Intervention de Yannik Bigouin sur l’actualisation de la politique linguistique de Bretagne

Intervention de Yannick Bigouin, conseiller régional EELV de Bretagne, à l’occasion du débat du 29 mars 2012 sur la politique linguistique en Bretagne.
 
En préambule de mon intervention je voudrais ici rendre hommage à Annaig Renault qui vient de disparaitre. Écrivain de langue française et bretonne, Annaïg était d’une grande culture bretonne et européenne. Secrétaire Générale de l’institut Culturel de Bretagne, elle a travaillé inlassablement à la vie littéraire et à la promotion du livre en Bretagne et a produit une œuvre littéraire de belle facture en breton et en français.
 
Il y a aussi un anniversaire que je voudrais souligner : le 28 Février 1972. Il y a exactement quarante ans, un fringant jeune homme qu’on découvrait sous le nom de Alan Stivell nous lançait à tous un message : « hep brezhoneg, Breiz ebet ». Sans langue bretonne, pas de Bretagne. Message qu’il a relancé il y a quelques semaines dans la même salle à Paris, 40 ans après…
 
Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’avons-nous fait de cet appel d’un de nos plus grand artiste ?
 
Depuis quarante ans, nombre d’actions ont été mises en œuvre pour tenter de transmettre et faire vivre ces langues uniques, ces manières si particulières d’être et de comprendre le monde. Malgré les tentatives des jacobins de tous bords, malgré des décennies d’actions visant leur éradication, les étouffant même, interdisant leurs usages, en les déconsidérant et en les présentant comme les langues des ploucs, en faisant subir aux bretonnes et aux bretons humiliations et hontes par la dérision, le soupçon de collaboration ou de communautarisme de ses promoteurs. Et pourtant nos langues de Bretagne perdurent toujours. Petites mais vivantes. Cette richesse hors du commun nous ne pouvons la délaisser. Il en va de notre responsabilité.
 
Aujourd’hui, Monsieur Le Président, vous souhaitez actualiser la politique linguistique et il faut reconnaître que c’est un travail de qualité : travaillé, founnus ha sklaer, complet et clair, il donne de nouvelles perspectives, modestes mais volontaires. Sur la méthode nous regrettons encore une fois le peu de concertation. Il aurait par exemple été logique que le groupe « Politique linguiste » soit réuni avant la présentation d’aujourd’hui. Certaines orientations portées au débat n’ont pas été intégrées au document final : par exemple les lignes « Mettre en place un centre artistique expérimental en langue bretonne destiné à la jeunesse » ou « Prendre en compte les langues de Bretagne dans les formations diplômantes au spectacle vivant », sont passées à la trappe ? Le groupe de travail n’en a pas eu l’explication. J’aimerai bien l’entendre aujourd’hui.
 
Nous saluons néanmoins le travail accompli par notre collectivité en faveur du breton et du gallo et, bien entendu, nous adhérons au renouvellement des dispositifs de soutien à l’enseignement et la formation. Cela reste l’objet central du soutien de la Région pour les années à venir et permet de valoriser nos langues et nos cultures comme un formidable vivier d’emplois pour les jeunes de Bretagne. Nous soulignons aussi les efforts progressifs de notre Région pour mettre en avant la langue bretonne dans sa communication, ses documents, ou dans le cadre d’action de promotion, même si beaucoup reste encore à faire. Enfin nous nous félicitons que soit envisagé, comme nous l’avions demandé, la possibilité d’une traduction simultanée pour les sessions du Conseil régional. En montrant la voie, nous ne pourrons qu’inciter d’autres organismes proches de la région à faire de même à valoriser les langues de Bretagne comme l’ont fait dernièrement le Comité Régional du Tourisme et Livre et Lecture en Bretagne.
 
