Motion sur le projet de loi de traduction legislative de l’accord national interprofessionnel
I Exposé des motifs
1. Introduction
L’accord national interprofessionnel « Pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés » signé le 11 janvier dernier par trois organisations syndicales sur cinq (CFDT, CFTC, CFE-CGC) et des organisations représentant les employeurs, a donné lieu à un projet de loi de transposition dans le Code du Travail qui, une fois passé l’étape du Conseil d’Etat et du Conseil des Ministres, sera soumis prochainement au travail parlementaire en vue de sa discussion précédant son vote.
Comme cela a été acté dans la motion adoptée lors du conseil Fédéral de janvier, ce texte marque un nouveau départ en faveur de la Démocratie sociale et cette démarche nous parait devoir être encouragée.
Mais comme souvent sur les questions d’ordre économique et social, le débat sur ce projet pourrait se réduire à l’opposition entre deux blocs irréductibles, ceux qui seraient partisans de son adoption pure et simple, afin de respecter la volonté des organisations qui « ont su prendre leurs responsabilités », et ceux qui seraient partisans d’un rejet abrupt de ce texte, en raison des « graves reculs sociaux et juridiques dont il est porteur »
Cette motion a pour objet de proposer une troisième voie, plus ambitieuse, plus exigeante aussi, car elle vise par un examen minutieux du projet de loi à bâtir une position qui se veut vigilante et constructive.
Elle présente l’avantage aussi de ne pas se positionner par rapport à un « camp » – mais de travailler sur le fond du texte.
Dans cette perspective, nous avons choisi, tout autant, de respecter la volonté des signataires que d’écouter et de répondre aux principales critiques des non signataires de l’accord. Le corpus de règles définies dans la motion adoptée par ce Conseil fédéral sur la démocratie sociale permet à nos Parlementaires de défendre les amendements indispensables à l’amélioration du texte.
Il s’agit donc de passer d’un équilibre instable à un équilibre stable en sécurisant les avancées obtenues par les organisations signataires, et en introduisant les aménagements nécessaires pour les renforcer, en limitant les risques contenus dans certaines dispositions et en élargissant le champ des nouveaux droits. Nous observons d’ailleurs que c’est sur cette base que le gouvernement s’est positionné en corrigeant d’ores et déjà certains aspects de l’accord national dans la transposition législative qu’il propose au Parlement.
Le Conseil Fédéral rappelle les termes de la motion votée à l’unanimité lors de sa séance du 19 janvier 2013 :
« L’accord comprend certaines avancées (complémentaire santé, lutte contre le temps partiel subi, taxation des CDD) et il ouvre une perspective de relance de la négociation sociale; mais il est globalement déséquilibré. En effet, la flexibilité qu’il introduit n’est pas compensée par une sécurisation, un renforcement de la démocratie dans l’entreprise et une réforme des conditions de travail suffisants. Ce déséquilibre légitime l’intervention du parlement sur ce texte. »
- 2. Examen du texte et modifications pour une dynamique conventionnelle mieux équilibrée entre salariés et employeurs
Le projet diffère du texte de l’accord.
D’une part l’Administration a procédé à un travail de cohérence avec le Code du Travail.
D’autre part, quatre points de l’ANI du 11/012013 ne nécessitaient pas de modification de la loi et donc ne figurent pas dans le projet :
- – Le congé de formation individuel des CDD ;
- – La préparation opérationnelle à l’emploi ;
- – L’accès au logement avec l’aide d’Action Logement (1% patronal);
- – L’amélioration de la sécurité juridique des relations du travail qui fait l’objet d’un Groupe de Travail ad hoc.
On notera également que diverses dispositions sont envisagées pour effet immédiat, tandis que d’autres établissent des dispositions nouvelles mais nécessitant des négociations (jusqu’à horizon 2016 pour application), qui en préciseront les conditions concrètes d’application (notamment en matière de couverture maladie complémentaire).
Quatre chapitres composent le Projet. Les trois premiers méritent un examen attentif et des propositions précises de modifications (voir la partie annexe de la motion) afin de préserver les principes essentiels qui fondent le Droit du Travail tout en respectant la volonté des signataires de modifier un certain nombre de pratiques « POUR UN NOUVEAU MODELE ECONOMIQUE ET SOCIAL AU SERVICE DE LA COMPETITIVITE DES ENTREPRISES ET DE LA SECURISATION DE L’EMPLOI ET DES PARCOURS PROFESSIONNELS DES SALARIES », selon le titre de l’accord.
