2014 : Les écologistes de retour en Ligue 1 ? Par Philippe Lamberts, député européen écologiste

2014 : Les écologistes de retour en Ligue 1 ? Par Philippe Lamberts, Eurodéputé (Ecolo-Belgique)

L’écologie politique a le potentiel de devenir une des forces structurantes de la gauche du 21ème siècle. Telle est la conviction que j’ai développée lors de la fin de mon mandat de co-président du Parti Vert Européen en novembre dernier. Une conviction qui est aussi un pari, celui que nous serons collectivement capables de réunir les cinq conditions indispensables à ce succès :

  1. Nous focaliser sur la société, pas sur nous-mêmes : si notre objectif est bien d’être un agent de transformation de la société, nous ne pouvons nous comporter comme un club dont l’activité principale est fait de débats (voire de disputes) internes.  Et être en prise avec la société aujourd’hui, c’est entrer en résonance avec – ce qui veut dire plus que simplement comprendre – l’indignation voire la colère qui montent dans la société, en particulier contre des injustices sociales toujours plus criantes. Nos sociétés sont engagées sur des voies qui nous mènent collectivement dans le mur et où ceux qui subissent les premiers et le plus fort le choc sont les plus vulnérables d’entre-nous.

  2. Partager l’indignation n’est cependant qu’une première étape, qui doit ouvrir vers des propositions de solution. Ainsi, les Verts doivent-ils être capables de sortir de leur cocon – certains diraient niche – originel. De dénonciateurs de problèmes, en particulier environnementaux, nous devons devenir des porteurs de solutions qui permettent de répondre aux défis existentiels de ce siècle : permettre à tous – pas juste au happy few, les 20% ou pire le 1% – une existence digne d’être vécue, et cela en respectant les limites physiques de notre planète. Et pour être crédibles, ces solutions doivent combiner une vision ambitieuse – seule une transformation profonde de nos sociétés peut leur éviter l’effondrement – avec des premiers pas concrets réalisables. Autrement dit, nous devons être capables d’être porteurs d’un changement auxquels nos concitoyens peuvent croire et dans lequel ils peuvent se retrouver. C’est ce que nous résumons par le Green New Deal, qui doit être l’instrument de la transformation sociale, environnementale mais aussi économique et financière de notre modèle de société.

  3. Mais avoir un diagnostic lucide, une vision ambitieuse et des solutions praticables n’est pas encore suffisant : encore faut-il faire la preuve à la fois du courage politique et de la capacité à mettre tout cela en œuvre. Cela veut dire que les Verts doivent garder la capacité de mettre en cause les tabous – qu’ils soient de droite ou de gauche – qui font obstacle à la transformation, quitte à prendre des risques : nous ne sommes pas là pour simplement revendiquer notre modeste part du gâteau du pouvoir, mais bien pour engager la transition. Et là où nous occupons des postes à responsabilité, nous devons y démontrer compétence, professionnalisme et éthique.

  4. Ensuite, reconnaissons que quand bien même nous réaliserions tout cela, nous ne changerons pas seuls la société. Au sein de celle-ci, et au travers des clivages traditionnels se manifestent aujourd’hui déjà des femmes, des hommes, des associations, des organisations, des entreprises, qui engagent la transformation. C’est avec eux que nous devons être capables de construire des alliances. Car si la direction qu’elle doit prendre apparaît chaque jous plus clairement, personne n’a sur plan l’itinéraire de la transition : elle sera une construction collective.

  5. Enfin, dernière clé du succès : l’unité dans la diversité. Il est certain qu’une équipe divisée, où chacun joue pour soi ne peut que perdre. Mais si nous voulons porter collectivement un projet de société, nous devons être capables de le faire en assumant une réelle diversité de ton et de langage. Car on ne s’adresse pas de la même manière à des travailleurs précaires et à des chefs d’entreprise, à des étudiants et à des syndicalistes, à des militants associatifs et à des jeunes d’origine immigrée… Réaliser cela exigera sans doute des Verts une plus grande diversité de leurs militants, de leurs cadres et de leurs dirigeants, mais aussi un très grand degré de confiance réciproque, condition d’une expression diverse mais convergente.

