Concevoir le nouveau paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche
Contribution de EELV aux Assises de l’ESR – Septembre 2012 – Thématique 3 Concevoir le nouveau paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche
Les réformes menées ces dernières années ont abouti à une complexification inédite du paysage de l’ESR français, avec pour conséquences principales une dépossession des attributions des instances comprenant une proportion importante d’élus et pour les équipes de recherche la course permanente à des financements de trop court terme pour autoriser des recherches audacieuses. Il est urgent de redonner une lisibilité à notre système d’ESR en le simplifiant, d’améliorer la dimension collégiale de son fonctionnement, et de sortir d’un système contre-productif opposant université et classes préparatoires/grandes écoles.
Une réorganisation et une simplification nécessaires
Notre système d’enseignement supérieur aboutit à une reproduction des élites qui repose largement sur la filière classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) – Grandes écoles très largement à l’écart du système universitaire. Cette dualité est un handicap majeur pour le dynamisme de la société française. Ne pas s’y attaquer serait une erreur monumentale.
Pour cela, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche doit voir ses prérogatives élargies de manière à être le lieu de décision pour l’ensemble du supérieur, et pas seulement pour le monde académique. La tutelle des classes préparatoires aux grandes écoles – CPGE et celle de l’ensemble des « grandes écoles » lui seront donc confiées (les tutelles d’autres ministères renvoient à une époque où chaque école formait les cadres desdits ministères, un temps plus que révolu), et les procédures d’habilitation des écoles privées seront revues pour assurer une meilleure coordination.
Les Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (Pres) créés dans le cadre de la loi de programmation de 2006 ont ouvert des pistes intéressantes. Sont autorisées des mutualisations entre établissements qui peuvent à la fois être souples et adaptées aux contextes locaux. Les Pres fournissent un cadre certes imparfait – notamment sous statut d’EPCS imposé par le MESR dans le cadre du plan campus : statut anti-démocratique, risques de coupure enseignement / recherche, de « balkanisation » des licences, particulièrement lors des liens avec les IDEX – ; mais qui sous réserve d’aménagements peut se prêter aux nécessaires rapprochements entre classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et universités, de même qu’à l’intégration progressive des écoles, « grandes » ou moins prestigieuses. Les PRES pourraient donc être revisités et réorientés vers des actions de rapprochement profitables à tous, dans un cadre universitaire qui constitue la référence universelle en matière d’enseignement supérieur.
La multiplicité des structures créées depuis 2006 a cependant abouti à un paysage où la complexité confine désormais à l’illisibilité. Simplifier est donc un impératif incontournable. Mais cela ne peut se faire par l’imposition top-down de la création de méga-établissements dont le projet d’université de Paris-Saclay n’est que l’avatar le plus caricatural et dont l’objet commun – faire monter des universités françaises dans le classement de Shanghai (qui avec ses paramètres ne mesure que ce qu’il peut mesurer) – n’a rien à voir avec la qualité des formations prodiguées. Rappelons enfin que le système français de recherche continue de figurer parmi les plus performants au monde et que le principal organisme français de recherche, le CNRS, demeure une référence internationale.
Les superstructures nées ou à naître dans le cadre des « Investissements d’avenir » de la présidence Sarkozy sont à revoir. En particulier, les huit Idex (Initiatives d’excellence) retenues ne peuvent tenir lieu de politique soutenable en matière d’ESR. Outre les dérives insupportables constatées par exemple à Toulouse, tous les Idex souffrent peu ou prou de la définition d’un périmètre d’excellence (« péridex ») qui aboutit à laisser de côté une grande part des forces vives de recherche et d’enseignement des établissements impliqués. Autre perversion induite par le système, le transfert automatique et durable d’une fraction importante des ressources attribuées par le ministère aux établissements parties prenantes vers une partie restreinte de leurs acteurs. Et cela au moment où nombre d’universités sont déjà en très grande difficulté financière. Puisque par ailleurs des régions entières sont restées sans lauréats aux deux phases de sélection des Idex, et que même au sein des régions mieux pourvues, les exclus sont majoritaires, il apparaît indispensable de revenir sur le principe même de cette politique. La signature des conventions Idex doit donc être suspendue.
Les autres innovations introduites dans le cadre des Investissements d’avenir sont à examiner au cas par cas. Les Equipex sont issus d’un travail du terrain, et devraient à ce titre être financés. En revanche certains grands projets financés au titre des investissements d’avenir seront gelés et leur pertinence remise en débat : ITER, ASTRID (conférence de citoyens?). Les Labex apparaissent d’abord comme un outil de déstructuration, et les financements au final assez modestes. Ils seront supprimés en temps que structures, la dotation correspondante étant distribuée aux organismes afin d’assurer la continuité des travaux éventuellement engagés. Les Unités mixtes de recherche (UMR) doivent être confortées dans leur forme actuelle, ayant comme tutelles au moins une université et un organisme national de recherche.
