Transformation des collectivités publiques de Corse
Réunion débat ce samedi 6 Juin à Aiacciu en présence de Pascal Durand Député Européen EELV, Julia Sanguinetti Secrétaire Régionale , Dominique Taddei ancien doyen de faculté de droit, ancien député .
un seul niveau pertinent entre les communes et la collectivité unique.
Les changements institutionnels sont aujourd’hui indispensables à tous les niveaux : mondial, européen, français et corse. Il est absurde de prétendre les placer dans un ordre de priorité par rapport aux autres transformations nécessaires (économique, social, environnemental, culturel…), puisque la réussite dans l’un de ces domaines facilite à l’évidence les chances de succès dans tous les autres.
La simplification recherchée doit s’accompagner d’une plus grande proximité : les compétences des départements moribonds doivent revenir aux communautés d’agglomération et de pays.
La situation corse au printemps 2015
En ce qui concerne notre île, les débats interminables ont eu le mérite de dégager un consensus au moins apparent sur le diagnostic. Tout le monde déclare vouloir :
- plus de démocratie, ce qui suppose, entre autres, plus de transparence dans les prises de décision ;
- plus d’efficacité, ce qui demande plus de proximité et moins de centres de décisions qui se chevauchent ;
- réduire le clientélisme traditionnel et combattre les formes nouvelles de corruption financière et foncière.
Ce consensus sur les objectifs généraux a débouché sur un amendement gouvernemental dans l’actuel débat sur la loi Notre, nouvelle étape de la décentralisation. Cet amendement prévoit une collectivité unique, renvoyant à des ordonnances l’organisation précise des institutions publiques qui en découleraient. Si le procédé est efficace, il pose question quant à son caractère démocratique, la seule consultation des élus locaux sur les termes de ces ordonnances ne pouvant se substituer aux nécessaires débats citoyens sur ce qui devrait constituer le cadre de vie institutionnel des habitants de l’île. De plus, il laisse sans réponse deux questions pertinentes posées par les adversaires de la réforme :
- en premier lieu, une instance pertinente pour la prise en considération des la dynamique des territoires ruraux. A cet égard, la « conférence de coordination des collectivités territoriales » votée par le Sénat, si elle peut être utile, ne répond nullement aux questions qui doivent être posées par les territoires eux-mêmes. De plus elle maintient l’émiettement de toutes les structures, plus ou moins opaques (syndicats de communes, simples ou à vocation multiples), qui constituent un des plus aspects les plus choquants du « mille feuilles » institutionnel, aujourd’hui unanimement dénoncé.
- en second lieu, le risque de « centralisme ajaccien », dénoncé par le Président de l’assemblée territoriale est une vraie question concrète pour l’ensemble des insulaires et, particulièrement pour plus de la moitié d’entre eux qui vivant en Haute Corse voit s’éloigner physiquement le centre de toutes les décisions. Or, bon nombre de celles qui étaient exercées par les départements, en particulier dans le domaine social, si préoccupant en situation de crise à durée indéfinie, nécessitent un rapprochement et non pas un éloignement entre les intéressés et les administrations compétentes.
Il convient donc de proposer une procédure la plus démocratique possible de préparation des ordonnances. Celle-ci comporterait quatre étapes rapprochées, ce qui est rendu acceptable par l’état de maturation du débat public :
- L’assemblée territoriale, dès l’adoption finale de la loi Notre, au début juillet prendrait l’initiative de convoquer une nouvelle conférence territoriale élargie à des représentants de la citoyenneté active, qui devrait délibérer sur la base d’un document gouvernemental indiquant précisément l’ensemble des questions susceptibles d’être traitées dans les ordonnances prévues.
- Cette conférence organiserait, à partir de la fin de l’été, à l’instar de ce qui a été fait dans la préparation du Padduc, 8 ou 10 réunions dans chacun des territoires de notre île, conviant élus et représentants de la société civile.
- Les conclusions de cette conférence devraient être actés par un vote solennel de la nouvelle Assemblée territoriale, dans les premières semaines de 2016.
- Ces conclusions devraient être alors ratifiées par un référendum, certes consultatif, mais dont le Gouvernement devra évidemment tenir le plus grand compte.