De cet examen, il est possible de déterminer cinq groupes de propositions visant à donner un équilibre général au projet de loi sans remettre en cause l’esprit de l’Accord basé essentiellement sur la dynamisation du dialogue social à tous les niveaux de son expression.
En résumé, il s’agit de :
1 Sécuriser les droits individuels des salariés en particulier pour ce qui concerne les modifications affectant les limites à leur mobilité interne et externe, et donc leur contrat de travail, par un cadre conventionnel solide Le principe retenu sera d’encadrer des modifications du contrat de travail du salarié :
- par des accords majoritaires à 50% ;
- par l’intervention du CE et du CHSCT, dans leur agrément et leur suivi,
- par le principe du licenciement économique de ceux qui refuseront la modification de leur contrat de travail.
2 Conforter les Institutions Représentatives des Personnels dans leur rôle d’acteurs d’un dialogue social redynamisé par le projet de loi en complétant leurs moyens d’action tout en précisant les procédures de leur mise en œuvre.
D’abord, les accords pour l’emploi conduisant à des régressions momentanées mais fortes des conditions de travail et de rémunération pourraient être conclus par des salariés mandatés par des Confédérations syndicales. Le mandatement est à rejeter, la maturité syndicale reste seule en mesure de prendre de telle responsabilité.
Ensuite, la nouvelle information sur la stratégie de l’entreprise introduit la notion d’expertise payée en partie par le Comité d’Entreprise. Le principe est aussi bien en France qu’au sein de l’Union Européenne, le paiement intégral de l’expert par l’employeur. Il faut conserver l’intangibilité de ce principe sinon on introduit une discrimination entre CE riche et CE pauvre.
Enfin, l’avis d’un CE ou d’un CHSCT ne peut pas être considéré rendu au regard du seul respect d’un délai. La notion d’information suffisante délivrée par l’employeur doit au contraire être réaffirmée en la plaçant sous le contrôle du Juge.
3 Faire évoluer le cadre juridique des plans sociaux (PSE) mais en mesurant les dérives possibles d’un tel changement : déconsidérer l’Administration du Travail en l’asphyxiant, créer de nouveaux motifs de contentieux, réactiver la dérive du Droit Administratif, ranimer la contestation du Juge Administratif notamment par la CEDH.
4 Améliorer des dispositions nouvelles : préciser certaines dispositions nouvelles, renforcer leur dynamique.
Il s’agit principalement d’améliorer l’anticipation pour l’emploi, véritable outil de sa sécurisation pour les salariés.
D’une part, les sous-traitants devront être obligatoirement, et non selon une simple possibilité, être associés aux accords de Gestion prévisionnelle de l’emploi et de Compétences (GPEC) des donneurs d’ordre.
D’autre part, la GPEC dans les territoires constituera grâce à des dispositions spécifiques supplémentaires, un levier puissant de l’action pour l’emploi et de dialogue social de proximité.
5 Inciter à étudier l’impact des dispositions nouvelles :
- Créer un observatoire parlementaire de la mise en application de l’accord (suivi des dispositions législatives et conventionnelles et impact sur la sécurisation de l’emploi et la compétitivité).
- En matière de taxation des CDD par une évaluation de ses conséquences sur le travail précaire au bout d’un délai de 3 ans.
La faiblesse de la taxation des CD d’usage, l’exemption accordée à l’intérim semble vider d’une grande partie de sa substance cette nouvelle disposition. L’étude d’impact viendra confronter ces suppositions à la réalité des faits.
II Les engagements
Le Conseil Fédéral d’EELV a procédé à une lecture attentive de « l’accord interprofessionnel pour un nouveau modèle économique la sécurisation de l’emploi et la compétitivité des entreprises » et de sa transcription dans la loi. Cette lecture a pris en compte le contexte dans lequel la négociation et la signature de l’Accord sont intervenues.
Premier pas pour un dialogue social responsable de part et d’autre, avancées pour un mieux disant social en matière de formation et de protection sociale, mais déséquilibre encore persistant dans les rapports entre le salarié et son employeur, telles sont les trois grandes caractéristiques de ce texte et du projet de sa traduction législative.
C’est ce déséquilibre source de problèmes pour les salariés dans leur vie professionnelle et personnelle et d’embrouillamini juridiques auxquels EELV veut contribuer à remédier par un travail parlementaire déterminé et vigilant. Nos amendements seront en adéquation avec l’esprit du texte : améliorer le dialogue social pour une démocratie sociale vivante et constructive.