En bref, nous devons combiner radicalité et réalisme. En fait, c’est au nom même du réalisme – c’est-à-dire d’une compréhension aigüe des défis du réel – que nous ne pouvons que nous faire les avocats d’une transformation radicale – c’est-à-dire qui va jusqu’à la racine – de la manière dont vivent nos sociétés et dont elles interagissent avec la planète et le vivant. Mais ce même réalisme nous rappelle que nous ne partons pas d’une feuille blanche et que nous devons être capables d’engager cette transition à partir de nos sociétés telles qu’elles sont aujourd’hui. Mais attention, si nous choisissons de nous contenter d’une radicalité déclaratoire, nous nous perdrons très vite dans la compétition à couteaux tirés qui règne sur cette partie de la scène politique. De même, si nous abandonnons toute ambition transformatrice pour une politique des petits pas se contentant de corriger les effets les plus outranciers du système en place, nous serons rapidement considérés comme une simple variante de l’orthodoxie. Dans les deux cas, nous perdons.

 

Dans cette perspective européenne, quels enseignements tirer de notre participation gouvernementale entamée il y a un an en France ? A mes yeux, notre entrée au gouvernement s’inscrit bien dans la perspective tracée dans les lignes qui précèdent (en particulier aux points 2 et 3) : démontrer par notre participation notre volonté d’assumer la responsabilité de faire, pas seulement de dire. Qui plus est, les domaines d’action obtenus – le logement et le développement – nous profilent clairement au-delà de la niche écologiste traditionnelle.

Vue de Bruxelles l’européenne, l’entrée des Verts au gouvernement français apportait également une (modeste) bouffée d’espoir. En effet, si les élections européennes de 2009 nous avaient permis de devenir – de justesse – la quatrième force politique du Parlement Européen, notre bras de levier sur la législation européenne était affaibli par notre quasi absence du Conseil des Ministres, lequel constitue l’autre chambre législative au niveau de l’Union. En effet, jusque là, les Verts (ou apparentés) ne siégaient qu’au sein de deux des 27 gouvernements : au Danemark et en Finlande. Il nous sera impossible de peser réellement à ce niveau sans multiplier les participations gouvernementales et en ce sens, notre arrivée à Paris, sans révolutionner l’équilibre des forces, était un pas dans la bonne direction.

A mes yeux, la réussite de notre pari gouvernemental en France dépendra de notre capacité à apporter des réponses crédibles aux questions suivantes :

  1. La première a trait à l’inévitable tension la nécéssité et l’urgence d’une transformation radicale de nos sociétés et les résultats inévitablement insuffisants de notre participation gouvernementale. Si celles-ci est un passage obligé pour nous crédibiliser auprès de ceux de nos concitoyens qui espèrent voir dans EELV une alternative responsable, à qui on peut confier les manettes (et pas seulement celles du ministère de l’écologie)le risque est de nous aliéner ceux (et ce peuvent être les mêmes) qui veulent l’alternative, pas simplement l’alternance.

    Cela suppose d’abord de démontrer, dans les secteurs dont nous avons la responsabilité, la capacité de « faire la différence » et de mettre en place des jalons visibles et lisibles de la transition écologique. Mais nous ne pouvons cacher le fait que nous sommes embarqués dans un gouvernement socialiste qui pratique très largement la variante rose de la pensée unique. Le PS semble avoir eu une stratégie de reconquête du pouvoir, qui a réussi de justesse, mais aucune pour l’exercer. Qu’il s’agisse de l’adoption dans les faits d’une gouvernance économique européenne orthodoxe, des cadeaux fiscaux (apparemment sans véritable contrepartie) faits aux entreprises, de l’abandon de toute ambition de révolution fiscale, le PS au pouvoir semble confirmer l’incapacité de la social-démocratie européenne à prendre en compte les défis de ce siècle. Comment réussirons-nous à éviter l’assimilation à cette politique et parviendrons-nous à faire entendre une musique différente et d’obtenir des inflexions politiques, au moins à la hauteur de notre poids numérique, dans la politique (économique, sociale, écologique) de ce gouvernement. S’il est évident que les socialistes ne sont pas écologistes et  que notre poids numérique est modeste, il importe que nous soyions capables au moins d’infléchir les choix en dehors de notre champ de compétence ou, à défaut, de nous distancer suffisamment d’un pouvoir socialiste sans vision.