Mais face aux enjeux auxquelles sont confrontés nos langues nous devons aller plus loin ! Pour le breton, si l’on considère que le seuil de survie d’une langue est de 90 000 locuteurs, que chaque année la langue bretonne perd 10 000 locuteurs, nous avons alors seulement 10 ans pour inverser la tendance. Si, comme dans tous nos domaines de compétences, notre budget est là aussi contraint, pour que les langues de Bretagne rentrent de plein pied dans le XXIème siècle, nous devons passer à la vitesse supérieure.
 
Comment ?
 
D’abord en intégrant de manière transversale la politique linguistique à toutes les politiques régionales. Il y a 30 ans, à l’entrée des festoù noz il y avait dans le prix d’entrée « un Franc pour Diwan, ul lur evit Diwan» : une solidarité entre artistes, entre Bretons, pour leur langue. Je pense que chaque mission de notre Région devrait aussi mettre un pourcentage de son budget ou d’actions en faveur des langues de Bretagne. Cela éviterait certains ratés. Par exemple et puisque vous avez intitulé la communication autour de la politique jeunesse « Vous cherchez quelque chose ? », et bien oui je cherche toujours la place des langues de Bretagne dans cette politique !
 
En travaillant sur la transmission entre générations. Nous arriverons bientôt à la fin des dernières générations brittophones et gallésantes de naissance. Cette politique linguistique nevez aurait pu être le moment de travailler à créer un formidable moyen de renforcer le lien entre néo-brittophones / gallésants et brittophones / gallésants de naissance qui sont pour la majorité des personnes âgées : par un système de parrainage, de compagnonnage, des rencontres, des diplômes du meilleur transmetteur… Que sais je ? Les Occitans ou les Basques le font. Transmettre le breton ou le gallo populaire, garder la forme la plus dialecticale avec son accent, son vocabulaire est un combat dans le combat pour les langues de Bretagne. Cela manque dans ce document pour un vrai partage et une transmission sociale et culturelle plus qu’un apprentissage des langues.
 
Et je voudrais d’ailleurs encore une fois rendre hommage aux militants des langues minorisées du monde. Vous pourrez les rencontrer samedi prochain à Quimper, Strasbourg ou Toulouse pour la grande manifestation pour les langues régionales où, je n’en doute pas, vous serez tous présents sans exception, cher-e-s collègues de droite comme de gauche, vous qui êtes des fervents défenseurs des langues de Bretagne… du moins au sein de cet hémicycle.
 
Il manque aussi à ce bordereau des actions sur la continuité scolaire en filière bilingue. Comme vous le soulignez, une rupture très importante entre le premier et le second degré est constaté. Ce sont ainsi 40% des enfants scolarisés dans l’enseignement bilingue au primaire qui intègrent au collège une filière monolingue et abandonnent l’apprentissage du breton. Si la cause principale de cette rupture est certainement liée à l’éloignement des collègues ayant une filière bilingue, ce n’est pas la seule raison. A Lannilis, par exemple, à la rentrée 2011, il y avait 105 enfants en filière bilingue privée en primaire et il reste toutes classes confondues… 27 élèves au collège, qui est pourtant a proximité. Les parents ne perçoivent pas nécessairement que l’engagement en primaire doit se poursuivre ensuite autrement. Aussi, il manque dans ce document une opération de communication avec les fédérations pour insister auprès des parents pour que cette continuité se fasse et qu’il y ait une meilleure visibilité du bilinguisme dans le secondaire.L’inspecteur pédagogique Langues et cultures régionales disait à Plescop il y a quelques semaines : « On ne manque pas de moyens, mais d’élèves. C’est un drame. L’image de la langue bretonne n’est pas brillante ». Face à ce pessimiste et ces pennoù du en général, je dirais à tous en citant notre grand poète Paol Keineg
 
« Assez de mélancolie,
Assez de complaisance
De lamentions,
Il nous reste les immensités
de l’enthousiasme et de l’intelligence ».
 
