Interventions au Sénat sur les conclusions de la Conférence de Durban

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Intervention de Ronan Dantec, suivie de celle de Corinne Bouchoux (sénateur et sénatrice membres du Groupe écologiste), dans le cadre du débat sur l’état des négociations internationales climatiques et les conclusions de la Conférence de Durban
Mardi 17 janvier 2012

Mme la Ministre,
Mme la Présidente,
Chers collègues,

A la Conférence de Durban de décembre, les grands émetteurs de CO2 de la planète ne se sont pas entendus sur des réductions d’émissions rapides et des niveaux conformes à la demande des scientifiques. Ce n’est pas une nouvelle, deux ans après l’échec de Copenhague, le renforcement des engagements des Etats n’était pas sur la table de la négociation de Durban. C’est évidemment préjudiciable, nous savons que des millions de personnes en souffriront concrètement, nous accumulons un retard qui rend bien plus difficile l’objectif final d’une stabilisation du climat aux alentours des plus 2°C, mais aucun observateur sérieux ne pouvait s’attendre à un résultat de ce type à cette conférence.
Je suis donc convaincu que cela ne sert à rien de ressasser cette déception, aussi profonde soit-elle, sinon à conforter la démobilisation des acteurs de terrain et des opinions publiques – dont le scepticisme se nourrit tant déjà des images déprimantes de négociations interminables menées par des délégués épuisés par l’accumulation des nuits blanches. Je suis les négociations climatiques depuis plusieurs années comme porte-parole des réseaux mondiaux de collectivités locales.
Nous n’avons pas de plan B : la négociation multilatérale est la seule voie possible, même si elle est encore aujourd’hui obstruée par la superposition des intérêts et égoïsmes nationaux. Aussi, il ne s’agit déjà plus de qualifier Durban d’échec ou de pas significatif. Peu importe. Il s’agit maintenant de s’investir résolument dans le contexte et le calendrier décidés en Afrique du Sud.
C’est vrai que nous n’avons pas sauvé la planète à Durban mais nous avons maintenant un cadre clair, un calendrier, un chemin acté pour rechercher un accord qui associera tous les grands pays émetteurs de gaz à effet de serre. Et ça n’allait pas de soi il y a encore quelques mois!
Des lignes ont bougé à Durban. Incapable de se faire respecter deux ans plus tôt, l’Europe a retrouvé un certain leadership. A ceux qui la croyaient hors-jeu pour cause d’endettement de ses Etats membres, elle a répondu en abandonnant son attitude de bon élève toujours prêt à en faire plus, comme elle l’avait fait à Copenhague avec sa proposition d’un engagement de réduction de ses émissions de 30% en 2020 en échange d’un accord mondial. Elle a montré les dents et menacé de saborder le Protocole de Kyoto, qu’elle avait pourtant porté à bout de bras. Et cette attitude a payé. Rejointe par les petits Etats insulaires et les pays les moins avancés, elle a rallié à ses propositions près de trois cinquièmes des Etats présents, effaçant Copenhague, où les pays du Sud (le G77) mené par la Chine avaient fait bloc. Interpellée par cette nouvelle coalition, la Chine a semblé hésiter à Durban. Si elle a finalement dit oui, et non sans quelques ambiguïtés, c’est probablement pour éviter de se couper de ses amis du Sud, mais sans doute autant par crainte, tout simplement pourrait-on dire, du changement climatique. La Chine est un pays fragile, très exposé aux conséquences de ce dérèglement, et son niveau d’émissions ne lui permet plus guère de jouer uniquement sur une « responsabilité commune et différenciée », qui remontait aux premiers temps de la révolution industrielle et des canonnières à charbon sur le Yang-Tsé-Kiang. Elle doit agir, elle le sait, et la construction de son propre marché carbone intérieur est une nouvelle importante même s’il restera évidemment à en vérifier l’efficacité. Elle a donc décidé à Durban de se rallier aux demandes européennes, à un horizon 2015 qu’on peut juger lointain et incompatible avec les études du GIEC, mais c’est quand même une perspective et un acquis de cette négociation. L’Inde n’a certes pas facilité la négociation, les oppositions américaines n’ont pas disparu, et je n’oublie évidemment pas l’annonce du Canada de se retirer du Protocole de Kyoto, mais cette nouvelle donne internationale, ces nouvelles coalitions qui se dessinent, rouvrent le jeu pour un accord « légal » en 2015.