Les moyens dédiés aux Idex et au plan campus feront l’objet d’une remise à plat globale, dans le cadre de la définition d’universités confédérales de dimension régionale. La création des fondations (FCS) prévues, et notamment celles liées à certains projets d’Idex, sera également suspendue. Les SATT (Sociétés – de droit privé – d’accélération du transfert de technologies), outils de mise en concurrence et de pilotage de la recherche et de l’enseignement par l’industrie, doivent être abandonnées ; certains Instituts de recherche technologique – IRT pourraient en revanche mériter d’être confortés si tant est qu’ils permettent au pays d’avancer vers les développements technologiques nécessaires à la transition écologique. Il faut prendre acte des équipements d’excellence (Equipex) financés en veillant à ce qu’ils ne phagocytent pas les moyens de leurs structures d’accueil.
Des moyens sur la durée : la clé de la réussite
Un audit global de l’ensemble des lignes de la Mission interministérielle recherche enseignement supérieur (MIRES) devra être immédiatement lancé afin d’y voir enfin clair sur l’état réel des comptes publics après des années de voltige budgétaire et d’annonces jamais suivies d’effets.
Un financement pérenne majoritaire, et des postes permanents, en enseignement comme en recherche, sont indispensables. Le financement sur projets, qui a pris en recherche ces dernières années des proportions insupportables, induisant une lourdeur de gestion et une précarité croissantes, doit être ramené à un niveau minoritaire. Ces appels à projets devront prioritairement financer des axes de recherche en direction de la reconversion écologique de la société.
Ces moyens peuvent être obtenus sans impacter le budget de l’Etat, par une réforme du Crédit d’impôt recherche (CIR). Si son intérêt est réel pour la recherche dans les PME, sa forme actuelle donne aussi aux grands groupes un effet d’aubaine énorme qui ne profite en rien à la production ou à l’emploi scientifique du pays. Il convient de plafonner le CIR à un montant de quelques millions d’euros par groupe ou holding, de le conditionner fortement au recrutement de docteurs, et d’introduire une modulation de son montant en fonction de l’adéquation des projets engagés avec la transition écologique.
Certaines mesures pourront ainsi être mises en œuvre immédiatement :
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création de plusieurs centaines de postes statutaires, autant pour les enseignants, enseignants-chercheurs et chercheurs que les personnels Biatoss, marquant le démarrage d’un plan de résorption de la précarité qui s’étendra sur la mandature (5.000 postes), la progressivité étant nécessaire pour assurer la richesse du vivier de recrutement et limiter les effets d’accordéon démographique. Les crédits prévus pour des CDD pourront être réaffectés au financement de cette mesure, en réduisant considérablement la portée budgétaire ;
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réévaluation des dotations récurrentes des organismes de recherche compensant les diminutions des budgets 2011 et 2012 (et d’ors et déjà annoncées pour 2013…) ;
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retour d’une partie des crédits non engagés vers les établissements et organismes, amorçant ainsi la décrue des montants gérés par cette agence, le reliquat des crédits devant être réservé à des recherches réellement émergentes (projets blancs bottom up) ou pour lesquelles existent encore des lacunes thématiques au niveau national (santé – environnement, biodiversité, études sur les rapports sociaux de sexe, écotoxicologie, systèmes complexes, énergies renouvelables…), et permettant le financement de projets de taille modeste, au suivi administratif allégé ;
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transformation des diverses « Primes » non encore attribuées en augmentation du nombre de promotions dans les différents échelons, et revalorisation des salaires (perte de 10% de pouvoir d’achat en 10 ans dans la fonction publique).
L’ESR en lien avec les territoires, des Régions à l’Europe
La politique de l’ESR telle qu’elle sera issue de la future loi devra à l’évidence s’inscrire en cohérence avec la nouvelle étape de décentralisation prévue par le programme du Gouvernement. D’ores et déjà, les régions et un certain nombre d’autres grandes collectivités territoriales ont anticipé le mouvement en s’impliquant en matière d’ESR dans le cadre de leur clause générale de compétence qu’il faut confirmer. Parfaitement illustratif est le rôle croissant des collectivités, au premier rang desquelles les régions, dans le financement des opérations inscrites dans les CPER successifs et en particulier dans les derniers Contrats de projets Etat-Régions 2007-2013. Dans l’acte III de la décentralisation, la compétence ESR doit devenir partagée entre le niveau national qui restera prépondérant (grands organismes nationaux et des diplômes définis nationalement) et le niveau régional complémentaire qui est parfaitement adapté à l’accompagnement des projets d’intérêt général proposés par les acteurs locaux ou à la gestion du bâti universitaire. Il va de soi que cette nouvelle compétence qui sera reconnue aux régions par la loi doit s’accompagner de l’assurance de recettes nouvelles et pérennes et de la création d’un système de péréquation entre régions riches et moins riches, faute de quoi seules les premières seraient en mesure d’intervenir dans ces secteurs essentiels pour l’avenir du pays.
