Notre débat à Londres sur la loi sur le Renseignement
Le 13 Juin dernier, notre groupe régional a réuni à Londres Laurence Blisson (Secrétaire Générale du Syndicat de la Magistrature), Sergio Coronado (Député EELV de la 2de circonscription des français établis hors de France) et Jean Lambert (Députée Européenne pour le UK Green Party) pour nous parler des débats actuels sur les pratiques des services de Renseignement et leurs effets sur nos libertés.
Nous avions choisi d’appeler cet événement L'Europe post-Charlie Hebdo: vers des dispositifs sécuritaires de plus en plus liberticides?
C’était moins pour marquer une rupture qu’une étape supplémentaire dans la course à la surveillance généralisée, comme les attentats du 11 septembre avaient marqué une orientation sécuritaire des plus attentatoires aux libertés, aux États-Unis mais aussi par effet de ricochet en Europe. Le moment pour ce débat était particulièrement opportun, la loi sur le Renseignement en France ayant fait l'objet de nombreuses controverses.
Votée par le Parlement, puis validée par le Sénat, cette loi est à bien des égards emblématique du tout-sécuritaire. Les attentats de janvier ont sans l’ombre d’un doute accéléré son adoption (la loi était en effet en préparation depuis 2013).
Beaucoup d’experts, mais aussi beaucoup d’acteurs de la société civile, ont déploré les orientations suivies en France, qui limitent les pouvoirs réels des instances de contrôle, alors que beaucoup d’autres démocraties, comme l’Allemagne, la Suède, mais aussi les États-Unis, ont font le mouvement inverse et ont renforcé leurs dispositifs d’encadrement et d’'accountability' des activités de Renseignement.
Comme chacun de nos intervenants l'a rappelé lors de notre rencontre, ce sont des débats importants, qui touchent chacun d’entre nous – l’argument du ‘Je n’ai rien à craindre puisque je n’ai rien à me reprocher’ ne fonctionne pas du tout à l’ère de la surveillance généralisée, lorsque l’on sait par exemple que nos recherches sur google, les personnes avec qui nous discutons sur skype, les posts qu’on met sur Face Book, peuvent potentiellement faire de chacun d’entre nous des suspects.
Sergio Coronado, un des opposants les plus fermes à la loi sur le Renseignement à l’Assemblée Nationale, nous a présenté le déroulement du processus parlementaire ayant précédé l'adoption de la loi. Il nous a ensuite détaillé le contenu de la loi et ses aspects les plus problématiques (les boites noires, l'accès aux meta-données, le peu de réels pouvoirs donnés aux instances de contrôle, mais aussi l'absence de réelles voies de recours en cas d'abus).
Laurence Blisson est ensuite revenue sur les aspects les plus problématiques de la loi sur le plan juridique, notamment: la légalisation massive des pratiques illégales des services de renseignement, permettant une surveillance large et très intrusive pour la vie privée des citoyens; une extension du champ d’action du renseignement intérieur et extérieur, y compris dans des objectifs sans aucun lien avec le terrorisme; la collecte généralisée des données sur Internet, traitées par des algorithmes; une surveillance sans aucun contrôle des communications qui passent par l’étranger, alors que de très nombreux serveurs utilisés par des Français sont installés à l’étranger; la conservation très longue des données collectées; et le contrôle des services de renseignement aux seules mains du pouvoir politique (Premier ministre), avec avis consultatif d’une commission
Enfin, Jean Lambert a rappelé combien les débats en France résonnaient avec ce qui se passait en Angleterre. La situation au Royaume-Uni n’est guère meilleure en effet, avec un retour de la ‘Snoopers Charter’ à l’agenda du gouvernement conservateur, qui prévoit d’accroitre les pouvoirs et les marges de manœuvre des services de Renseignement en ce qui concerne la surveillance des activités en ligne. Jean, en tant que membre la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures au Parlement Européen, a aussi rappelé l'actualité européenne, particulièrement riche en ce domaine puisque suite aux révélations de Snowden, le Parlement avait ouvert une commission d'enquête qui avait débouché sur l'adoption d'une résolution sur le programme de surveillance de la NSA, les organismes de surveillance dans divers États membres et les incidences sur les droits fondamentaux des citoyens européens et sur la coopération transatlantique en matière de justice et d'affaires intérieures.
Cette réunion, qui devait durer deux heures, s'est prolongée bien au-delà, tant les questions et les débats étaient nombreux. Nous remercions en tout les cas les intervenants, qui nous ont donné un éclairage très complet sur les enjeux de cette loi, qui a été malheureusement définitivement adoptée la semaine dernière.
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