La seule question qui nous intéresse aujourd’hui, et je tiens à insister sur ce point, est donc bien de savoir comment réussir cette nouvelle négociation qui sera lancée dans les mois qui viennent. L’erreur de Copenhague a été de penser que l’accord climatique, qui sous-tend de fait les modèles économiques et sociaux du XXIème siècle, pouvait être dégagé des autres régulations, en particulier financières, dont le monde a un besoin absolu. Faute d’une vision claire sur ce que peut être ce point d’équilibre entre anciens et nouveaux pays développés, la négociation climat est restée ballotée au gré des intérêts nationaux. Ils ne disparaitront jamais totalement mais une vision mieux partagée est nécessaire à la réussite de cette négociation. Lier les différentes régulations est la clé. Nous devons y réfléchir collectivement, dépasser les a priori, poser de nouveaux paradigmes autour du rééquilibrage économique inéluctable entre anciens et nouveaux pays développés, sortir de ce monde de spéculation financière et de compétition exacerbée qui s’est montré incapable de générer ses propres régulations. Le défi intellectuel est considérable, nécessite d’amener les experts du climat et de l’OMC, les ONG et les financiers, à se confronter. Quatre ans représentent finalement un temps court au vu de cette ambition, et le Sommet Rio+20 de juin prochain peut être le rendez-vous propice pour engager cette démarche.

Le deuxième enjeu de cette nouvelle phase de négociations est sans aucun doute de développer sans tarder le Fonds vert, principale promesse, à hauteur de 100 milliards de dollars en 2020, des pays développés à Copenhague. Durban a accouché laborieusement d’un mécanisme de gouvernance. Il faut maintenant le doter financièrement, même si nous sommes nous-mêmes en grande difficulté financière, pour construire une nouvelle confiance mondiale, fondement incontournable de tout accord. Cela doit rester une priorité car elle conditionne l’avenir de la planète. Une opportunité concrète reste d’ailleurs sur la table de la négociation climatique, celle d’abonder le Fonds vert par une taxation des transactions financières. J’ai déjà eu l’occasion d’interpeller dans cet hémicycle M. Leonetti sur ce point et, puisqu’une taxation des transactions financières fait toujours partie, Mme la Ministre, du calendrier de votre gouvernement, j’espère que vous aurez l’occasion d’ouvrir le débat sur le lien entre ces deux enjeux. Lier les enjeux est au cœur de la solution face aux différentes crises que nous affrontons aujourd’hui. Débarrassée des lobbyistes de la City de Londres, l’Europe peut être ici terre d’expérimentation et montrer la voie.
Et il y a d’autres raisons d’espérer. La négociation internationale est un enjeu majeur mais elle n’est pas la totalité de l’action contre le changement climatique et il est essentiel de renforcer les dynamiques concrètes dans les quatre années qui viennent. Les filières des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique se mettent en place et la sortie annoncée du nucléaire dans nombre de pays va doper leur développement. Ce gisement d’emploi doit être soutenu, c’est pour l’Europe l’une des principales opportunités de création massive d’emplois et de sortie de crise. Rio+20 évoquera aussi cette question de l’économie verte, nous devons y porter une grande attention mais je ne peux que regretter ici que la baisse non concertée, massive et brutale, du tarif d’achat a désorganisé totalement la filière photovoltaïque en France. Quel mauvais signal, Mme la Ministre.

 

Les collectivités locales, les villes et les régions, font aussi de plus en plus entendre leur voix dans ces négociations, développent concrètement de nombreuses actions, montrent leur capacité à réduire rapidement les émissions de CO2 sur leurs territoires. Les accompagner est une autre priorité, notamment en trouvant les financements nécessaires à leur action. Permettez-moi de souligner ici la publication, juste avant Durban, de méthodologies qui vont permettre aux villes du sud d’avoir accès aux financements du mécanisme de développement propre (MDP du Protocole de Kyoto). C’est une grande avancée en attendant le Fonds vert. C’est le résultat du suivi dans la durée par les réseaux de collectivités locales de cette négociation et c’est pour moi l’occasion de remercier la France de son soutien constant à une démarche de reconnaissance. En Europe, comme le demandent les réseaux de collectivités locales, il serait légitime que la nouvelle recette, que sera pour les Etats la mise aux enchères des permis d’émissions des entreprises, recette préservée à Durban par l’accord sur une seconde période d’engagement du Protocole de Kyoto, soit affectée prioritairement à l’action locale. C’est un débat que nous aurons l’occasion d’ouvrir. Confortées par ces instruments, les collectivités locales ont les moyens de faciliter et d’accélérer les négociations en faisant la preuve que, à l’échelle de leurs territoires, elles peuvent réduire rapidement et significativement leurs émissions.

