Lettre à mes Ami.es écologistes
Paris, le 14 février 2016
Chères amies, chers amis,
J’ai pris quelques jours de réflexions avant de vous adresser ce message. Je ne voulais pas réagir à chaud tant la nouvelle du départ d’Emmanuelle COSSE au gouvernement fut douloureuse. Bien sûr je savais que c’était possible, qu’elle faisait l’objet d’une cour assidue, mais je me persuadais, et tâchais de persuader les personnes avec qui j’en parlais, que ce n’était pas possible, qu’elle résisterait, que son histoire, ses convictions seraient plus fortes… Je me suis trompé.
Je suis déçu, parce que je fais partie de celles et ceux qui ont défendu l’action d’Emmanuelle au Secrétariat National, au Conseil Régional et bien sûr lors de la campagne des régionales. Comme beaucoup, je n’ai pas ménagé ma peine au quotidien comme co-secrétaire régional, mais aussi comme simple militant sur les marchés, aux stations de métro, avant l’aube. Mais en même temps, je ne regrette pas d’avoir agi pour faire avancer l’écologie ; pour que l’écologie pèse politiquement. Emmanuelle était l’incarnation de notre projet et elle a fait une bonne campagne, dans un contexte déjà difficile… et qu’elle rend, par sa décision, encore plus compliqué pour nous. Mais demain, une autre personne incarnera notre projet lors de nouvelles échéances. Ce n’est pas encore aujourd’hui qu’on me fera lâcher mon ambition de défendre la protection de la nature, de voir se réaliser la transition écologique, de voir la solidarité l’emporter sur l’égoïsme et l’exclusion, de voir la justice et la paix triompher.
Je suis déçu, car je sais qu’il s’agit sans aucun doute, après les départs orchestrés au lendemain de nos journées d’été, d’une nouvelle manœuvre organisée pour nous nuire, par des gens qui, au mieux, ne comprenne rien à l’écologie, mais plus vraisemblablement qui veulent la combattre, pour défendre un modèle productiviste à bout de souffle, un modèle qui s’appuie sur l’espoir vain d’un retour à la croissance matérielle. Les écologistes savent que le monde est fini, que les ressources ne sont pas inépuisables et que la biodiversité est notre richesse.
Je suis déçu, mais je lui garde mon amitié. Plus de trente ans de militantisme écolo mon appris à ne pas mélanger politique et amitié. Combien de fois chacun d’entre nous s’est retrouvé dans une motion de congrès avec celles et ceux qu’il vouait aux gémonies quelques années plus tôt dans une motion adverse !
Ce nouveau départ n’est que le énième épisode d’une longue histoire de la participation des écologistes aux exécutifs et particulièrement aux gouvernements. Cela ne remonte pas à quelques mois, c’est une question posée aux écologistes dès leur apparition dans le paysage politique. « Faut-il entrer en politique ou rester un contre-pouvoir ? » dès les années 70. Puis « Devons-nous être un parti politique ? » dans les années 80. Puis « Devons-nous passer des accords de gouvernement ? A quelles conditions ? » dans les années 90… Puis « Quels type d’accord devons-nous passer ? Avec quel rapport de force ? »…
Durant toutes ces années, des écologistes ont fait le choix de s’impliquer politiquement, d’entrer dans des exécutifs, d’autres ont continué à agir dans les associations. Certain.es sont passé par Les Verts, ont fait un bout de chemin, puis sont repartis vers d’autres horizons. Certain.es ont fait d’autres choix politiques. On peut le regretter, mais c’est ainsi. Tout.es les écologistes ne sont pas à EELV… Moi-même j’ai été candidat d’ouverture aux régionales de 1986 avant d’adhérer aux Verts après l’explosion de Tchernobyl. Puis, j’ai quitté Les Verts sur un désaccord stratégique pour créer le MEI en 94 et suis revenu chez Les Verts en 2001. Je remercie toutes celles et tous ceux qui m’ont accueilli alors. Comme l’a dit Dany COHN BENDIT : « Je ne veux pas que l'on demande aux gens "D'où viens-tu ?" mais je veux qu'on leur demande "Où veux-tu aller avec nous ?" ». Je vous conseille de lire ou de relire le petit livre de Pierre SERNE « Des Verts à EELV, 30 ans d’histoire de l’écologie politique » aux éditions {Les Petits Matins}.