Le Conseil Fédéral,
- réaffirme l’engagement d’EELV en faveur de la démocratie sociale et de la protection des salariés dans leur emploi et dans leurs conditions de travail ;
- rappelle qu’EELV inscrit ses relations et alliances avec les organisations syndicales dans une perspective de long terme appuyée sur la nécessaire reconstruction de la démocratie sociale et la perspective de la transformation écologique de la société ;
- considère que, si le projet de loi soumis au Parlement doit tenir compte du sens de la négociation, il est du devoir de la représentation nationale d’y apporter les modifications qui renforcent la protection des salariés et de leurs emplois, et au regard des engagements européens et internationaux de la France ;
- encourage les instances d’EELV à promouvoir les propositions faites pour que la Démocratie sociale soit respectée et que les principes du Droit du Travail continuent à protéger les salariés dans leur emploi et dans leurs conditions de travail ;
- invite les Parlementaires écologistes :
- à poursuivre la démarche de concertation qu’ils ont initiée avec l’ensemble des parties prenantes, signataires ou non et à porter les améliorations de ce texte en faveur des salariés et des précaires ;
- promouvoir et enrichir les propositions qui ont été faites au cours de l’examen détaillé du projet de loi jointes à cette motion.
- à amender nécessairement par le travail parlementaire un texte trop déséquilibré et insuffisamment sécurisant pour les salariés les plus fragilisés par la crise, notamment sur les modalités de choix de la complémentaire santé, la représentativité dans les accords du maintien dans l’emploi, l’encadrement de la mobilité, la sécurisation du temps partiel, le juge judiciaire. Ces améliorations conditionneront le soutien d’EELV.
- invite les Parlementaires écologistes :
- prend date pour qu’au prochain conseil fédéral une analyse soit faite du suivi de l’accord.
Pour : 80 ; Contre : 5 ; Blancs : 15
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Annexe
L’ANI : ENJEUX ET LIMITES
Liminaires :
Avant d’analyser les éléments les plus problématiques de l’accord, il est nécessaire de replacer celui-ci dans un contexte plus général. En effet, l’erreur serait de limiter notre analyse au texte de l’ANI stricto sensu. Car l’accord d’aujourd’hui s’inscrit à l’intérieur d’un mouvement cohérent qui, au nom de l’emploi et de la compétitivité des entreprises, fragilise le rapport salarial en déconstruisant progressivement des pans entiers du pacte fordiste. La déconstruction de notre modèle social se traduit par :
- – la précarisation des salariés et la baisse tendancielle des rémunérations
- – l’abandon de toute ambition en matière de RTT (depuis la crise de 2007, la France est le pays européen où le temps de travail a le moins baissé)
- – le recul, par palier, de l’âge de la retraite (qui n’en doutons pas fera partie des prochaines négociations sur le financement de la retraite)…
Ces derniers mois, autour du rapport Gallois, le débat a été dominé par la question de la compétitivité de notre appareil industriel. Dans ce débat, l’accent a été mis sur le coût du travail, jugé trop élevé dans notre pays. Aujourd’hui, le gouvernement soutient l’ANI que le MEDEF considère comme un bon accord car conduisant à des« modalités nouvelles et simples qui permettront une adaptation rapide et sécurisée des entreprises aux évolutions de leur carnet de commandes et de la conjoncture ». Tout cela fait système : baisse du coût du travail, flexibilité renforcée, remise en question du contrat de travail, inversion de la hiérarchie des normes, allongement du temps de travail…On se souvient d’ailleurs du Contrat Nouvelle Embauche (CNE) de 2005 ou de la Rupture Conventionnelle des CDI (RC) de 2008 qui poursuivaient des buts identiques : faciliter et sécuriser juridiquement la rupture du contrat de travail au nom de l’ajustement aux fluctuations du marché. Depuis des années, le patronat français (petit ou grand) considère que le manque de flexibilité du marché du travail péjore notre compétitivité-prix et freine la création d’emplois. « Nous avons besoin de flexibilité pour recréer des emplois » (L.Parisot). Or cette flexibilité externe existe déjà (voir les enquêtes de la DARES sur la nature des recrutements, la progression des CDD très courts, le recours massif à l’intérim, les multiples modalités de rupture des CDI, notamment l’explosion des ruptures conventionnelles qui sont loin de résulter d’une volonté « équilibrée » des parties inégales dans le contrat de travail,…). « La France est l’un des pays européens qui a le plus recours aux contrats inférieurs à trois mois : ils concernent 5,8% des emplois » (G.Duval), comme existent de nombreux dispositifs de flexibilité interne (annualisation du temps de travail, temps partiel).
