Donner une nouvelle ambition pour la recherche

Contribution de EELV aux Assises de l’ESR – Septembre 2012 -Thématique 2 Donner une nouvelle ambition pour la recherche

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Si l’on veut réellement que progressent les savoirs et que se préparent les révolutions scientifiques de demain, il est totalement contre-productif de marchander aux chercheurs leur liberté. C’est malheureusement le cours que suivent les choses quand la recherche est promue essentiellement pour les retombées économiques qu’on en attend et de ce point de vue, les bouleversements introduits par les gouvernements des années récentes n’ont fait qu’aggraver une tendance de fond de la politique française de recherche déjà clairement à l’oeuvre dans les années Jospin-Allègre. Disons-le clairement : pour les écologistes, l’action publique doit viser à un avancement général des connaissances et la recherche cognitive doit être soutenue en conséquence.

Des moyens pérennes et une ambition nouvelle pour la recherche

La période écoulée a vu la concurrence effrénée entre acteurs de la recherche érigée en moteur de l’excellence. Or, loin de découler automatiquement de la concurrence, l’excellence censée émerger d’une répétition sans fin d’appels à projets aux taux de succès de plus en plus faibles aboutit à coup sûr à des pertes considérables d’énergie et de temps et in fine à un appauvrissement des capacités de production et de transmission de connaissances réellement nouvelles dans les laboratoires du pays.

Les laboratoires bénéficiant d’un label reconnu d’unité de recherche doivent recevoir de leurs tutelles (organismes nationaux de recherche, établissements d’enseignement supérieur et de recherche…) des dotations suffisantes pour que les personnels de recherche puissent accomplir leur mission première : développer leurs recherches. Une réduction drastique du budget attribué à l’ANR doit être plus que compensée par une augmentation des fonds destinés aux recherches développées dans les organismes nationaux et les établissements d’ESR. Le reliquat des crédits revenant à l’ANR doit être réservé à des recherches réellement émergentes (projets blancs bottom up) ou pour lesquelles existent encore des lacunes thématiques au niveau national (santé – environnement, biodiversité, études sur les rapports sociaux de sexe, écotoxicologie, systèmes complexes, énergies renouvelables…), et permettre le financement de projets de taille modeste, au suivi administratif allégé.

Plutôt que de systématiser la concurrence, c’est la coopération entre acteurs qu’il faut susciter et encourager. Sur des thématiques identifiées comme étant d’intérêt majeur, la constitution de réseaux d’acteurs sera accompagnée de crédits ad hoc dont la gestion sera déléguée aux réseaux constitués autour de ces thématiques.

Pour amplifier les recherches, il faut stabiliser les milliers de jeunes précaires accumulés ces dernières années, libérer le temps de travail destiné à la recherche en recrutant les forces manquantes dans tous les métiers de la recherche (ingénieurs, techniciens, administratifs, responsables de plateformes mutualisées). A cet effet, il faut chaque année créer plusieurs milliers d’emplois stables. Le temps d’enseignement des Maîtres de conférence recrutés depuis moins de cinq ans doit par ailleurs être largement allégé. Une grande part de la recherche effectuée en France repose sur les milliers de doctorants que comprend le pays. Cependant, tous ne sont pas financés de façon adéquate, en particulier dans les champs appartenant aux sciences humaines et sociales. En outre, le nombre de docteurs produits par le pays (environ 10 000 doctorats délivrés chaque année contre 15 000 au Royaume-Uni et 25 000 en Allemagne !) est notoirement insuffisant au regard des besoins de la société, et ce déficit est encore accentué par la non reconnaissance du diplôme que ce soit dans les grilles de la fonction publique ou dans les conventions collectives des entreprises. Ceci doit être corrigé d’urgence ! Une augmentation importante et progressive du nombre d’allocations de recherche doctorale (et de leur montant !) offertes chaque année aux titulaires d’un diplôme de master ou équivalent qui envisagent de s’engager dans la difficile aventure d’un travail de recherche personnel et original est absolument requise.

Cette ambition suppose des moyens nouveaux, qui peuvent être obtenus sans impacter le budget de l’Etat, par une réforme du Crédit d’impôt recherche (CIR). Si son intérêt est réel pour la recherche dans les PME, sa forme actuelle donne aussi aux grands groupes un effet d’aubaine énorme qui ne profite en rien à la production ou à l’emploi scientifique du pays. Il convient de plafonner le CIR à un montant de quelques millions d’euros par groupe ou holding, de le conditionner fortement au recrutement de docteurs, et d’introduire une modulation de son montant en fonction de l’adéquation des projets engagés avec la transition écologique.