Partir du bon sens citoyen
La Corse ne compte guère plus de 320 000 habitants, l’équivalent d’un gros arrondissement parisien… Cette île continentale est morcelée par la géographie et difficilement unifiée par l’histoire et la culture. Or, elle comporte encore aujourd’hui cinq niveaux de décision politique : les communes, les communautés de communes, les innombrables syndicats « mixtes » et à vocation unique, sans parler des futurs pôles de pays, les départements et la collectivité territoriale.
A l’évidence, trois niveaux suffisent ! C’est ce que reconnaît désormais clairement P. Chaubon, rapporteur à l’assemblée territoriale, même s’il n‘est pas (encore ?) en situation d’aller au bout de sa démarche, en définissant de façon parfaitement claire le niveau intermédiaire et sa place dans l’édifice. En effet, deux de ces niveaux s’imposent à l’évidence :
* Les communes, petites et grandes, constituent depuis le Moyen âge le niveau élémentaire de la socialité insulaire. Elles assurent un rôle irremplaçable de proximité dans des conditions de quasi-bénévolat pour l’immense majorité des élus municipaux. Dès lors, les quelques fusions de communes, même encouragées par l’administration préfectorale, ne peuvent être que le résultat d’un consensus, fort rare, entre tous les intéressés. Il n’en reste pas moins que pour une majorité d’entre elles, leur trop petite taille (en termes de population et/ou de territoire) les oblige de plus en plus en plus à déléguer à un ensemble plus vaste l’exercice de nombre de compétences, anciennes et surtout nouvelles.
* La collectivité territoriale s’est progressivement imposée depuis trente ans comme le lieu, par excellence, de tous les grands débats et de tous les grands choix insulaires. Après quelques hésitations initiales, elle a su trouver un point d’équilibre entre représentation de tous les courants politiques et stabilité de la gouvernance. Toutefois, compte tenu de la géographie et de l’histoire de l’île, elle ne peut prétendre exercer toutes les compétences qui dépassent la sphère communale. Un centralisme ajaccien n’est ni souhaitable, ni sans doute possible. C’est pourquoi, c’est une grave erreur de réduire le débat sur les nouvelles institutions de l’île à la question de l’absorption des deux départements par la collectivité territoriale, sans un débat approfondi sur le niveau intermédiaire, qui n’a pas eu lieu jusqu’ici.
C’est pourquoi, la question cruciale de la transformation des institutions insulaires consiste désormais à savoir quel est le niveau intermédiaire le plus pertinent pour y rassembler toutes les compétences devenues trop complexes pour les seules communes et ayant besoin de plus de proximité que les instances territoriales. Puisque les syndicats mixtes ne peuvent avoir une compétence générale et qu’il s’agit d’instances sans légitimité connue du grand public, deux niveaux coexistent aujourd’hui dont les défauts et qualités s’opposent : d’une part, les départements ; d’autre part, les communautés de communes.
* Les départements sont trop loin des citoyens, en particulier dans le domaine social qui est leur principale compétence, au point d’avoir essayé de mettre en place des structures déconcentrées, qui n’ont aucune légitimité locale. De même, en matière de cohérence territoriale, d’occupation du sol et d’urbanisme, ils sont évidemment trop vastes pour y élaborer des règles et zonages normatifs qui viendraient compléter le Padduc, notamment sous forme de Schémas de cohérence Territoriale (Scot). Il en est de même, dans nombre d’autres domaines, ce qui explique la généralisation des inter-communalités et le foisonnement des syndicats à vocation variée, dont cependant la pertinence reste à démontrer et le coût global de plus en plus critiqué.
De plus, au sein des départements, la coexistence des élus urbains et ruraux était devenue une question insoluble qui a abouti à l’abolition des cantons historiques, qui faussaient manifestement le principe constitutionnel d’égale représentation de tous les citoyens. Mais le découpage binominal qui le remplace aboutit inévitablement à une sous représentation des espaces ruraux. En fait, l’impossibilité de trouver un mode électoral adéquat pour les départements témoigne de leur archaïsme irrémédiable. Le Parlement s’apprête d’ailleurs à les supprimer en Ile de France et, sans doute, dans l’ensemble du milieu urbain, pour la majorité des Français, et aussi dans notre île.