C’est à partir de ce contexte général que l’accord national interprofessionnel pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés doit être analysé. Un contexte où il est rarement question de souffrance au travail, d’inégalités professionnelles, de pressions managériales…
1) L’ANI marque une étape dans la reconnaissance de la négociation collective et de la démocratie sociale ?
Nous ne partageons pas cette idée. Bien entendu, la négociation collective doit être privilégiée mais dans un cadre permettant l’expression des intérêts d’une majorité de salariés.
Or cet accord est aujourd’hui validé par 3 organisations syndicales ne représentant aux dernières élections prud’homales que 38,7% des salariés quand un accord national de cette importance (qui bouleverse une partie des équilibres contractuels) devrait être signé par une majorité incontestable. D’autre part, le rôle du parlement ne peut se limiter à traduire rigoureusement dans la loi, les termes d’un accord signé par quelques partenaires sociaux. En tant que garant de l’intérêt général le politique est fondé à pouvoir s’exprimer et modifier l’équilibre général, s’il le juge nécessaire. Car comme le souligne A.Supiot « Il faut se défaire des illusions du tout contractuel. Loin de désigner la victoire du contrat sur la loi, la contractualisation de la société est bien plutôt le symptôme de l’hybridation de la loi et du contrat et des manières féodales de tisser le lien social ».
2) L’ANI instaure de nouveaux droits aux salariés ?
En effet, l’extension de la couverture santé, les droits rechargeables à l’assurance-chômage, la majoration de la cotisation d’assurance chômage dans le cas des contrats courts afin de limiter leur utilisation, la création d’un compte individuel de formation, l’encadrement limité du temps partiel…représentent des avancées.
Pour autant certaines de ces avancées sont conditionnées à des négociations ultérieures :
- – comme pour l’article 3 (article 6 du projet de loi) sur les droits rechargeables à l’assurance-chômage dont la mise en œuvre interviendrait sous réserve de ne pas aggraver « le déséquilibre financier du régime d’assurance-chômage » et après que les paramètres de ces droits rechargeables aient été déterminés par la future convention assurance chômage à négocier courant 2013. Dès lors il y a un fort risque de voir les chômeurs et eux seuls mis à contribution pour financer cette mesure.
- – ou pour la couverture santé (article 1 du projet de loi) qui devrait être mise en place au plus tard avant le 1 janvier 2016.
Par ailleurs :
- – l’accord prévoit (article 18 du projet de loi) l’expérimentation dans trois secteurs et pour des entreprises de moins de 50 salariés, du CDI intermittent, sans obligation de conclure préalablement un accord collectif, avec un temps de travail annualisé (« le contrat indique, le cas échéant, que la rémunération versée mensuellement au salarié est indépendante de l’horaire réel effectué ») fixé par l’employeur et sans qu’aucune indemnité ne compense la précarité de ce type d’emploi. Il n’y a pas non plus de progrès dans la sécurisation de l’emploi car l’ANI ne prévoit aucune obligation de proposer un enchaînement de CDII entre plusieurs employeurs permettant de travailler plus longtemps dans l’année. Ni aucune obligation de négocier la mise en œuvre du CDII sur un bassin d’emploi, ce qui est pourtant un moyen efficace de faire émerger des offres non pourvues.
- – l’encadrement du temps partiel (article 8 du projet de loi) introduit une durée minimale d’activité de 24 heures par semaine, celle-ci pourra être lissée sur l’année au bon vouloir de l’employeur « ou, à l’équivalent mensuel de cette durée ou à l’équivalent calculé sur la période prévue par un accord collectif ». Et surtout l’Ani prévoit qu’une durée inférieure pourra être fixée dès lors que le salarié le demandera par écrit. Conditionner une embauche à 16h hebdomadaire par exemple à la signature d’une telle demande sera donc possible.
- – pour la couverture santé (article 1 du projet de loi), la mesure devra faire l’objet de nouvelles négociations dans les branches avant le 1 juin 2013 : « La négociation porte notamment sur la définition du contenu et du niveau des garanties ainsi que la répartition de la charge des cotisations entre employeurs et employés ».
