est l'enjeu de ce sommet européen ?
- La politique macro-économique de l'Europe. On constate que les efforts budgétaires mis en œuvre simultanément dans l'ensemble des pays membres provoquent une récession. On se tire une balle dans le pied : l'absence de croissance rend mécaniquement inatteignable les objectifs de réduction des déficits, quelque soit la volonté politique. C'est bien la preuve que le désendettement et la relance de l'économie ne peuvent être opposés. L'Europe doit être réorientée, non pour s'exonérer de la réduction des déficits, mais au contraire pour y parvenir.
Que proposez-vous ?
- La BCE a prêté 1.000 milliards d'euros aux banques européennes fin 2011, pour tenter d'enrayer la crise de confiance du secteur bancaire. Ce qu'elle a fait pour la finance, pourquoi le refuserait-elle pour l'économie réelle ? Je propose que la Banque centrale européenne (BCE) prête 300 milliards d'euros à la Banque européenne d'investissements (BEI). Elle pourrait ainsi financer les investissements nécessaires à la transition écologique : l'isolation des bâtiments, le développement des énergies renouvelables, des transports en commun, etc. Ce sont des sujets qui concernent tous les pays de l'Union européenne.
L'écologie est-elle la priorité en ce moment, compte tenu de la situation sociale ?
- Ces projets créeraient des millions d'emplois, ils relanceraient l'activité partout en Europe, et seraient aussi générateurs de rentrées fiscales pour les Etats. Ils participeraient ainsi à réduire les déficits publics et de plus, ils réduiraient notre dépendance aux importations d'hydrocarbures et au nucléaire. On ne peut relancer l'économie sans investissement, et cela ne peut venir massivement des Etats aujourd'hui.
La définition des missions de la BCE est très stricte...
- La BCE n'a pas le droit de financer l'action d'un Etat de la zone euro en particulier. C'est normal : soutenir un membre plutôt qu'un autre est une décision politique. En revanche, elle pourrait tout à fait financer la Banque européenne d'investissements, car celle-ci finance des projets sur la base de critère objectifs et d’intérêt général européen, sans privilégier un pays par rapport à un autre.
La priorité de la BCE est de lutter contre l'inflation, que la création de monnaie pourrait générer...
- La création de monnaie ne génère pas forcément d'inflation si elle se traduit par la création de richesses. Et quand on voit le chômage actuel, qui fait monter les populismes et menace l'Europe d'implosion, l'inflation n'est vraiment pas le principal problème.
La BEI est une institution de l'Union européenne, la BCE de la zone euro seulement. Sont-elles compatibles ?
- Oui c'est compatible, nous avons besoin d’avancer de manière différenciée. Les institutions européennes doivent s’adapter à la réalité de la zone euro.
Vouloir relancer la croissance semble une évidence, pourquoi certains pays s'y opposent ?
- A cause d'une approche morale qui consiste à dire que certains pays, "qui seraient vertueux", ne doivent pas payer pour les autres, "qui seraient coupables". C’est une logique mortifère.
La France propose-t-elle réellement une réorientation ?
- La France fait le plus de propositions possibles en ce sens. Elle a poussé pour obtenir l'affectation d'un maximum de crédits à la relance de la croissance lors du sommet européen de juin dernier, pour avoir un budget européen le moins mauvais possible. Mais il faut encore convaincre. On ne gagne que les combats que l’on mène.
Défend-elle la proposition des 300 milliards d'euros pour la BEI ?
- Pour l'instant, non. C'est une proposition des Verts, reprise au niveau européen. Mais je vois qu'il y a un risque pour le gouvernement d'une division entre ceux qui ne parlent que d'une réduction des dépenses et d'un objectif de déficit à 3%, et ceux qui ne parlent que d'une réorientation de la politique européenne en critiquant la BCE. Cela pourrait donner l'impression qu'il y a deux discours, alors que ces idées sont parfaitement compatibles : on ne peut réduire réellement les déficits que si l’on réoriente l’Europe.
La lettre de cadrage fixant les objectifs de réduction de dépenses est-elle un souci pour le Développement ?
- Difficile à dire pour l'instant, la discussion ne fait que commencer. Mais cette lettre de cadrage montre que l'on va avoir du mal à réaliser les investissements nécessaires à la transition écologique au niveau national : une très bonne illustration de la nécessaire ré-orientation de la politique européenne. Le gouvernement a fait des choix importants en faveur du Grand Paris ou du numérique, mais il faut un levier plus important, et cela passe par une relance au niveau européen.
Avez-vous le sentiment de pouvoir défendre l'écologie au sein du gouvernement comme vous le souhaitiez ?
- Nous avons choisi une alliance, en partant du principe que pour marquer des buts, il fallait être sur le terrain et non spectateurs dans les tribunes. Nous participons au gouvernement en orientant son action vers la transition écologique. En ce qui me concerne, j'ai rendu cela effectif au ministère du Développement : l'Agence française de développement, troisième banque publique française, a désormais pour priorité, dans le secteur énergétique, les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique dans les pays du sud.
Europe Ecologie – Les Verts restera-t-il au gouvernement tout le long du quinquennat ?
- Nous y sommes sur la base d'un contrat, d'une ambition. Mais il y a, bien sûr, des rendez-vous. La fiscalité écologique dans le budget 2014 : la France a un taux d'imposition écologique faible, comparé à des pays très compétitifs comme le Danemark, l'Allemagne, ou les Pays-Bas. L'autre rendez-vous, c'est le débat sur la transition énergétique, dont les arbitrages doivent être rendus entre juin et septembre prochains.
On voit monter le populisme partout en Europe, est-ce injustifié ?
- Nous préparons aujourd'hui les années 30. Mais quelles années 30 ? Est-ce 1930 : davantage de nationalisme, de fermeture sur soi, d'extrémisme, moins de solidarité et la désintégration de l'euro? Ou est-ce les années 2030, avec une Europe plus solidaire, plus intégrée, qui pèse dans la mondialisation face à la Chine, l'Inde ou le Brésil ? Je me bats pour que ce soit le deuxième scénario qui l’emporte.
(Propos recueillis mercredi 13 mars par Donald Hebert - Le Nouvel Observateur)