Cet automne, la députée de Dordogne Brigitte Allain remettait au ministre Stéphane Le Foll 47 propositions pour développer les circuits courts. Que trouve-t-on dans le rapport et dans le coeur de la députée écologiste ? Interview.
Vous venez de remettre au Ministre en charge de l’agriculture un rapport : « Et si on mangeait local ». Qu’est-ce qu’on trouve dedans ?
Brigitte Allain : Ce rapport parlementaire a pour vocation d’informer les parlementaires de l’état des lieux des circuits courts et de proximité en France. La dynamique est très importante mais souvent méconnue. 20% des producteurs utilisent ce mode de distribution et les innovations fourmillent. Je souhaitais faire rentrer dans l’institution qu’est l’Assemblée nationale, une réflexion sur la relocalisation de l’alimentation et plus globalement de notre économie.
On sait que ce mouvement apporte de nombreux bénéfices. En terme sociaux : on crée de l’emploi et du lien. Sur un plan environnemental, c’est moins de transports et une agriculture plus durable. Enfin, c’est intéressant également d’un point de vue économique : on injecte plus de valeur sur nos territoires. Ce qui signifie une meilleure rétribution pour les agriculteurs, et des retours positifs notamment touristiques.
Vous avez pendant plusieurs mois rencontré les acteurs de terrain, Amaps, Ruches qui dit Oui, marchés de producteurs : quels sont leurs points communs ?
B.A : J’ai rencontré une centaine d’organisations et me suis déplacée dans plusieurs régions de France. Les acteurs que vous citez font partis des acteurs structurant l’offre sur le territoire. Ils se complètent. Certains existent depuis très longtemps comme les marchés de producteurs, d’autres utilisant les nouvelles technologies, comme la Ruche qui Oui !, et enfin les AMAP misent plus sur la fidélité du lien entre agriculteur et consommateur.
6 à 7% des achats alimentaires en France se font par des circuits courts. Quels sont les freins actuels qui empêchent le changement d’échelle et d’arriver à 30 % ? 50% ?
B.A : Depuis plus de cinquante ans, avec la montée en puissance d’une agriculture productiviste et mondialisée, les actes de production et de consommation ont été déconnectés. La politique agricole commune, politique européenne « reine » puisqu’elle ponctionne 40% du budget de l’Union européenne, a entrainé une spécialisation des bassins de productions et encouragé une agriculture exportatrice.
Ainsi l’Ile-de-France est devenue un grenier à céréales, avec de grandes difficultés pour trouver d’autres cultures, et ne parlons même pas d’élevage. La condition numéro 1 pour le changement d’échelle est la diversification de la production. Cette diversification peut être encouragée par une demande accrue en produits bio et locaux, de la part des consommateurs ou de la commande publique par exemple. Ainsi, seul un projet de territoire, concerté et volontariste pourra faire basculer les circuits courts vers un ancrage territorial de l’alimentation à grande échelle. Il sera alors plus facile d’acheter en dehors des supermarchés.
Si vous ne deviez garder que 5 propositions (sur vos 47), quelles seraient-elles ?
B.A : C’est simple ! Je vais vous donner les 5 articles de ma proposition de loi « favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation » !
- Article 1 : Objectif réaliste et ambitieux de 40% de produits de qualité dont 20% de produits bio dans la restauration collective publique à partir de 2020.
- Article 2 : Transformer les plans régionaux d’agriculture durable (PRAD) en plans régionaux d’agriculture et d’alimentation durable, PRAAD. Il s’agit là d’intégrer la politique alimentaire dans les politiques agricoles et d’intégrer les attentes des consommateurs, en leur donnant voix au chapitre.
- Article 3 : Proposer la création d’un observatoire des circuits de proximité. Pour multiplier un modèle, il faut le prouver, le montrer, le chiffrer, le faire savoir.
- Article 4 : Introduire les notions d’alimentation durable et de proximité dans la responsabilité sociale et environnementale des grandes entreprises françaises (RSE)
- Article 5 : Etendre le label « fait maison » aux restaurants collectifs qui le souhaitent. Il s’agit de valoriser un savoir-faire, une qualité, et de rendre plus attractif le métier de cuisinier de cantines, souvent boudé.
