L’an 1 de François Hollande, par Philippe Frémeaux
L’an 1 de François Hollande
Par Philippe Frémeaux, membre du conseil de surveillance de la Fondation de l’Ecologie politique, président de l’Institut Veblen pour les réformes économiques.
Article paru dans la revue Esprit, juin 2013
Le bilan de la première année de la présidence Hollande n’est pas bon. L’économie français était en situation de croissance zéro en 2012, elle est aujourd’hui au bord de la récession. Le chômage était déjà au plus haut niveau, il n’a depuis cessé d’augmenter. Le niveau des déficits publics et de la dette publique étaient préoccupants : les premiers ont moins baissé qu’annoncé et la seconde continue par voie de conséquence de progresser rapidement. Quant au commerce extérieur, il demeure dans le rouge en dépit du ralentissement de l’activité.
Commençons par donner à notre nouveau président crédit d’une chose : ceux qui le critiquent aujourd’hui n’auraient pas fait mieux s’ils avaient été en responsabilité. Un des mérites de François Hollande est de ne pas avoir suivi les conseils dispensés par les économistes libéraux – et repris par les leaders de la droite – qui plaidaient, et plaident plus que jamais, en faveur de coupes claires dans les dépenses publiques. Il en aurait résulté non seulement encore moins de croissance – et donc plus de difficultés à contenir la dette, faute de rentrées fiscales – mais aussi plus d’inégalités. S’il est un reproche à formuler au gouvernement, c’est plutôt de s’être obstiné à tenir un objectif nominal de réduction des déficits publics pour 2013 qu’il se savait dans l’impossibilité de tenir. Avec pour conséquence de dégrader un peu plus le niveau de l’activité. Ce reproche en cache un autre : celui d’avoir suivie une politique qui semble plus avoir été dictée par la nécessité de s’adapter aux circonstances que portée par une véritable stratégie.
Reprenons la séquence : ayant hérité d’une situation économique préoccupante en termes de croissance et d’emploi, associée à un niveau et une trajectoire de dette publique menaçant le crédit de la France, François Hollande a considéré qu’il lui fallait impérativement affirmer sa volonté de réduire les déficits publics, indépendamment même des engagements liés aux traités européens. La voie choisie a été claire : le président a accru fortement l’imposition des plus aisés et notamment celle qui touche les revenus du capital tout en imposant un strict plafonnement des dépenses. Parallèlement, certaines priorités, affirmées durant la campagne présidentielle, ont été préservées, notamment au profit de l’éducation.
Une rigueur interne qui s’ajoute à la rigueur externe
Cette politique a eu mécaniquement un effet récessif, même si ce choix a eu pour mérite d’être plus juste que celui qui aurait consisté à sabrer dans les dépenses publiques. Il fallait donc trouver un autre ressort pour soutenir l’activité et l’emploi. D’où la promesse, formulée durant la campagne par François Hollande, qu’il renégocierait le traité budgétaire européen. Nul n’y croyait vraiment, et en tout cas, pas l’auteur de ces lignes. En revanche, on pouvait espérer voir engagées des mesures de relance de l’activité, au niveau communautaire, qui auraient permis de compenser en partie la rigueur dans laquelle s’engageait le pays, rigueur d’autant plus problématique qu’une grande partie de nos voisins et partenaires étaient eux-mêmes engagés dans des politiques d’austérité plus violentes encore.
En pratique, cette espérance n’a pas été comblée. Les décisions prises par la banque centrale européenne à l’été 2012, la mise sur les rails de l’Union bancaire, le feu vert donné par le tribunal constitutionnel de Karlsruhe au mécanisme européen de stabilité sont allés dans le bon sens. La crise de l’euro a pu sembler derrière nous. Et la France, ayant témoigné de ses bonnes intentions en matière de contrôle de sa dette à moyen terme, a pu refinancer sa dette à des taux historiquement bas, à l’inverse de ce que prédisait nombre d’oiseaux de mauvaise augure, à droite ou chez les économistes, à la veille de l’élection de François Hollande. Les marchés ont considéré que la dette française, dans le climat d’incertitude qui prévaut sur l’avenir de l’euro, était un bon risque, d’où la réduction du spread séparant les conditions d’emprunt faites à l’Allemagne de celle offertes à la France.
Hélas, et c’est bien le problème aujourd’hui pour toute l’Europe, non seulement François Hollande a du accepter de ratifier le traité budgétaire mais sa fameuse initiative de croissance européenne annoncée à l’été 2012 a fait pschiit ! Non seulement, son montant annoncé – 120 milliards – n’était pas à la hauteur de l’enjeu, mais ce montant mélangeait des choux et des carottes. Enfin, les dépenses et investissements annoncés n’ont été, et ne seront, engagés que très progressivement. Résultat, si l’euro va mieux, pour l’instant, l’Europe continue pour l’instant de s’enfoncer dans la crise, la récession et le chômage de masse. La seule consolation est que la France, si elle va moins bien que l’Allemagne, va tout de même moins mal que nombre de ses voisins.