Un accord global mariant les régulations mondiales environnementales et économiques, des financements forts pour les pays en développement, premières victimes du changement climatique, et le renforcement de ces dynamiques concrètes de terrain : c’est autour de ce triptyque que se jouera un véritable accord en 2015. Il faut s’y engager résolument, refuser qu’un « climato-pessimisme » ne prenne la place d’un « climato-scepticisme » que nous avions enfin réussi, en Europe, à renvoyer à son obscurantisme scientiste.

Certes, on peut trouver ce propos d’un optimisme béat… Mais avons-nous le choix ? Il faut aujourd’hui montrer à tous ceux, et ils sont nombreux, qui agissent au quotidien pour réduire l’impact d’une catastrophe annoncée que leur engagement n’est pas vain. Toute tonne de CO2 évitée est bonne à prendre, tout ce qui ralentit les phénomènes et soutient l’adaptation est utile. Rappeler que la voie est ouverte, qu’un accord mondial reste possible, et que des mécanismes efficaces vont monter en puissance, c’est redonner à l’action tout son sens. Il ne s’agit pas de perdre toute lucidité sur le nombre d’obstacles qui se dressent encore devant nous mais nous devons être convaincus d’une chose : il n’est pas trop tard ! Ceux qui le disent se trompent ! Le scenario Negawatt récemment publié montre par exemple qu’il est encore possible d’atteindre les objectifs de réduction d’émissions. Mais n’attendons plus et agissons maintenant ! La France et l’Europe doivent continuer à montrer la voix et, au-delà des discours, afficher clairement que l’objectif de -30% d’émissions de CO2 en 2020 en Europe est bien notre ambition minimum et que nous allons nous organiser pour l’atteindre et le dépasser. C’est le message que nous devons porter en 2012, de Rio à Doha.

 

Intervention de Corinne Bouchoux

Tant reste à faire en France, et en Europe et dans le monde.
Le contraste est, en effet, tout à fait saisissant entre la réponse à la crise des banques… et celle nécessitant une véritable volonté politique : nous ne savons ni répondre à la crise européenne, par la mise en place d’un gouvernement économique ; ni répondre à la crise du climat, à travers de vrais investissements dans l’économie verte et une gouvernance adaptée aux enjeux de demain.

1) Mon collègue Ronan Dantec, l’a BIEN souligné : la Conférence de Durban n’a pas été qu’un échec. La prise de conscience de la Chine, de la nécessité d’une action concertée constitue au contraire une bonne nouvelle. Il va de soi pour chacun que nous, pays dits développés, gardons la pleine responsabilité de l’explosion des gaz à effets de serre : à Durban les pays émergents ont reconnu notre dette climatique à leur égard, mais ils ont aussi reconnu que nous ne pourrons ni ne saurons avancer sans eux ;
2) Les pays émergents affirment leur position au niveau des négociations internationales. Ils avancent également, et plus vite que nous sur les énergies renouvelables et les technologies vertes. Qu’attendons-nous ? Qu’attendent la France et l’Europe pour enfin oser se lancer dans les 30% d’objectif de réduction des émissions à effet de serre ? L’Union européenne doit garder son rôle moteur en termes de négociations climatiques internationales, et la France se doit d’être une locomotive avec l’Europe des 27 ;
3) Le gouvernement français ne fait que survoler les défis que nous avons à surmonter. En refusant de sortir du nucléaire, sous prétexte que le coût est trop élevé ; en n’appliquant la législation qu’à hauteur de 75,41% via des décrets d’application ; en oubliant notamment les engagements des Grenelles 1 et 2, le gouvernement ne nous vend rien d’autre que du vent… Quant aux fonds français censés abonder le Fonds vert pour le climat, ils sont en fait constitués dans leur quasi-totalité de prêts qui viennent s’ajouter à la dette de pays jadis sous notre domination coloniale… Qui ont les difficultés que nous savons…