Expérimenter, animer, donner à voir… Tout est bon pour faire briller de mille feux les langues de Bretagne. Personne n’a été malade parce qu’il parlait breton ou gallo. Bécassine et le sabot que les Bretons ont portés aux cous ne sont plus présents que dans notre complexe encore, parfois, de colonisés. Il est venu le temps des Bretons à l’aise dans leurs baskets, à l’identité affirmée et ouverte au monde dont les langues sont la colonne vertébrale. Et s’il faut ouvrir l’apprentissage du breton par d’autres langues, dans le cadre d’un enseignement intégré par exemple, alors pourquoi pas, tout en garantissant un niveau correct pour un bilinguisme accompli et épanoui.
 
Il nous faut aussi renforcer la présence de nos langues dans l’espace public. Et nous rêvons de voir naitre, à l’image de la Corse, une chaine de télévision et une radio publique en breton et gallo.
 
Justement, concernant la langue gallèse, je comprends le désarroi des gallésants face à l’omnipotence de la langue bretonne dans la politique régionale. Selon nous, c’est une politique linguistique spécifique à ses problématiques qu’il nous faut. Nous ne répondrons pas aux enjeux spécifiques du gallo avec les mêmes dispositifs stricto sensus que ceux destinés au breton. Les modes de valorisation, de transmission, doivent être différentes car elles n’ont ni la même histoire, ni la même résonance militante et culturelle mais elles méritent l’une comme l’autre d’être soutenu à la hauteur de ce qu’elles représentent pour la diversité culturelle de notre territoire en travaillant, encore plus spécifiquement pour le gallo, sur un travail social et culturel inter-générationnel.
 
Enfin, pour mener à bien ces objectifs, il nous faut des moyens humains plus importants au service « langues de Bretagne » du Conseil régional qui manque cruellement de personnel afin d’animer la politique linguistique.
 
Pour conclure, nous ne pourrons agir de manière ambitieuse en faveur de nos langues que dans le cadre d’une République qui reconnaitrait enfin la diversité culturelle et linguistique des populations qui la compose. Une République qui permettrait aux territoires de prendre en main leur avenir en fonction de leur spécificité historique et culturelle. Une République qui donnerait donc à la Bretagne la compétence linguistique et les moyens qui y sont liés. Cette République, c’est celle du fédéralisme différencié que nous appelons de nos vœux.
 
Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse, à l’inverse du processus historique de décentralisation qui est en œuvre dans tous les pays d’Europe, de centraliser le pouvoir sur l’Elysée et rajoute-t-il comme candidat le 19 Février à Marseille : «Quand on aime la France, on ne propose pas de ratifier la charte des langues régionales et minoritaires ». Honte à lui alors que – plein de promesses – il souhaitait, en 2007, une loi pour nos langues et qu’il n’a rien fait. Ur vezh, er meaz !
 
Quant à François Hollande, peut être prochain président de la République, il semble ne pas avoir pleinement tranché la question car s’il a déclaré vouloir signer la Charte des Langues minoritaires encore dernièrement à Ajaccio ; à Brest le 30 Janvier il a pourtant affirmé qu’il n’y aurait pas de « décentralisation spécifique à la Bretagne ». Comment alors pourrons-nous prendre en main le destin de nos langues ? Ainsi, nous sommes bien évidemment prêts à faire don au candidat François Hollande de notre programme pour une VIème République. Qu’il n’hésite pas à s’en inspirer largement.
 
Evit echuiñ gant ur ger laouen ha tro ma skrive Annaig Renault en he barzhoneg « Gant ma tavo gwad an noz » : « Ra vezo aloubet ar bed gant al livioù ». Pour finir par une note gaie je citerai Annaig Renault dans son poème « Pourvu que se taise le sang de la nuit » : « Que le monde soit envahi par les couleurs ».
 
Aussi, cher-e –s collègues permettons et donnons de véritables moyens à notre monde d’être coloré par les langues des Bretagne.
 
Trugarez deoc’h !

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