    De notre capacité à gérer collectivement cette tension dépend notre aptitude à rester le premier choix de tous ceux de nos concitoyens qui veulent que s’engage aujourd’hui une transformation profonde de nos sociétés pour relever les défis de ce siècle.

  2. La seconde question a trait à l’image que nous projetons comme parti politique. Notre piètre performance lors de l’élection présidentielle a fait oublier la suite de succès ouverte avec les élections européennes de 2009. Ensuite, l’accord avec le PS qui nous a à la fois permis de constituer des groupes à l’Assemblée Nationale et au Sénat et de rentrer au gouvernement a souvent été présenté ou perçu comme la preuve que, décidément, les écologistes étaient d’abord et avant tout un parti visant à obtenir des places, plutôt qu’à porter un projet de transformation radicale de la société. Enfin, les épisodes cacophoniques dans l’expression des écologistes français n’ont pas entièrement disparu : entre responsables du parti, parlementaires (aux niveaux national et européen) et ministres, la polyphonie nécéssaire n’a pas toujours été harmonieuse.

    Pour faire simple, serons-nous capables de relancer la dynamique de rassemblement d’Europe-Ecologie en nous profilant comme la seule force capable d’incarner une véritable alternative de gouvernement à gauche ? Saurons-nous fournir une expression politique à tous ceux qui aujourd’hui déjà sont acteurs de changement dans la société et à ceux qui portent le plus le poids de la crise et des réponses austéritaires qui lui sont apportées par les tenants de la pensée unique ?

Tels me semblent être les défis à relever. L’automne 2013, qui sera marqué par d’importantes échéances tant au niveau des choix gouvernementaux que de la dynamique interne devrait nous permettre d’y apporter un début de réponse et d’orienter notre travail en vue des élections municipales et surtout européennes de 2014.

L’écologie politique ne réussira pas son pari de devenir une force politique majeure en Europe sans le succès d’Europe Ecologie-Les Verts. Aujourd’hui, seule une poignée de partis verts parviennent à surpasser la barre des 10% ; trop souvent, les partis de l’écologie politique peinent à obtenir 5% et nous restons quasi-absents des parlements (pour ne pas parler des gouvernements) du sud et de l’est de l’UE. En 2009, nous avons réussi la prouesse de gagner du terrain alors même que la pire crise financière et économique venait de toucher notre continent. En 2014, nous devons nous fixer l’objectif non pas de maintenir nos positions, moins encore d’accepter un repli inéluctable, mais bien de poursuivre notre progression. Tout ici ne dépend pas d’EELV bien sûr, mais nous ne pouvons nous permettre de perdre les acquis de 2009 en France, pays qui à lui seul a fourni plus de la moitié des gains numériques du groupe de verts au Parlement Européen.

L’enjeu de 2014 sera indéniablement plus difficile pour nous, car la crise est entretemps devenue sociale : chômage, pauvreté, inégalités montent partout. Cela peut indiscutablement favoriser les partis les plus radicaux, voire simplistes, dans leurs réponses : à l’extrême droite, mais aussi parfois à l’extrême gauche, la tentation du repli, du « tous les mêmes, qu’ils s’en aillent tous » est puissante et elle peut séduire une partie importante de l’électorat. Mais, en France et ailleurs, les partis traditionnels de gouvernement, tant à droite qu’à gauche, sont largement discrédités. Entre les radicaux déclamatoires et les gestionnaires à la petite semaine, je pense que l’espace nous est ouvert ; à nous de savoir le conquérir et l’élargir

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