La plupart des aides européennes sont calculées selon la taille de l’exploitation. Quelles sont vos propositions pour soutenir les petites fermes qui préservent l’environnement et l’emploi ?
B.A : Je propose de changer la PAC, politique agricole commune, pour une PAAC, politique agricole et alimentaire commune. C’est un travail de longue haleine, mais les nouveaux acteurs intervenants dans le débat agricole, et représentant les consommateurs, les ruraux, ou les paysans favorisent l’émergence de ce débat. Quant au volet social de la PAC, il a été abandonné depuis longtemps en calculant ses aides sur la surface de la ferme et non sur le nombre d’unité de travail crée.
Pour vous la relocalisation de l’alimentation doit être pensée au-delà des circuits courts et de proximité comme un projet de territoire, c’est-à-dire ?
B.A : En effet, il ne s’agit pas seulement de développer les circuits courts mais bien de changer d’échelle en régionalisant les filières agricoles et agro-alimentaires. En Nord-Pas de Calais par Exemple, seulement 10% de la production régionale est vouée à la consommation régionale ! Ainsi le Conseil régional, à travers son vice-président en charge de l’agriculture a lancé une grande consultation « Qu’est-ce qu’on mange demain ? » afin de remettre la gouvernance alimentaire, la discussion entre les acteurs au cœur des décisions des politiques publiques. J’ai ainsi souhaité formaliser cette démarche dans la loi d’avenir article à travers ce que l’on a appelé les « projets alimentaires territoriaux »
Vous souhaitez d’ailleurs lancer un appel à projet « territoires pilote projet alimentaire territorial », de quoi s’agit-il ? Qui peut postuler ?
B.A : Le temps est venu d’engager des politiques publiques qui redonnent de la valeur et du sens à tous les métiers de la chaine alimentaire et ainsi une confiance renouvelée entre la société et les agriculteurs. Prévus dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 (Art 39), les projets alimentaires territoriaux sont élaborés de manière concertée à l’initiative de l’ensemble des acteurs d’un territoire (consommateurs, distributeurs, agriculteurs, élus, Industries agroalimentaires, supermarchés, etc.). Ils s’appuient sur un diagnostic partagé faisant un état des lieux de la production agricole locale et du besoin alimentaire exprimé au niveau d’un bassin de vie ou de consommation, aussi bien en termes de consommation individuelle que de restauration collective.
B.A : Et moi, simple citoyen, quelle place je trouve dans votre projet ?
L’idée est de créer un projet alimentaire ensemble en fixant les objectifs et en s’organisant. La Ruche qui dit Oui ! créé en quelque sorte des « projets alimentaires territoriaux » dans chaque Ruche ! Les citoyens ont toute leur part dans la démocratie alimentaire que nous appelons de nos vœux.
Le rapport est désormais entre les mains de Stéphane Le Foll, comment l’a-t-il accueilli ?
B.A : Je l’ai remis officiellement à Stéphane le Foll le 21 octobre dernier. Le Ministre a tout d’abord salué le travail de terrain. Il a rappelé son engagement pour développer cette orientation novatrice de l’ancrage territorial de l’alimentation. Le déploiement de « Projets alimentaires territoriaux » répond à une demande sociétale. Reconnu comme un support de lien social, il est encouragé par la diffusion des bonnes pratiques. Le Ministre évoque également la nécessaire simplification de l’achat local en restauration collective (guide de l’achat, et rédaction d’appels d’offres), véritable levier de projet de territoire.
Votre rapport va-t-il rester sur un coin de table et prendre la poussière ? Quelles sont les prochaines étapes ?
B.A : Dès le début, j’ai souhaité faire vivre ce rapport, en faisant la transparence sur les auditions que j’ai conduites. Une fois clos, je suis allée le présenter et échanger dans de nombreuses instances. Il a été très bien reçu. La suite, c’est la proposition de loi. Et j’ai fait en sorte que cette proposition de loi ne reste pas lettre morte. Elle sera inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, lors de la « niche » écologiste (seul jour de l’année lors duquel nous pouvons inscrire nos textes), le 14 janvier 2016 ! Je souhaite que ce sujet, porté par les écologistes depuis des années, fasse enfin l’unanimité sur les bancs de la droite et de la gauche !