Au stade où nous en sommes arrivés, c’est toute l’organisation du système français de recherche qui doit être revu. Ce ne pourra se faire qu’après un processus, complexe à mettre en oeuvre mais absolument nécessaire, de très large élaboration démocratique. Il s’agira de rendre le système globalement plus performant, mais aussi de combler des déficits dans certaines grandes disciplines. L’éternelle question de la transversalité devra être revisitée puisque, chacun en convient, c’est aux frontières entre les disciplines que les chances sont les plus grandes de produire ces avancées soudaines qui transforment la perception d’une question, ouvrent de nouveaux champs thématiques, remettent à plat certaines problématiques.

Inventer un véritable dialogue sciences – société

A l’habituelle représentation opposant secteur académique – la recherche d’amont – et secteur des entreprises – l’aval – l’écologie politique préférera l’image du trépied dont la stabilité dépend d’une troisième composante, le monde associatif et citoyen.La recherche partenariale permet de diversifier la nature des recherches développées par les partenaires et d’impliquer un nombre croissant d’acteurs dans la production de connaissances nouvelles, dans l’innovation technologique et sociale. Cependant, cette terminologie est curieusement – et fallacieusement – réservée à des recherches développées entre entreprises et laboratoires publics avec une forte incitation à l’externalisation des activités de recherche des premières vers les seconds. Cette négation des spécificités des uns et des autres est délétère. Outre que la subordination croissante des laboratoires publics aux besoins des entreprises privées doit être contrecarrée, les partenaires des laboratoires publics n’ont aucune raison de se limiter au monde des entreprises. Les liens noués par la recherche publique doivent au contraire s’élargir vers d’autres pans de la société et en particulier vers le monde associatif. Il revient donc à l’Etat d’introduire parmi les missions des établissements de recherche, organismes et universités, cet impératif d’ouverture.Il s’agira de créer des dispositifs innovants pour encourager les recherches partenariales entre le monde citoyen et celui de la recherche académique. Le dispositif des Partenariats Institutions – Citoyens pour la Recherche et l’Innovation créé en 2005 par le conseil régional d’Ile-de-France pourra servir de modèle aux organismes de recherche et aux établissements d’ESR appelés à s’impliquer résolument dans ces nouveaux aspects d’une recherche partenariale redéfinie. Les laboratoires qui s’engageront sur cette voie pourront bénéficier d’un label (le pendant des Instituts Carnot pour la recherche partenariale avec les entreprises) et de financements spécifiques.

D’autres initiatives (boutiques de sciences…) devront être encouragées sur les campus universitaires pour que les sciences et la démarche scientifique soient enfin accessibles à des publics diversifiés.

Egalement, la diffusion de plus en plus large des outils numériques de travail coopératif laisse espérer une implication citoyenne de plus en plus marquée dans les processus de recherche participative, sur le modèle de ce que coordonne le Muséum national d’histoire naturelle dans le domaine de la recherche sur la biodiversité. Ce type d’implication citoyenne doit être facilité et reconnu.

Pour retrouver le sens de la culture scientifique et technique (CST), pour promouvoir la compréhension et le débat pluridisciplinaire sur les enjeux de notre monde, un pilotage interministériel garant de cette mission de service public est nécessaire. La question de la CST doit être entièrement repensée, bien au-delà de ce que promeut Universcience (regroupement de la Cité des sciences et de l’industrie et du Palais de la découverte) dont le rôle doit être réenvisagé, avec notamment une clarification des circuits de financement. Il faut faire découvrir et comprendre la démarche scientifique dès le plus jeune âge, par exemple en proposant aux publics scolaires, dans chaque région, des classes scientifiques (sur le format des classes vertes) se déroulant dans des Maisons d’initiation et de sensibilisation aux sciences et bénéficiant d’un encadrement scientifique professionnel. Le manque de moyens destinés à la protection du patrimoine scientifique est également criant et doit être corrigé. Les actions de CST réalisés par les enseignants et les personnels de la recherche (visites de laboratoires et de collections, interventions dans les classes, journées « grand public »…) doivent être davantage prises en compte dans l’évaluation de leur activité et pour leur carrière.

Des ambitions stratégiques pour la recherche et l’innovation

Si la recherche fondamentale ne peut s’accommoder d’objectifs outrageusement finalisés, il reste que la puissance publique a toute légitimité pour définir de grandes orientations en termes d’objectifs à poursuivre. Les missions des organismes de recherche et en particulier des établissements à caractère industriel et commercial (EPIC) tels le CEA seront utilement réexaminées en référence aux grands objectifs politiques démocratiquement actés. Par exemple, la transition énergétique du pays appelle à une réduction importante de la part du nucléaire dans le mix français d’électricité et porte en corollaire la nécessité du développement d’une filière d’excellence en matière de démantèlement des centrales vieillissantes et de gestion des déchets. Le CEA pourra en être chargé en accord avec ses compétences.

