Le Contrat de Plan Etat-Région 2015-2020. Un document technique fade et figé.

Pour EELV, ce document n’est pas à la hauteur des enjeux pour la Bretagne. Plutôt qu’un contrat  portant de grandes ambitions (énergie, numérique, fonds de garanties pour la réhabilitation des logements, transition énergétique…), le CPER est un plan imposé par l’Etat pour faire financer ses compétences par les régions. Les dossiers d’avenir n’ont pas droit au chapitre. On y recycle le passé. On y détricote la décentralisation et donc la liberté d’action des Régions…

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Guy Hascoët

 

Monsieur le Président,

Si une chose est certaine, c’est que le document qui nous est présenté ne marquera pas l’histoire des CPER. Revenons un peu en arrière et souvenons-nous des dynamiques des premiers contrats de plan, de la somme de travail réalisé en amont, de la mobilisation de toute la société civile.
Aujourd’hui, on nous présente un astre mort, une queue de comète, dont l’élaboration a été gérée sur un plan purement technique, les orientations du CPER étant verrouillées d’avance, dans un contexte où l’argent est rare.
Faut-il rappeler qu’au niveau national, la majorité précédente avait décidé d’asphyxier les collectivités dont elle avait perdu le contrôle et de leur retirer toute autonomie fiscale ? Mais la majorité actuelle  fait-elle guère mieux ? Elle a confirmé, voire accentué la baisse des crédits et ne nous dit toujours rien de ses intentions pour redonner une véritable autonomie et un vrai pouvoir de levée fiscale aux assemblées territoriales.
Dans le même temps, l’État continue de transférer des charges sans les financer à hauteur suffisante et de demande toujours plus aux collectivités de pallier ses carences.

Ce document n’a de contrat de plan que le nom. Vous le dites-vous même dans le rapport, « de génération de contrat en génération de contrat, la part réellement contractuel de l’exercice se [réduit], à cause d’un cadre très contraignant, imposé par les directives nationales. » Et qui dit contrat de plan, dit projets partagés au service des territoires, or, vous le soulignez également, je cite, « les CPER sont […] devenus des canaux de financement des investissements de l’État par les budgets régionaux et locaux. » On voit ainsi les collectivités contraintes à être financeurs majoritaires pour l’entretien des routes nationales.
De même, concernant les universités, alors que leur transfert n’est pas encore voté, que les conditions financières de ce transfert éventuel ne sont pas définies, le document installe ainsi définitivement l’idée que les campus universitaires seront à la charge des Régions. Après de vieux lycées, de vieux trains, l’État s’apprête à transmettre de vieux campus construits hâtivement à une des pires période sur le plan de la qualité constructive, et donc dans un état déplorable pour un certain nombre d’entre eux.
Par contre, quid des projets stratégiques ? Là où la Région a un projet fort, porteur de sens pour l’ avenir,  l’État se dérobe. C’est largement le cas pour le port de Brest. D’ailleurs aucun engagement sérieux n’est pris en matière d’énergies marines.
Nous assistons à un détricotage de la décentralisation : la façade des transferts de compétences de plus en plus nombreux masque mal la reprise en main de l’État du destin des collectivités par un étranglement progressif de leurs capacités de financement et de leur autonomie financière. Comme si l’État reprochait aux collectivités sa propre incurie.

Le document qui nous est proposé manque d’ambition, il se contente en grande partie de financer de l’entretien courant et va même jusqu’à inclure des reconductions de dépenses inscrites dans le précédent CPER et non réalisées. Notons également, à l’instar du CESER, l’absence d’une maquette financière consolidée claire, qui présenterait tous les fonds, notamment européens, engagés sur les politiques présentes dans le CPER.
Je parcourrai ici les trois principaux volets, les volets numérique, emploi et territorial étant réduits à portion congrue et se contentant de reprendre des dispositifs et des politiques déjà en place. Nous regrettons d’ailleurs que le volet numérique n’occupe pas une place plus importante, pour définir une la stratégie numérique régionale en termes de services et d’usages, à la hauteur de l’ambition de l’équipement en fibre optique de tout le territoire.
Je serai très rapide sur le volet enseignement supérieur, recherche et innovation. Où est la grande ambition pour la recherche et l’innovation dont a besoin notre région et notre pays, à l’ère de l’économie de la connaissance ? Plus des trois quarts des financements prévus le sont pour de la rénovation de bâtiments universitaires…

Prenons ensuite le volet Mobilité Multimodale : à l’ouest, rien de nouveau, puisqu’il s’agit de projets que nous connaissons déjà. Contentons-nous de souligner à nouveau que tant pour le ferroviaire que pour le routier, la Région se mue en annexe du ministère des Transports. La seule nouveauté est à chercher du côté de l’inscription du financement de l’enquête publique du projet LNOBPL, alors que le maître d’ouvrage n’a pas encore fait savoir sa décision suite au débat public ! Débat public qui, rappelons-le à largement remis en cause la pertinence du projet
 au CPER. S’il s’agit une énième fois de montrer que les procédures de concertation sont considérées comme du pur formalisme, c’est plutôt réussi. Les citoyennes et citoyens apprécieront. Là où le CPER aurait dû incarner le basculement de programmes d’infrastructure lourds, vers des ambitions d’avenir orientée avant tout vers des politiques d’innovations en termes de services de transports accessibles et bas-carbone, il reste un document de programmation des Ponts-et-Chaussées.