- – Enfin, pour la majoration des contrats courts (article 7 du projet de loi) , qui va dans le bon sens, on peut noter néanmoins que les majorations prévues sont très peu élevées et que les exemptions sont nombreuses, en particulier concernant le travail intérimaire qui pourra remplacer avantageusement les CDD courts. D’autre part, l’article 7 du projet de loi ne fait que poser le principe de la modulation sans précision sur le contenu.
- – La représentation des salariés aux CA des grandes entreprises fait figure de « fausse fenêtre » tant elle est limitée : le seuil est très élevé (+ 5000 salariés en France) et le pouvoir d’influence du seul élu du personnel (ou 2 si le CA a plus de 12 membres) sera inexistant. Rappelons qu’actuellement les Comités d’Entreprise des entreprises de + 50 salariés peuvent désigner 2 à 4 représentants au CA, certes avec un rôle consultatif. L’ANI n’enclenche là aucun seuil nouveau, sauf à la baisse pour la mise en œuvre concrète des droits dans les entreprises qui viennent d’élire des représentants du personnel et qui auront 1 an pour leur donner les informations utiles à leurs missions. Curieux pour des partisans du dialogue social !
3) L’ANI accorde plus de souplesse aux entreprises ?
Plusieurs articles marquent un net recul des protections du salarié :
- – art 15 portant sur la mobilité interne
- – art 18 consacré aux accords de maintien dans l’emploi
- – art 20 relatif au licenciement de 10 salariés et plus dans les entreprises de plus de 5O salariés
Avec l’article 15 (article 10 du projet de loi), il s’agit d’instaurer une sorte de mobilité forcée du salarié dès lors que l’entreprise le décidera. Quand un salarié peut encore, aujourd’hui, refuser un changement important de ses conditions de travail ou de son lieu de travail (considéré comme une modification de son contrat de travail), avec l’ANI le refus de la mobilité par un salarié n’entraîne plus son licenciement économique mais un licenciement pour motif personnel. D’autre part, les limites fixées à la mobilité géographique ont disparu et les mesures d’accompagnement sont renvoyées à la négociation d’entreprise.
Avec l’article 18 (article 12 du projet de loi), les accords compétitivité-emploi chers à Sarkozy deviennent des accords de maintien de l’emploi. La philosophie est la même : permettre aux entreprises traversant des difficultés conjoncturelles (dont on ne définit pas le sens) de modifier les durées du travail ou le montant des salaires en échange du maintien dans l’emploi. Si l’accord est signé par des organisations syndicales représentant plus de 50% des voix aux élections professionnelles, le salarié ne pourra pas refuser la modification de son contrat de travail (augmentation ou diminution de ses heures/réduction de son salaire). En cas de refus, son contrat est rompu et est considéré comme un licenciement individuel pour motif économique. Mais cette reconnaissance est immédiatement vidée de contenu puisque l’ANI supprime l’obligation de faire un PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi) au profit de vagues « mesures de reclassement » à négocier dans l’accord. En contrepartie, « l’accord prévoit les conséquences d’une amélioration de la situation économique de l’entreprise sur la situation des salariés ».
Avec l’article 20 (article 13 du projet de loi), la procédure de licenciement pour motif économique est allégée (nombre et calendrier des réunions avec les IRP, liste des documents à produire, l’ordre des licenciements ou le contenu du PSE). L’employeur a le choix de chercher :
- – soit un accord collectif majoritaire
- – soit faire appel à une procédure d’homologation administrative via la Direecte qui dispose de 21 jours pour se prononcer. A défaut d’une réponse, la procédure est considérée homologuée. En donnant le pouvoir de contrôle à l’administration du travail, qui n’aura pas les moyens de l’exercer réellement dans le bref délai imparti, l’ANI organise la neutralisation du juge judiciaire, conformément aux vœux du Medef dont c’était l’une des toutes premières préoccupations (voir analyse du Syndicat de la Magistrature).
Avec ces trois articles, le patronat va disposer de moyens supplémentaires significatifs, lui permettant d’ajuster les effectifs ou l’organisation du travail comme bon lui semblera.
4) Qu’en est-il des voies de contestation ou de recours possibles ?