* Les actuelles communautés de communes sont aujourd’hui pour la plupart d’entre elles en milieu rural beaucoup trop petites, ce qui restreint leur efficacité et les place très souvent en situation conflictuelle avec des communes de leur ressort. Parfois, ces dernières se trouvent périphériques et préfèreraient relever d’une autre communauté de communes. Dans d’autres cas, le conflit se trouve avec la commune centre du fait des chevauchements de compétences, qui renvoient à un dilemme : soit la ville centre régente les autres, soit ces dernières l’encerclent ; le cas de l’Ile Rousse en fournit, au delà des querelles de personnes, un exemple structurel. Enfin, le mode actuel de désignation des conseillers rend le cumul des mandats obligatoire, au moment où on s’efforce de réduire les méfaits de celui-ci ! Pire, les élus communautaires sont les représentants de leurs seules communes et non pas ceux de l’ensemble du territoire concerné par les décisions à prendre. En ce sens, l’intercommunalité n’aura été depuis vingt ans qu’une propédeutique, avant d’en venir à une structure permettant aux dynamiques territoriales de s’exprimer pleinement que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural.
Les communautés d’agglomération et de pays
Le regroupement intermédiaire entre les communes et la collectivité territoriale doit tenir compte des nouvelles réalités insulaires, démographiques et autres, et, d’abord, de la distinction évidente entre les milieux urbains et ruraux :
- En milieu urbain, en Corse, comme dans le reste de la France et bien d’autres pays, s’impose de plus en plus la réalité des communautés d’agglomération, d’ailleurs encouragées par le législateur. Déjà, la CAPA (Communauté d’agglomération du pays ajaccien) concerne près de 80 000 habitants et la CAB (Communauté d’agglomération de Bastia) plus de 56 000 et il est vraisemblable qu’un certain nombre de communes proches souhaiteront prochainement en faire partie. Ainsi, elles concernent directement la moitié de la population insulaire. Au fond, l’élargissement de leurs compétences et leur ancrage démocratique par leur élection au suffrage universel direct s’inscrivent dans la dynamique en cours. Il serait d’ailleurs souhaitable que cela soit acté dès les prochaines ordonnances.
- En milieu rural, les choses sont logiquement plus complexes et il faut répondre positivement aux partisans du statu quo départemental, qui s’inquiètaient sur la représentation future de la ruralité. On notera cependant qu’il existe déjà des regroupements atteignant une taille critique aussi bien en Haute Corse, celui de la communauté de communes de Marana et Golo, avec ses 21 500 habitants ou en Corse du sud, celui de la communauté de communes du Sud-Corse, avec ses 18 500 habitants. Si on souhaite que l’ensemble du monde rural insulaire ne prenne pas trop de retard, il est donc urgent que les autres territoires s’organisent de façon aussi libre que possible, en partant des dynamiques pré-existantes, qu’elles concernent des domaines particuliers (tourisme, santé, etc.), ou plus globaux, comme celui de la préparation du SCOT de Balagne, qui concerne 36 communes et plus de 22 000 habitants. Dans ce dernier cas, un ou plusieurs des présidents de communes plaident déjà publiquement pour la fusion des trois communautés actuelles.