Concernant le volet transition écologique et énergétique, on peut s’interroger : l’État a-t-il réellement une ambition de transition énergétique telle que nous la défendons en Bretagne ? Si nous sommes menacés par le réchauffement, et nous le sommes, alors la transition énergétique devrait être centrale dans ce document programmatique. Cela commencerait par mettre en œuvre toutes les politiques qui permettent de produire une infrastructure régionale bas carbone. Cela signifie accompagner les territoires, leurs acteurs et leurs habitants dans des politiques massives et volontaristes d’efficacité énergétique. Cela supposerait de décrire les mécanismes de diminution des consommations énergétiques et en premier lieu par le traitement du parc de bâtiments et des logements.
Or, il n’est question ici que des aides de l’ANAH concernant l’aide à la réhabilitation de base, pour des familles en précarité énergétique. Ce volet, essentiel socialement, reste modeste au plan de son impact environnemental. Il  est loin, à lui seul, de pouvoir décrire une trajectoire, qui suppose d’aborder d’autre manière, les autres éléments du parc bâti. Où est donc, dans ce CPER, le fonds de garantie régional, susceptible d’être proposé aux intercommunalités et clé de voûte des dispositifs de rénovation énergétique, pour que les banques acceptent de prêts plus longs (20 à 25 ans) ? Ce fonds de garantie est la condition pour permettre aux familles d’engager des travaux nécessaires  pour habiter demain dans des logements BBC ou passifs, voire à énergie positive.

Les régions européennes, pour la France la Région Rhône Alpes,  les plus avancées ont d’ailleurs préfiguré ce type de dispositif en mobilisant y compris des fonds européens en garantie. Cela suppose qu’il en soit fait mention dans les règlements européens des fonds FEDER.

Produire ce nouveau paysage énergétique, suppose aussi de monter en charge les productions des ENR. Or, à cet égard, c’est le vide sidéral. Quand monsieur Sarkozy confirmait non pas un mais deux EPR à dix milliards l’unité (au diable l’avarice), c’étaient quelques modestes 50 M d’euros qui étaient annoncés pour France énergies marines, lesquels mettront quatre années à être mobilisées. Aujourd’hui, AREVA vient de passer 5 milliards d’euros en perte cette année et ce n’est que le début du dévoilement d’un immense échec industriel. Pourtant, aucune volonté n’apparaît pour arrêter ici les frais et détourner les immenses flux financiers qui alimentent le trou noir du nucléaire vers les énergies renouvelables.
Et pour être sûr d’empêcher la filière de l’éolien de se développer,  l’armée installe des contraintes supplémentaires au risque d’aliéner certains parcs prévus, Météo France réclame un nouveau radar, qui si nous le positionnons mal, sera un prétexte demain, comme c’est aujourd’hui le cas à Perpignan, pour stopper le déploiement de parcs éoliens marins. Cela est-il voulu politiquement ou est-ce le fruit d’une ignorance plus qu’inquiétante ?
Quand on préfère enterrer les rapports de l’ADEME sur la possibilité d’une France 100 % énergies renouvelables plutôt que de sortir de l’impasse du nucléaire, il y a de quoi se poser des questions. Espérons que nos ministres soient abonnés à Médiapart, peut-être pourront-il enfin lire ce fameux rapport.

Enfin, notons que le volet agroalimentaire est absent du CPER, car intégré au Pacte d’Avenir. Doit-on se féliciter de la cohérence de ne pas voir un secteur financé sur deux dispositifs, alors que déjà l’argent manque cruellement pour d’autres, où s’interroger sur le fait que cette exclusion du volet agroalimentaire du CPER lui permet d’échapper à une évaluation de l’Autorité environnementale ? Nous reprenons d’ailleurs à notre compte les regrets du CESER sur l’absence d’articulation du CPER avec l’ensemble des grandes politiques régionales.

Ce document de CPER est un vestige de l’époque révolue des projets d’infrastructure et des programmations des ponts et chaussée. Il manque cruellement d’ambition et ne porte aucune vision d’avenir. L’État impose ses choix sans discussions, il transfert des charges tout en ne donnant pas d’éclairage sur le niveau de liberté fiscale des régions en termes de recettes. Cette démarche n’est pas respectueuse de la logique de décentralisation et du fait régional. Aussi nous ne participerons pas à ce vote.

 

 

 

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