Débat sur les maladies émergentes : intervention d’Aline Archimbaud

Intervention Aline Archimbaud
Débat sur les maladies émergentes

Mercredi 23 Janvier 2012

Madame la Ministre,

Monsieur le Président de séance,

Monsieur le Président de la délégation sénatoriale à la prospective,

Madame Keller,

Mes chers collègues,

Je souhaite tout d’abord remercier les membres de la délégation sénatoriale à la propective pour l’excellent travail fourni sur l’enjeu technique et complexe mais néanmoins crucial que sont les maladies émergentes. Je pense bien sûr au rapport très documenté rédigé par Madame Fabienne Keller. Mais également à cette occasion qui nous est donnée, aujourd’hui, d’en débattre.

Comme mes collègues l’ont rappelé avant moi, les maladies émergentes sont à l’origine chaque année de 14 millions de décès dans le monde. Ces maladies, parmi lesquelles les tristement célèbres VIH, SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère), virus Ebola ou encore grippe H5N1, sont responsables de 43% du total des décès constatés chaque année dans les pays du Sud, et leur incidence a augmenté de 10 à 20% ces quinze dernières années dans les pays du Nord (+12% en France).

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En tant que sénatrice écologiste, je me permets de mettre l’accent sur quelques caractéristiques de ces maladies émergentes qui m’ont interpellée.

En me documentant, j’ai en effet réalisé que des phénomènes que nous, écologistes, combattons depuis des années, amplifient la rapidité du développement de ces maladies émergentes. C’est aujourd’hui une certitude scientifique : les atteintes à la biodiversité, le changement climatique, la déforestation ou encore l’agriculture et l’élevage intensifs favorisent l’apparition ou la réapparition (lorsque la maladie avait disparu d’une région) de ces maladies.

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Tout d’abord, il est prouvé que la régression de la biodiversité et la disparition de certaines espèces animales « protectrices » (des prédateurs de rongeurs, par exemple) libère des niches écologiques pour les espèces invasives, ce qui favorise l’éclosion et la propagation des maladies infectieuses.

Plusieurs chercheurs, dont la zoologue Kate Jones, insistent d’ailleurs sur le fait que la biodiversité et sa gestion conservatoire et restauratoire sont des moyens de limiter le risque d’épidémie et de pandémie.

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Outre la biodiversité, le changement climatique avec les modifications des précipitations, de l’humidité et de la température qu’il entraîne, joue également un rôle majeur dans l’accroissement des maladies émergentes.

Il influence en effet les aires de distribution des espèces qui ont tendance à s’étendre à des altitudes et à des latitudes de plus en plus élevées. Cela a pour conséquence de perturber la composition des écosystèmes et les interactions des espèces entre elles. Le changement climatique intervient en conséquence sur la répartition, l’abondance, le comportement, les cycles de reproduction, la dynamique, le système de défense ou encore la structuration génétique des populations d’espèces vectrices et réservoirs.

Comme on attend, dans les années à venir, une augmentation significative de la température, il faut donc envisager parallèlement l’extension géographique de nombreuses maladies infectieuses et notamment celles transmises par des animaux vecteurs (paludisme, dengue).

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Par ailleurs, l’urbanisation, la déforestation et la fragmentation des forêts, ainsi que l’intensification de l’agriculture et de l’élevage favorisent également l’accroissement des maladies infectieuses émergentes.

Par exemple, l’augmentation d’élevages intensifs plus sensibles aux maladies (porc, volaille…) entraîne l’extension des zones où vivent des espèces vecteurs ou des réservoirs d’agents pathogènes.

De même que la récente sélection génétique des plantes les rendent plus sensibles à certains virus.

Des illustrations concrètes de ces phénomènes viennent étayer cette thèse, comme celle que nous fourni le virus Junin, responsable de la fièvre hémorragique d’Argentine, et dont la propagation a été accentuée par la transformation massive, dans ce pays, des terres de pampas, zones aux herbes hautes, en champs de maïs.

Cela a en effet eu pour effet de favoriser la pullulation de rongeurs, rats du genre Calomys, qui servent de  » réservoirs  » à ce virus, et qui étaient auparavant naturellement régulés par les autres espèces qui vivaient dans les pampas. Et entraient donc peu en contact avec la population humaine.

