Réponse d’Eva Joly au collectif du 31 mars pour les langues et cultures régionales

Vous m’avez demandé de me prononcer sur mes engagements concernant la défense, la reconnaissance et l’avenir des langues et cultures régionales. Si certains peuvent aujourd’hui ne pas tolérer en France toute expression (voire simple accent…) qui témoigne de la diversité des origines et des histoires, je crois au contraire que la préservation de cette diversité linguistique et culturelle est un enjeu majeur. La manière dont nous traitons ces questions révèlent et disent beaucoup de notre République et de notre démocratie.

Comme je l’ai affirmé à Mouans-Sartoux, en août dernier lors des universités d’été de Régions et Peuples Solidaires, comme je l’ai redit ce 28 février, lors de mon déplacement en Corse, et comme je le réaffirmerai à Toulouse ce samedi 31 mars, lors de la manifestation « Nos langues, nos cultures, un droit, une loi !», ma candidature s’inscrit résolument dans la reconnaissance des langues et des cultures régionales.

L’ambition des écologistes est  forte : il faut aujourd’hui mobiliser les outils de l’action publique pour parvenir à une « récupération linguistique » passant par la possibilité d’un bilinguisme français/langues régionales dans tous les secteurs de la vie publique et privée. Le bilinguisme comme la binationalité est une chance, une richesse et non une menace. J’attache donc une attention particulière à vos propositions rassemblées dans la « plate-forme 2008 pour un statut légal de ces langues et cultures », qui s’avèrent très proches de celles que je défends.

Si depuis la réforme constitutionnelle de 2008, l’article 75-1 de la Constitution reconnaît l’existence des langues régionales comme « appartenant au patrimoine de la France », la décision du Conseil constitutionnel du 20 mai 2011 a montré les limites de cette « avancée » et l’absence d’égalité avec le Français « la langue de la République ». Je défends donc une réforme constitutionnelle qui modifiera cet article 2 de la Constitution. Il s’agit d’offrir la possibilité à toute région qui le souhaite de définir sa ou ses langue-s régionale-s comme co-officielle-s avec le Français et évidemment de permettre la ratification de la Charte européenne des langues régionales comme celle de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Il s’agit, ni plus ni moins, de mettre la France en conformité avec le droit européen en matière de diversité linguistique. En effet, vous le savez, la France, pourtant membre de l’Union européenne, ne respecte, à cet égard, pas les critères de Copenhague qui sont, avec rigueur, exigés de chaque Etat souhaitant intégrer l’Union.

Cela ne saurait, bien entendu, suffire. Je défends également le principe d’une loi-cadre ambitieuse qui établisse un statut juridique clair et qui dessine les lignes d’un cadre fort en termes de moyens. Le développement des langues régionales dans l’enseignement, les medias et les relations publiques sont autant de priorités. Chacun doit avoir le droit et la possibilité effective de pouvoir envoyer son enfant dans une école bilingue ou par immersion. Chacun doit avoir le choix de pouvoir regarder des programmes télévisuels dans des langues régionales. Et pour ce faire, il s’agit de revenir sur la baisse de moyens et la recentralisation des chaînes France 3 régionales.

Le combat des écologistes pour la reconnaissance des langues et cultures régionales s’inscrit aussi dans l’ambition d’une 6ème République où l’organisation de la France se ferait sur le modèle d’un fédéralisme différencié avec une régionalisation renforcée.  Les régions se verraient alors accorder un pouvoir réglementaire élargi, voire un pouvoir législatif secondaire, permettant d’adapter aux réalités régionales les normes nationales dans nombre de domaines  tels la culture, la fiscalité etc. Comme vous, je considère que le transfert, vers les régions, de compétences et de moyens correspondants, en matière de langue et de culture s’inscrirait dans le sens de l’histoire. Dans le cadre de cette réforme globale, il faudra aussi définir un processus démocratique simple et lisible permettant des redécoupages des limites des régions administratives françaises.

Enfin, vous m’interpellez sur la nomination, au niveau de l’Etat, d’un interlocuteur des langues et cultures régionales. Au niveau étatique, ce n’est qu’en 2001, que les langues régionales, sous le vocable policé de « langues de France » ont été prises en compte au sein de la délégation générale à la langue française. Ce n’est évidemment pas suffisant, et l’approche interministérielle que vous défendez est logique ; il conviendra que l’Etat définisse l’organisation de la mise en œuvre de cette politique en concertation avec les associations.

Les langues et cultures régionales sont des trésors culturels en péril. Et, je ne peux terminer ma lettre sans saluer votre opiniâtreté à les faire exister face aux traditions ancrées d’un Etat jacobin qui s’est acharné, durant tant d’années, à les faire taire. Si le temps du « symbole » et des punitions scolaires est révolu, les obstacles mis à leur perpétuation restent nombreux, il faut aujourd’hui les lever et organiser leur redéveloppement car elles sont, je le crois profondément, porteuses de nouvelles modernités au service du vivre ensemble.

La lettre sous format pdf.

Un commentaire pour “Réponse d’Eva Joly au collectif du 31 mars pour les langues et cultures régionales”

  1. […] décentralisé qui a réuni en tout plus de 60.000 personnes. Elle a ainsi pu transmettre sa réponse aux questions des organisateurs de la manifestation, et rappeler notre programme exigeant la ratification de la Charte européenne des langues […]

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