C’est également ce qu’exige la politique d’équilibre entre les territoires affichée dans la structure même du Gouvernement (Ministère de l’égalité entre les territoires attribué à Cécile Duflot). L’Île-de-France où travaillent plus de 40% des forces vives de la recherche française représente à l’évidence un cas extrême qui appelle un traitement spécifique. En matière d’ESR, l’engagement du Conseil régional d’Île-de-France est budgétairement limité. Dans cette région comme partout ailleurs, une politique équilibrée de l’ESR est indispensable pour ne pas laisser des populations et des territoires entiers à l’écart du mouvement. Dans le cadre des 20 et quelques milliards du « Grand emprunt Sarkozy » destinés à soutenir l’ESR, le seul milliard d’euros directement consommable a été attribué au projet Saclay, hors jury et de façon totalement régalienne. Ce projet pharaonique a par ailleurs été sélectionné au titre du plan campus et de très nombreux appels à projets dans le cadre des Investissements d’avenir. Ce milliard d’euros cash sera utilement remis dans un pot commun dont la gestion sera déléguée au conseil régional d’Île-de-France pour des projets d’ESR équilibrés entre les divers territoires de l’ESR francilien.
Les financements européens de la recherche ont pris ces dernières années une place croissante, en particulier avec la montée en puissance du Conseil européen de la recherche. Ce qui se prépare dans le cadre du programme Horizon 2020 (le plan qui remplacera les anciens PCRD pour la période 2014-2020) devrait être plus largement discuté au sein des diverses instances françaises, qui en matière d’ESR comme du reste se tiennent encore trop éloignées des discussions européennes. La dimension européenne de la recherche, l’encouragement à la libre circulation des acteurs européens de la recherche, doivent devenir prioritaires et affichés, y compris chez les plus jeunes chercheurs, dès leur formation doctorale.
Des établissements réellement autonomes,
au fonctionnement démocratique renforcé
La loi sur les Libertés et responsabilités des universités (LRU) est à remplacer. Elle n’a en aucune manière apporté aux universités l’autonomie qu’abusivement elle prétendait leur conférer, elle a au contraire généré une bureaucratisation au détriment du service aux usagers, et ne leur a guère permis que de de gérer la pénurie. L’abrogation pure et simple de la loi LRU créerait, sur le plan légal et pratique, autant de difficultés qu’elle en résoudrait : une large partie de cette loi n’en est pas moins inacceptable et une réforme en profondeur est donc indispensable. Cette nouvelle loi devra être préparée avec la contribution de l’ensemble du monde académique, des étudiants et de la société. Dans l’intervalle, les dévolutions de patrimoine seront suspendues.
Dans son essence, l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur est à promouvoir. Une autonomie qui autorisera enfin le déploiement de politiques d’établissement créatives, innovantes, au service de l’ensemble des usagers de ce service public de l’enseignement supérieur que nous appelons de nos voeux. Il faut pour cela une réforme d’ampleur du mode de financement de l’enseignement supérieur en France, afin d’amener le financement moyen par étudiant et le taux d’encadrement (pédagogique comme administratif) au niveau des pays comparables les plus performants, et d’engager une politique sociale ambitieuse permettant à tous les jeunes de réussir, quelle que soit leur origine sociale.
Afin de remettre le fonctionnement démocratique au coeur des pratiques académiques, l’ensemble des conseils d’administration, des études et de la vie étudiante, et scientifiques de toutes les structures d’enseignement ou de recherche rattachées au MESR ou de structures les intégrant (Pres notamment) devront comporter au minimum un tiers d’élus direct. Les alliances ont été mises en place au nom des vertus de la coordination inter-établissements, mais elles sont surtout un moyen de limiter le rôle des scientifiques élus et de donner plus de poids à la finalisation des recherches. Elles seront donc dissoutes pour être transformées en structures légères de coordination scientifique.
L’évaluation de toute activité financée sur fonds publics est non seulement légitime mais désirable afin d’en améliorer l’efficacité. L’évaluation des organismes et des universités pourrait être confiée à un HCST rénové et opérationnel. Du fait du mode international de fonctionnement de la recherche, les activités des chercheurs sont soumises à évaluation quasi permanente, qu’il s’agisse de publier ses résultats, d’obtenir des contrats pour développer ses recherches, d’être recruté ou promu. Dans le monde entier, ce sont les pairs qui procèdent à l’évaluation, et ces pairs doivent être reconnus par ceux qui seront évalués. Un mix d’évaluateurs élus et nommés reste la meilleure solution pour la constitution des comités d’évaluation. Celle-ci est formalisée dans le cadre des organismes nationaux de recherche qui en France emploient les chercheurs. Pour les enseignants-chercheurs dont les missions à l’université sont plus diverses, la situation est nécessairement plus complexe. La part recherche doit être évaluée par des pairs selon des procédures adaptées à la diversité de leurs activités. En revanche, l’évaluation de leurs enseignements appelle à d’autres procédures, l’avis des étudiants devant être pris en compte. En toute hypothèse, l’Aéres (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), au coût démesuré pour la collectivité et qui n’a nullement fait la preuve de sa valeur ajoutée, doit être soit supprimée, soit très largement restreinte dans ses missions, ses champs d’intervention et son coût de fonctionnement.
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