Les écologistes sont toutes et tous mus par la même conviction que le productivisme détruit la nature et les personnes, que le monde court à sa perte s’il ne change pas de paradigme. Les écologistes savent que le temps compte et qu’il ne faut pas attendre pour agir. Mais les écologistes ne sont pas toutes et tous d’accord sur les modalités d’action, sur la meilleure stratégie à court et moyen terme.
Je suis convaincu qu’un parti écologiste fort est indispensable pour agir, pour peser sur les décisions politiques ; qu’il est nécessaire de créer un rapport de force suffisant pour faire levier et changer le cours des choses. C’est indispensable dans cette période politiquement trouble que nous traversons, avec la montée de l’individualisme dans une société qui se ferme. EELV est aujourd’hui ce parti. Nous devons le renforcer et pour cela améliorer son fonctionnement, sans aucun doute trop compliqué, trop bureaucratique. Nous devons l’ouvrir et pour cela le rendre plus accueillant à toute personne qui souhaite nous rejoindre sans pour autant devenir un « moine-soldat ». Nous n’avons pas su faire vivre cette coopérative que nous souhaitions développer. Ce n’était peut-être pas le bon outil.
Un parti ne peut exister durablement, peser réellement sur les choix politiques s’il n’est pas autonome. Il ne peut dépendre d’un grand frère ou d’une grande sœur. Cette autonomie implique de se présenter aux élections sous ses propres couleurs au premier tour. Elle permet de passer des contrats de gestion, du niveau municipal au niveau gouvernemental. C’est bien parce que le contrat de 2012 a été rompu que notre Conseil Fédéral a estimé que les conditions n’étaient plus réunies pour participer au gouvernement. En 2017, les écologistes devront être présents aux échéances présidentielle et législative.
Nous ne pouvons nous contenter de faire le constat que beaucoup d’écologistes qui furent des adhérent.es, des militant.es, des élu.es des Verts puis d’EELV sont aujourd’hui partis… et pas depuis hier… et pas des moindre ! Nous devons prendre le temps d’analyser ce qui s’est passé. Pour faire grandir l’écologie, je pense que nous devons trouver un lieu, une structure qui permette à tous ces écologistes de se retrouver sur quelques sujets essentiels, pour rendre l’écologie plus forte, plus efficace. Le mouvement écologiste est aujourd’hui éclaté, même si EELV reste l’organisation principale, j’ai envie de dire axiale. Nous devons trouver les moyens de rassembler les énergies, peut-être sous la forme d’une confédération par exemple.
Nous devons profiter de cet épisode pour le moins désagréable, nous devons profiter de cette année sans élection, nous devons profiter de notre congrès pour rassembler les écologistes. Nous ne pouvons faire comme d’habitude, comme si rien ne s’était passé. Nous ne pouvons faire un nouveau congrès «as usual » avec ses chapelles, ses clans, ses écuries. Choisir les personnes qui incarnent notre projet est nécessaire, mais cela ne doit pas consommer toutes nos énergies.
Je nous souhaite de travailler de manière constructive et conviviale dans les mois qui viennent pour avoir un congrès de clarification, mais aussi d’ouverture ; un congrès intelligent et généreux. Ce congrès doit nous permettre de préparer les échéances politiques à venir, pour 2017 et au-delà.
Je vous assure de ma persévérance, de mon engagement, de ma fidélité et de mon amitié.
Jean-Luc DUMESNIL
Co_secrétaire régional EELV IDF