Or, depuis plus d’un siècle la culture du maïs, amplifiée par l’utilisation d’herbicides, a entraîné la disparition progressive de ces zones naturelles. La fièvre hémorragique d’Argentine, jusque-là silencieuse, est donc devenue épidémique. L’introduction des moissonneuses a encore augmenté les risques en produisant des aérosols contaminés par les rongeurs infectés et les déjections. Et en quelques années, la fièvre hémorragique s’est fortement étendue sur le territoire argentin. Elle fait aujourd’hui 15000 victimes par an chez les travailleurs agricoles, et est mortelle dans environ 30% des cas.

De la même manière, je pourrais vous citer l’exemple du virus de l’encéphalite japonaise, dont des chercheurs français ont prouvé que l’amplification et la dissémination à tout le continent était due à l’extension d’élevages intensifs de porcs et de cultures en rizières en Asie.

En effet, les cultures en rizières représentent de nouveaux habitats très propices au développement des larves des moustiques, tandis que les élevages intensifs de porcs, de faible diversité génétique et peu résistants, deviennent des terrains d’accumulation de la maladie.

Dernier exemple sur ce point : en Afrique de l’Est, les cultures de riz en continu tout au long de l’année ont favorisé la propagation du virus de la panachure jaune du riz, alors que des méthodes plus traditionnelles pratiquaient l’alternance. Et le recours à des variétés exotiques productives certes, mais quasi toutes identiques génétiquement et très sensibles au pathogène, ont rendu les cultures très vulnérables.

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Avant de conclure, je ne veux pas oublier la résistance bactérienne, elle aussi en augmentation. Le cas des virus résistants aux médicaments, ou de leurs vecteurs résistants aux pesticides, représente environ 20% des 335 maladies émergentes étudiées en février 2008 par une étude mondiale sur les maladies émergentes humaines publiée dans le magazine Nature.

Beaucoup de maladies émergentes sont en fait d’anciennes maladies devenues antibiorésistantes (dont par exemple la tuberculose).

On estime aujourd’hui que 25 000 malades porteurs d’infections multirésistantes meurent chaque année en Europe, et des services complets de chirurgie ont du être fermés en raison de l’installation durable de germes résistants. Cette recrudescence s’explique à la fois par la généralisation des antibiotiques dans les soins vétérinaires et humains, mais aussi dans la nourriture animale.

En cela, nous ne pouvons que regretter que la disposition de la loi Kouchner, qui avait prévu un médecin responsable de la modération de l’usage des antibiotiques dans chaque hôpital, n’ait finalement jamais été mise en œuvre.

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Finalement, il ne faut pas perdre de vue que les microbes sont les compagnons de route de l’humanité et que tous ne sont pas pathogènes. Il est même probable que les virus aient participé à l’évolution des espèces, et il est donc ni possible ni souhaitable de tous les éradiquer.

L’hyperstérilisation de notre environnement n’est de toute manière pas souhaitable. D’une part parce qu’il nous faut forger nos défenses. D’autre part parce que certains milieux homogènes de l’agroalimentaire, ou des modes réfrigérés de conservation favorisent l’émergence et la prolifération des listerias à la moindre contamination.

En tant que sénatrice écologiste, je considère donc que l’urgence, en matière de lutte contre les maladies émergentes, est donc la régulation très encadrée de l’antibiothérapie, ainsi que la protection accrue de la biodiversité et la lutte contre la déforestation, l’agriculture et l’élevage intensifs et les changements climatiques.

Malheureusement, les négociations internationales sur la biodiversité et le climat se traduisent souvent par des avancées insuffisantes au regard de l’urgence des enjeux, en témoignent les échecs relatifs des conférences d’Hyderabad et de Doha en octobre et novembre 2012.

Plus largement, et ce seront mes derniers mots, le bon état sanitaire d’une population étant le premier barrage à la maladie, les objectifs de la lutte contre la pauvreté, l’accès aux soins des précaires et des sans papiers doivent rester, en toute circonstance, une priorité, en France et à l’international.

Et cela même au delà du seul enjeu des maladies émergentes : on meurt encore dans des proportion inquiétantes dans certains pays de maladies non émergentes, telles que la rougeole, le paludisme dans sa forme simple, de maladies diarrhéiques liées à l’eau, ou même tout simplement de la faim.

Merci de votre attention

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