Pour sortir de l’impasse, au sein des conférences internationales, au Parlement européen mais aussi dans la vie politique française, les écologistes ont des propositions concrètes :
a. Mettre fin au paradigme désormais daté du tout nucléaire comme réponse à nos problèmes : celui-ci ne doit plus participer à la production d’électricité qu’à hauteur de 40% en 2020 puis 0% en 2031 ;
b. Investir dans l’efficacité énergétique, ce qui devrait nous permettre de diminuer de 50% notre consommation finale d’énergie d’ici 2050 ; et passera notamment par la rénovation et réhabilitation des bâtiments afin de leur donner une efficacité « secteur 4 » ;
c. En atteignant 100% d’énergies renouvelables dans notre consommation d’énergies d’ici 2050 (c’est tout à fait faisable) ;
d. En mettant en place, ici même, et sans attendre plus d’engagements de la part des autres pays, une fiscalité écologique dotée d’une taxation des transactions financières, des transports internationaux, un ajustement aux frontières lorsque cela est nécessaire ;
e. En promouvant l’agriculture biologique, notamment à travers la restauration collective…

Les pistes sont déjà toutes tracées. Il est de notre devoir de les mettre en place et d’être exemplaires afin de mieux peser dans les négociations internationales.
Gandhi nous l’a déjà dit : « Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde ».
Il s’agit également là, pour la France comme pour l’Union européenne, de retrouver un statut de leader international. Sans nous fâcher avec nos amis allemands avec lesquels nous devons travailler mais avec une logique moins ultra libérale sacrifiant tout aux Diktats des marchés…
La réduction des émissions sur le territoire est un objectif primordial, mais il ne doit pas nous faire oublier les impératifs d’adaptation : même nous arrêtions d’émettre, les conséquences du changement climatique nous heurteraient dans les décennies à venir.
D’où la nécessité, dans les négociations internationales comme dans notre pays, de mettre en place de vraies stratégies d’adaptation, flexibles et adaptables aux aléas climatiques, mises en œuvre à travers et par les acteurs des territoires.
Je soulève notamment les problématiques spécifiques liées à l’agriculture, troisième émettrice de gaz à effet de serre, notamment à travers le méthane dont de nouveaux rapports soulignent chaque jour la nocivité….
L’élevage notamment, nécessite un effort accru et coordonné au niveau européen : plutôt que de faire venir le grain pour nourrir nos vaches, nous les envoyons s’engraisser en Italie et aux abattoirs à l’Est de l’Europe alors que nous fermons ici des abattoirs !

Pour conclure, j’aimerais insister sur les négociations internationales en tant que telles. Le sommet de Rio, en 1992, fut un véritable succès diplomatique et juridique, puisqu’il a permis de lancer les conventions sur la biodiversité et la désertification, de créer la Commission des Nations-Unies pour le développement durable qui a notamment mis en place le célèbre Agenda 21, mais aussi de lancer les Conventions sur le climat dont le sommet de Durban fut une émanation.
Nous ne pouvons envisager Durban, cette année, que dans le trio des conférences internationales de l’année : après Durban, le Sommet mondial de l’eau à Marseille, puis celui de Rio +20 au mois de juin, premier rendez-vous diplomatique de notre futur Président, quel qu’il soit.
Face au constat d’échec de notre gouvernance mondiale, il est temps de relancer une vaste réflexion, y compris avec la société civile qui doit être partie prenante de ces débats. Un bilan des efforts des 20 ans passés serait bienvenu.
J’appelle également l’Union européenne et le gouvernement français à porter, dans la préparation de Rio +20, des propositions concrètes : une Organisation mondiale de l’environnement fonctionnant sur un modèle proche de celui de l’OMC améliorée afin de réguler au quotidien les atteintes à l’environnement ; un droit international contraignant dont l’effectivité serait assurée par un Tribunal international écologique sur le modèle de la Cour de Justice Internationale de La Haye, ainsi que la création, au sein de la Cour Pénale Internationale, d’une chambre spécialisée en matière de « crimes environnementaux » .
Je vous remercie.

Un commentaire pour “Interventions au Sénat sur les conclusions de la Conférence de Durban”

  1. Bonjour, j’ai lu votre article qui, selon moi, ne propose pas un thème très abordable mais cependant la thèse effectuée n’est pas susceptible de promouvoir l’arrêt du nucléaire selon Durban, mais il est favorable pour l’écologie de l’arrêter tout de même il ne faut pas rêver ! son arrêt aurait des conséquence majestueuse. merci au revoir.

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