Compétitivité
Contraint de s’adapter à un environnement difficile, et engagé dans une politique de rigueur récessive, le gouvernement a donc du se résoudre, à l’automne, à reconnaître ce qu’il niait en mai : la France a un problème de compétitivité. Un problème dont on peut espérer, à long terme, qu’il soit résolu via un effort persistant d’innovation et d’élévation de la qualité de nos produits. Mais, à court terme, la compétitivité est bien une affaire de coût. On peut évidemment à reprocher à l’Allemagne d’avoir pratiqué une désinflation salariale compétitive continue au cours de la dernière décennie, mais cela ne résout pas notre manque de compétitivité à l’égard non seulement de ce pays, mais de tous nos partenaires commerciaux. C’est pourquoi le gouvernement, alors qu’il venait d’augmenter fortement l’imposition des plus aisés, s’est décidé à lancer le CICE, redonnant vingt milliards d’euros aux entreprises. Un dispositif qui ne transfère pas comme on pouvait l’espérer le financement de la politique familiale sur l’impôt, mais qui a en revanche un mérite sur le plan macro-économique : il doit permettre aux entreprises d’améliorer à court terme leur trésorerie, avec un coût différé pour le budget de l’Etat puisque ces dépenses seront prises en compte en 2014.
Morosité
Arrivé à la fin de cette première année, la situation est donc plus que morose. L’annonce de réformes structurelles permettant de réduire le déficit structurel de l’Etat, hors effets du cycle économique, a permis à la France d’obtenir un assouplissement de sa trajectoire de retour à l’équilibre. En fait, il était difficile d’imposer à la France des objectifs qui semblaient de plus en plus inatteignables. Mais la décision va dans le bon sens, au moment où d’autres pays européens, tels l’Italie ou les Pays-Bas, entendent relâcher le carcan de l’austérité et où certains dirigeants allemands, tels Wolfgang Schauble, le ministre des Finances, jugent souhaitable que les salaires progressent en Allemagne de manière plus forte que dans le reste de la zone euro. Reste que cela ne suffira pas en l’absence d’initiatives plus fortes permettant d’alléger les contraintes budgétaires qui pèsent sur les Etats les plus en difficulté.
Agir pour l’emploi
Dans un tel contexte, affirmer que la priorité est donnée à l’emploi ne fait guère sens. Il y a cinq façons d’agir pour tenter de réduire le chômage : développer l’activité, agir sur le niveau de la population active, développer les emplois aidés, réformer le marché du travail, réduire le temps de travail. Reprenons-les une après l’autre. Pour toutes les raisons qui viennent d’être développées, l’économie française devrait au mieux connaître une croissance quasi-nulle cette année si elle échappe à la récession. Or, en dessous de 1.5 % de croissance, toutes choses égales par ailleurs, l’économie française ne crée pas suffisamment d’emplois pour faire baisser le chômage. La seule bonne nouvelle, sur ce front, est que la montée du chômage relance le débat, dans toute l’Europe, sur la pertinence des politiques de rigueur.
Côté évolution de la population active, il ne faut rien espérer non plus. La population active française continue de croître de l’ordre de 150 000 personnes supplémentaires par an, pour des raisons liées à la démographie mais aussi parce que les baby-boomers, suite à la réforme Sarkozy, sont conduits à reporter leur départ à la retraite pour atteindre l’âge requis. Ce dynamisme de la population active explique d’ailleurs en partie la moindre performance de l’économie française en termes de chômage, notamment vis-à-vis de l’Allemagne.
Reste donc les emplois aidés. Sur ce plan François Hollande a lancé deux nouveaux dispositifs : les emplois d’avenir et les contrats de génération. Les emplois d’avenir sont réservés aux jeunes les moins qualifiés. Leur montée en puissance est lente – on en était à 17 000 contrats signés fin mars -, mais c’est normal, car cela suppose de trouver des employeurs de bonne volonté et de mettre en place un parcours de formation adapté. Bref, ce dispositif s’attaque au noyau dur de notre problème d’emploi. Il faut d’ailleurs tenir bon sur ce ciblage sur les jeunes les plus en difficulté, car si le gouvernement y renonçait pour faire du chiffre, ces jeunes seraient mécaniquement écartés au profit d’autres plus qualifiés, plus diplômés. Or, même si tout le monde galère aujourd’hui, les plus diplômés finissent majoritairement par s’insérer dans l’emploi.
Quant aux contrats de génération, ils viennent subventionner les PME qui embauchent un jeune tout en préservant l’emploi d’un senior. Ce programme vient juste de démarrer. Mais c’est plutôt un accélérateur de créations d’emploi qu’autre chose. Autant dire que dans la conjoncture présente, il n’y a pas de miracle à en attendre sur le plan quantitatif. Restent alors les contrats aidés traditionnels – ceux qu’on regroupe sous l’appellation contrat unique d’insertion. 470 000 sont prévus au budget 2013. Il est probable qu’en l’absence de redémarrage de l’activité en fin d’année, le gouvernement se résoudra à appuyer discrètement sur l’accélérateur afin d’essayer de tenir la promesse maintes fois répétée d’une inversion de la courbe du chômage fin 2013.
