(CNE) Ethique relationnelle et changement de posture dans le rapport au pouvoir
AVIS du CNE
1) Le Comité national d’éthique a été saisi par le CPR de la région Rhône-Alpes d’une demande d’avis concernant des attitudes et des propos rendus publics à l’occasion des élections législatives dans la première circonscription de Lyon.
2) Le CNE ne se considère pas compétent pour traiter de l’aspect directement juridique de cette saisine puisque le texte du Rhône évoque la nécessité de « ne pas laisser impunie » une telle attitude. Ce volet de la saisine relève davantage d’une instance de type conseil statutaire ayant des pouvoirs juridictionnels.
3) En revanche cette situation est révélatrice de comportements qui peuvent être à terme destructeurs pour une organisation politique entendant « faire de la politique autrement ». C’est toute la question de l’éthique relationnelle qui est ici en jeu et c’est sur ce point que le CNE est concerné.
4) Cet avis s’inscrit dans la perspective, travaillée lors des journées d’été d’EELV, d’un comité national d’éthique qui n’a pas vocation à se positionner en surplomb de l’organisation politique mais comme médiateur et facilitateur d’une capacité des membres d’EELV à conduire un travail éthique sur eux mêmes et leur organisation.
5) Le CNE propose de lancer une réflexion autour de ces questions d’éthique relationnelle et de changement de posture dans le rapport au pouvoir. Le commentaire ci-dessous pourra en constituer l’un des documents de travail.
Commentaire,
Ethique relationnelle et changement de posture dans le rapport au pouvoir
Le texte créant le CNE stipule que celui ci est chargé de veiller à la cohérence des comportements des membres d’EELV par rapport aux valeurs de l’écologie politique. C’est d’emblée affirmer que l’écologie politique ne peut se réduire à un simple projet, ni à une idéologie, mais qu’elle sous-tend des approches éthiques voire « écosophiques » visant à la cohérence des buts recherchés avec les moyens utilisés.
Dans cette approche il existe un changement majeur concernant la gestion des conflits au sein d’une organisation qui se fait un principe de s’interroger sur la qualité de ses comportements (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui). Loin d’être considérés comme menaçant pour la cohésion d’une organisation, les divergences, les désaccords et même les conflits doivent être traités comme des tensions dynamiques sources de progrès pour une collectivité dont l’unité ne va pas sans un sens aigu de la pluralité. Construire un conflit (et à un moindre degré un désaccord) constitue au contraire une alternative à la violence, celle-ci apparaissant précisément au sein de groupes humains lorsque les désaccords n’ont pas été pris en compte et les conflits formés à temps.
La démocratie ne se réduit pas à l’approche quantitative de la loi du nombre (à laquelle se réduit très souvent les décisions des groupements et des assemblées politiques) ; elle progresse vers l’approche qualitative de la citoyenneté qui considère que l’opinion divergente, fut ce d’un seul , doit être prise en compte car elle peut être le fait d’un « lanceur d’alerte » qui met en évidence des éléments importants d’une situation qu’un groupe même quasi unanime n’a pas su prendre en compte. C’est certes évidemment un progrès de ne plus être sous la gouvernance d’un seul ou d’une minorité. Mais la forme purement quantitative de la démocratie ne permet pas de traiter la plupart des questions complexes auxquelles s’affrontent les sociétés contemporaines.
Une « haute qualité démocratique » est donc requise et un mouvement comme EELV, né d’une gestion positive de désaccords antérieurs (concernant notamment l’Europe) a tout à y gagner. Il peut, ce faisant, jouer un rôle anticipateur dans la vie politique qui a le plus urgent besoin de cette mutation pour éviter les dérapages vers des formes de plus en plus dures d’affrontement dont témoigne la progression des thèmes xénophobes au sein de la société française. Cela passe par un changement de posture dans le rapport au pouvoir entendu comme un pouvoir de création démultiplié par la coopération et non comme un POUVOIR sur obsédé par la seule conquête et sa conservation. Le pouvoir y est alors traité comme une énergie renouvelable et non comme un stock de places rares à conquérir. Les élus ne sont pas les vainqueurs d’une compétition pour des postes mais des fédérateurs d’énergie et des « ensembliers » au service de l’énergie créatrice de collectivités humaines. Et les différences, voire les divergences y deviennent des atouts car porteuses d’une richesse de connaissance et d’expériences supérieures aux modalités réductrices d’une unité souvent réduite au plus petit commun dénominateur des membres d’un groupe.
Cela suppose une attention à la forme d’un conflit ou d’un désaccord d’autant plus importante que l’objet de la divergence est important. Une éthique relationnelle suppose en particulier la claire distinction entre des positions, des rôles sociaux que l’on met en cause, et les personnes qui en sont les vecteurs. C’est toute la différence entre la logique de l’ennemi que l’on cherche à éradiquer fut ce symboliquement et celle de l’adversaire qui reste un partenaire au sein même du conflit. Entre un désaccord construit et une divergence qui dérape en violence verbale il y a une différence majeure. De nombreux exemples peuvent en être donnés dans l’histoire déjà longue de l’écologie politique et dans celle plus récente d’EELV.
La forme prise par les critiques énoncées à l’égard de Philippe Meirieu lors du conflit qui a opposé quelques écologistes au candidat commun investi par EELV et le PS quittent ainsi le terrain du désaccord pour générer la forme violente du soupçon ou du procès d’intention non étayé. Que s’est-il passé en amont, au sein même du processus de désignation, pour que les différences et les différends n’aient pas été travaillés, et pour qu’ils soient ressortis de manière brutale et violente ? À l’évidence, les phases d’investiture sont très propices à ce devenir guerrier et au déferlement de la violence (réelle et symbolique à la fois). La question difficile est du coup celle de savoir comment, concrètement, les pratiques peuvent évoluer, pour prendre en compte les valeurs et les principes d’EELV.
Un autre exemple récent est éclairant à cet égard. Il s’agit du contraste entre la qualité du débat sur le traité européen (TSCG) tant aux journées d’été que lors du Conseil national d’EELV et la violence d’échanges de propos ultérieurs concernant le vote du conseil national. D’un côté une approche cherchant à construire le désaccord a permis un débat en grande partie serein et le vote d’un texte commun permettant de faire apparaître l’ensemble des convergences et d’éclairer la nature relative des désaccords formulés moins sur le texte du traité (considéré comme globalement contestable) que sur le contexte des conséquences d’un vote négatif du Conseil national. De l’autre des propos définitifs et quasi injurieux échangés entre des responsables de haut niveau du mouvement. On comprend bien que la première attitude fortifie le mouvement en montrant qu’il constitue une organisation pluraliste capable de faire vivre une réelle qualité démocratique en son sein alors que la seconde l’affaiblit non seulement à l’extérieur (les medias sont malheureusement avides des petites phrases venimeuses) et plus encore à l’intérieur (sentiment proche du désespoir lié à l’idée qu’il est décidément impossible de faire de la politique autrement).
De tels éléments se traduisent par une forme de « souffrance sociale » qui peut conduire une organisation comme EELV à afficher des gains institutionnels importants en termes de pouvoir institué et une perte de pouvoir comme énergie créatrice manifestée notamment par le départ de nombreux adhérents et le doute sur le sens même du projet porté par le mouvement.
En ce sens l’éthique relationnelle ne relève pas, pour EELV, d’un « supplément d’âme » mais d’un élément central d’une autre approche de la démocratie, d’une autre posture dans le rapport au pouvoir. L’écologie politique ne vise pas seulement à sortir les collectivités humaines d’un rapport guerrier à la nature, mais également d’un rapport guerrier avec elles-mêmes.