Depuis longtemps « ce qui gêne les employeurs, ce sont les procédures de licenciement économique qu’ils jugent trop longues et trop risquées juridiquement. C’est le seul point où il reste une rigidité sur le marché du travail français » (Alternatives économiques). Or avec l’ANI les voies de contestation sont réduites :
– l’article 26 (article 16 du projet de loi) prévoit que le délai de contestation d’un salarié à propos de l’exécution ou de la rupture de son contrat passe à 2 ans contre 5 ans aujourd’hui.
– l’employeur, nous l’avons vu, pourra imposer une réduction du temps de travail ou une diminution du salaire dans le cadre « d’accords de maintien dans l’emploi », et le refus du salarié entraînera son licenciement, dont le motif économique, présumé, ne pourra pas être contrôlé par le juge.
– l’article 25 (article 16 du projet de loi) tente d’orienter les salariés vers un système d’indemnisation forfaitaire en bureau de conciliation devant les prud’hommes afin de limiter les contestations au fond et de baisser fortement l’indemnisation dans de nombreux cas, moyennant une « garantie » d’obtenir une indemnité plus rapidement. Encore un progrès de la marchandisation des droits sociaux…
Rajoutons à cela, l’affaiblissement du rôle du Comité d’Entreprise (modalités d’information et de consultation, financement de 20% par le CE du coût d’une expertise) ou la décision de renvoyer à un examen plus approfondi, avec le concours des pouvoirs publics, la question des conséquences de la violation des règles de forme prévues par le Code du travail. Depuis des années, le patronat conteste qu’un salarié puisse obtenir une décision de justice favorable (indemnisation) pour une irrégularité de forme ou de procédure.
4) L’ANI doit favoriser la création d’emploi ?
Non, car rien n’indique une corrélation entre flexibilisation du marché du travail et niveau de l’emploi. Même l’OCDE, pourtant favorable aux thèses libérales, reconnaît que « les nombreuses évaluations auxquelles cette question a donné lieu, conduisent à des résultats mitigés, parfois contradictoires et dont la robustesse n’est pas toujours assurée » (OCDE). Ce qui est certain, par contre, c’est que la plupart des pays européens connaissent une montée de la précarité frappant spécialement les jeunes et les femmes (80% des salariés à temps partiel sont des femmes, elles représentent 75% des bas salaires, leur taux d’indemnisation du chômage est inférieur à celui des hommes…). Cette question de l’égalité entre les femmes et les hommes ou entre les classes d’âge, qui devait être abordée par les négociateurs, n’a donné lieu à aucune discussion.
Conclusion : En l’état (mais difficile, après 4 mois de négociations « scénarisées », d’imaginer un retour vers un meilleur équilibre des termes de l’accord), l’ANI marque un recul du droit du travail censé protéger les salariés et pacifier les relations sociales consubstantiellement déséquilibrées. Il privilégie et favorise la négociation de branche et d’entreprise (CFDT??). Il participe de la doxa libérale qui préconise une simplification des procédures via la déréglementation. « L’uniformité de statut du travailleur salarié a fait place à une individualisation toujours plus grande de sa condition juridique, compte tenu de la décentralisation des sources du droit (promotion du droit conventionnel, développement de la négociation d’entreprise…) » (A.Supiot). Ainsi la multiplication des accords dérogatoires d’entreprise, qui se substituent à la réglementation étatique, montre que la négociation s’est déplacée du collectif vers l’individuel. Le privilège accordé à la négociation d’entreprise (contre la négociation de branche) conduit, dès lors, à une fragmentation des statuts et à la multiplication des situations particulières.
« Il n’a rien d’un compromis où seraient pris en compte les intérêts des salariéEs » (Fondation Copernic). Dans un contexte particulièrement défavorable aux salariés, il va faciliter les licenciements, augmenter la pression sur les salariés, réduire leurs capacités de résistance ou de contestation devant le juge. Au final, c’est un accord déséquilibré qui réduit considérablement le contrôle du juge sur l’exécution et la rupture du contrat de travail, qui accorde plus de souplesse aux entreprises sans réellement sécuriser l’emploi. Beaucoup de flexibilité d’un coté, en échange de quelques garanties pour le salarié qui sort. « Nombre des prétendus droits nouveaux obtenus par les salariés (…) apparaissent à l’analyse n’être que la faible contrepartie de leur renonciation à défendre la cause de l’emploi » (D.Meda).
Bref le verre est aux 3/4 vide. Il revient aux parlementaires, garants de l’intérêt général et des équilibres sociaux parfois négligés par les intérêts particuliers, de le remplir !