Nous avons besoin d’une autre politique de l’innovation, bien plus sélective, moins coûteuse pour les budgets de l’État et des collectivités publiques. Elle devra se concentrer sur les PME, TPE et projets individuels et permettre l’émergence d’activités et d’entreprises innovantes dans les secteurs économiques du futur. Parmi ceux-ci figurent à l’évidence l’économie numérique dans toutes ses déclinaisons (mais dont le dynamisme interne présente un impact environnemental de plus en plus problématique, ce qui appelle… de nouvelles innovations) et tous les secteurs liés à la transition écologique vers une économie robuste, réellement soutenable et au service des habitants : énergie, bâtiment, transports, agriculture, biens communs…

Les aides publiques à l’innovation devront s’adresser à toutes les sortes de projets innovants, ceux qui concernent des produits, des procédés, du design… mais aussi les services offerts au public et toutes les innovations d’ordre sociétal. Cependant, n’importe quel projet innovant, même proposé par une PME et potentiellement créateur de valeur ajoutée, n’a pas vocation à être soutenu publiquement. Ses finalités et ses effets attendus doivent être soupesés à l’aune des trois facettes, économique, environnementale, sociale, qui permettent de le caractériser. Cette analyse doit comporter des critères d’exclusion : risques d’atteintes supplémentaires à l’environnement, technologies jugées trop dangereuses pour les libertés, la santé, la paix… A l’opposé, les aides envisageables doivent voir leur ampleur liée à l’adéquation avec les critères de responsabilité écologique et sociale. Elles peuvent selon les circonstances adopter diverses formes (subventions, prêts remboursables, engagement de commandes…). Le recrutement non seulement d’ingénieurs ou de techniciens mais aussi de titulaires d’un doctorat doit être récompensé. La constitution de grilles d’analyse ad hoc procureun outil pédagogique particulièrement utile, aussi bien pour les demandeurs que pour les évaluateurs.

Au-delà des aides aux projets existants, des politiques volontaristes doivent aussi servir à en faire émerger d’autres, audacieux et imaginatifs. Loin de l’effet cafétéria invoqué pour le rassemblement d’établissements de formation, de laboratoires publics et d’entreprises sur le plateau de Saclay sur le modèle fantasmé de la Silicon Valley, dans chaque région, chaque territoire d’importance, un organisme financé sur fonds publics (région, autres collectivités territoriales, Oséo…) aurait parmi ses objectifs une mission spécifique d’interfaçage (entre chercheurs, PME, collectivités, associations…). Accueillies sur la base du volontariat, des personnes issues aussi bien du secteur public que du secteur privé seraient appelées à agir en « facilitateurs d’interface » pour faire émerger des projets innovants d’intérêt général. Cet organisme public dont le financement serait assuré par une réorientation progressive d’une partie des sommes budgétaires aujourd’hui affectées au CIR, aurait pour vocation de mettre en phase les structures déjà existantes dans tous les lieux importants de recherche, organismes, universités, en privilégiant la recherche de synergies, à l’opposé du modèle concurrentiel absolu auquel mène inéluctablement la politique actuelle.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) devrait se saisir de tous ces enjeux en priorité. Cependant, dans son fonctionnement actuel, l’OPECST souffre d’une très insuffisante ouverture vers la société dans toute sa diversité. Cet organisme spécifiquement parlementaire devrait être transformé en office national indépendant, fonctionnant sur fonds uniquement publics, qui aurait une mission de veille permanente et d’animation du débat sur toutes les questions scientifiques et / ou technologiques ayant un possible impact sociétal. A cet égard, le fonctionnement du Board of Technology au service du Parlement et du Gouvernement danois pourrait servir de source utile d’inspiration.

Les connaissances nouvelles résultant du travail permis par les dépenses publiques (européenne, nationale, collectivités territoriales) doivent entrer dans le domaine des biens communs. Il n’est pas acceptable que les éditeurs privés soient seuls dépositaires de ces productions, limitant de facto leur accessibilité au plus grand nombre. Entre le modèle du libre particulièrement adapté au secteur de l’économie numérique et les politiques de brevetage systématique utilisées comme protection de la propriété intellectuelle – dont il faudra évaluer les effets pervers et le rapport coût-bénéfice pour l’intérêt général – d’autres modes de protection existent qui appellent aujourd’hui l’application de politiques publiques plus finement définies. Des moyens doivent être déployés pour que les acteurs de la recherche publique publient leurs résultats en accès libre sans que cela ne pénalise leurs carrières.

De façon plus générale, les missions inscrites dans le Code de la recherche doivent être révisées et complétées pour que l’évaluation de l’ensemble des acteurs de la recherche prenne effectivement en compte leurs activités professionnelles dans toute leur diversité.

 

Un commentaire pour “Donner une nouvelle ambition pour la recherche”

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