Pour garder une vue d’ensemble des choses, on notera que déjà plus de la moitié de la population insulaire se trouve concernée par cette nouvelle dynamique communautaire et que la seule question est de l’étendre à 4 ou 5 « pays », principalement localisé dans le centre de l’île, qui a, plus qu’ailleurs encore, besoin d’allier renouveau et identité. De plus, dans ces territoires, population et élus sont pour une bonne part insatisfaits du morcellement communautaire actuel. Ils peuvent comprendre, si on leur ouvre une perspective nouvelle que l’union faisant la force, ils doivent sortir de leurs actuelles querelles de clochers par le haut, en se regroupant dans des communautés de pays, qui fusionneront les compétences actuelles des communautés de communes, des syndicats à vocation simple ou multiple et du département. Ceci suppose, bien entendu, que ces nouvelles communautés atteignent une taille critique qui a été estimée au plan national à 20 000 habitants. Ce chiffre a toutes les raisons de ne pas être très différent en Corse, à la condition, comme le demande l’association des présidents de communautés de communes, de ne pas être un butoir légal, mais un ordre de grandeur à viser, en respectant la géographie et l’histoire de chacun de ces pays. On notera que ce mode d’organisation inverse complètement l’argument de ceux qui, notamment en Haute Corse, plaidaient pour le statu quo départemental, au motif qu’il est plus commode d’aller à Bastia qu’à Ajaccio : avec la réforme proposée ici, il est simple de leur répondre qu’il est encore plus commode d’aller à Calvi, ou Corte ou Ghisonaccia…
Finalement, la Corse devrait comporter, entre Collectivité Territoriale et Communes, 8 à 10 communautés d’agglomération et de pays, afin d’assurer une véritable dynamique de l’ensemble de nos territoires ruraux et urbains, de façon plus convaincante que par une seconde assemblée consultative des territoires, désignée au scrutin indirect, et qui a d’ailleurs été refusée par le Gouvernement et le Parlement. Il suffira pour le moment d’en définir les principes de compétence et de gouvernance, sans se perdre dans des détails, tant que ce choix institutionnel n’est pas retenu par la majorité des citoyens, suivant la procédure proposée au début de ce texte.
Principes de compétence des communautés d’agglomération et de pays :
Le principe général doit être que toutes les compétences actuelles des départements, des syndicats intercommunaux à vocation simple ou multiple, et des communautés de communes leur sont dévolues.
L’exception doit concerner les seules compétences, aujourd’hui départementales, qui ne sont pas divisibles par 8 ou par 10. Pour ce seul motif, les dites compétences seraient dévolues à la Collectivité Territoriale, de même qu’un fonds de péréquation sociale, en faveur des 3 ou 4 communautés, dont le revenu par tête est le plus faible et principalement situées dans les zones montagnardes du centre de l’île.
Enfin, il faut envisager une évolution possible dans les relations de proximité, quand les communes estiment que des compétences anciennes ou nouvelles deviennent trop lourdes pour être exercées à leur niveau, afin qu’elles puissent demander et obtenir leur transfert à la communauté d’agglomération ou de pays.
Principe de gouvernance des communautés d’agglomération et de pays :
Il faut assurer la coopération permanente entre des élus qui prennent en charge l’intérêt d’ensemble du territoire et des maires, qui veillent aux intérêts de leur commune. C’est pourquoi, les conseils communautaires devraient comporter deux sortes de membres, siégeant ensemble :
* Avec voix délibérative, des élus au suffrage direct, choisis le jour même des élections municipales sur des listes distinctes. Comme pour les élections de dimension supérieure (territoriale) et inférieure (municipales), ces élections se feraient à la proportionnelle de liste à deux tours, avec une prime majoritaire modérée (moins de 20% du total) : d’une part, ce mode de scrutin a fait la preuve qu’il alliait représentation de tous les courants d’opinion et stabilité de l’exécutif ; d’autre part, les citoyens ne comprendraient pas, qu’étant employé avec succès pour les deux autres niveaux d’élection les plus proches, il ne le soit pas pour les nouvelles élections communautaires.
Le nombre d’élus pourrait être d’un pour mille habitants ou tranche de mille. Il est à cet égard évident que ce chiffre est, dans toute l’île, bien inférieur à celui de l’addition des conseillers généraux, membres des conseillers syndicaux et conseillers communautaires qu’ils seront amenés à remplacer.
* Avec voix consultative, tous les maires de l’agglomération ou du pays. Ainsi, ces derniers auront toute latitude pour faire valoir les intérêts de leurs communes et seront complètement informés des décisions qui les concernent.
En guise de conclusion provisoire, on notera que la réforme nécessitant son inscription finale dans ordonnances du Gouvernement, le projet avancé ci-dessus a l’avantage de répondre à plusieurs préoccupations exprimées au plan national : suppression pure et simple d’un niveau, promotion de communautés d’agglomération, communautés rurales de plus grande dimension, clarification de l’ensemble. Ceci accroît incontestablement les chances d’un dialogue constructif entre la Corse et Paris.
Domi Taddei, ancien doyen de faculté de droit, ancien député