Peut-on alors compter sur la réforme du marché du travail ? Réformer le marché du travail est la formule magique que nous recommandent les économistes et les technocrates de Bruxelles ! En fait, on ne peut non plus en attendre grand-chose dans la conjoncture actuelle. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut rien faire. Mais il ne faut pas tout mélanger. Tout libéraliser ne résoudrait rien, sauf à accepter une explosion de la pauvreté laborieuse à l’instar de ce qu’on observe aujourd’hui en Allemagne avec la multiplication des mini-jobs. On peut en revanche desserrer certaines contraintes en échange de nouvelles garanties, comme le fait l’accord interprofessionnel signé en janvier, au-delà des critiques dont il est l’objet. Enfin, la France connait de vrais problèmes d’adéquation entre offre et demande de travail pour certaines qualifications, même si les entreprises exagèrent le phénomène pour se défausser de leurs responsabilités. Mieux cibler les formations proposées aux chômeurs demeure donc une priorité, mais cela n’aura pas non plus d’effet immédiat.
Reste alors la réduction du temps de travail que nul dans ce gouvernement n’ose mettre en avant, sauf sous la forme du chômage partiel, afin de limiter les dégâts liés à la panne de l’activité. Pourtant, que ce soit à travers le temps partiel choisi ou le droit à prendre des années sabbatiques, pour se former ou faire autre chose, elle possède un vrai potentiel qu’il faudrait mobiliser et sans en avoir honte ! Réduire le temps de travail est tout sauf malthusien si cela permet à tous de travailler. C’est au contraire une composante majeure du modèle économique, et du modèle social qu’il nous faut construire : respectueux des contraintes écologiques, soutenable et désirable, et moins inégalitaire, à l’instar de ce que propose l’économiste américain Robert Costanza et, avec lui, tout un collectif d’économistes[1].
Les trois priorités
Dire cela ne signifie pas qu’il faudrait renoncer à agir pour améliorer la compétitivité de notre économie, dès lors que nous vivons en économie ouverte. Eviter de trop charger les coûts supportés par les entreprises, investir dans l’économie numérique, développer les outils de financement des PME, simplifier certaines règles qui n’apportent rien et freinent l’activité, lutter contre l’échec scolaire via la priorité donnée à l’école primaire, tout cela va dans le bon sens même si l’horizon de ces différentes politiques est différent. On attend parallèlement de voir s’engager une politique volontariste de transition énergétique susceptible d’améliorer l’état de nos comptes extérieurs tout en étant riche en emploi. La France demeure lanterne rouge en Europe, en matière de part des énergies renouvelables dans sa consommation finale d’énergie, et cela, en dépit du poids historique de sa production hydro-électrique. Ensuite, il faudrait agir pour dégager les solutions permettant de sortir par le haut de la crise de l’euro ce qui suppose d’arrêter de critiquer l’Allemagne pour son égoïsme présumé, mais d’oser la prendre au mot en acceptant d’aller vers une Europe plus fédérale mais aussi plus solidaire. Ce n’est pas acquis compte tenu des divisions de la gauche, comme de la droite, sur ce sujet.
Mais aller vers plus d’Europe et plus de compétitivité ne fait pas un modèle de société. En admettant même qu’Angela Merkel ou son successeur disent oui aux eurobonds – c’est-à-dire une mise en commun d’une partie des dettes publiques – et les socialistes français oui à une Europe plus fédérale, il ne faut pas en attendre la solution au problème de l’emploi. Car celui-ci ne peut venir d’un retour à une croissance forte et durable. La solution allemande qui associe un secteur industriel hypertrophié et fortement exportateur à un secteur de services sous-payés n’est ni soutenable à long terme, ni souhaitable compte tenu de sa logique inégalitaire. Plus au fond, les contraintes écologiques et la faiblesse des gains de productivité dans des économies dominées par les services comme le sont devenues les nôtres, nous imposent d’aller vers un nouveau plein emploi en changeant de méthode et d’objectif. Il nous remplacer l’obsession de la croissance du Pib par la recherche d’une maximisation du bien-être individuel et collectif respectant les limites de la planète. Notons au passage que l’économie sociale et solidaire peut ici jouer un rôle quand elle se montre à la hauteur de sa promesse.
Conclusion : il nous faut réussir à marier plus de compétitivité pour éviter l’affaiblissement continu de notre appareil productif, plus d’Europe pour sortir de la crise de l’euro et plus de solidarité soutenable pour inventer un modèle de société qui renouvelle une pensée social-démocrate épuisée. Une gageure sans doute, mais c’est en tenant ce cap que la gauche au pouvoir peut échapper à son dilemme habituel : échouer ou trahir, sachant que les deux peuvent être au rendez-vous.
[1] Voir Vivement 2050 ! Programme pour une économie soutenable et désirable. Les Petits matins-Institut Veblen. Mai 2013.