Contre la violence faite aux prostitu-ées : Pour une alternative solidaire et féministe à la LSI en matière de prostitution

Motion sur la prostitution
CNIR des 22-23 novembre 2003

Vu la Convention des Nations Unies de 1949 « pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, esclavage, travail forcé, trafic de personnes, exploitation de prostitution d’autrui » ;
Vu la « motion sur la prostitution et le trafic des êtres humains » adoptée en CNIR les 30-31 janvier 1999
Vu la résolution du Parlement européen sur « la lutte contre la traite des femmes » du 19 mai 2000

Considérant que l’exploitation sexuelle d’autrui prend les formes les plus violentes, les plus cruelles, mais aussi les plus sournoises, et qu’elle est le résultat d’une inégalité économique, sociale et sexuelle, dans un contexte de guerre économique mondialisée aux effets dramatiques en terme d’accroissement de la misère et d’exploitation des êtres humains ;

Considérant qu’en France, les pouvoirs publics, sous couvert de lutter contre la traite, ont choisi, à travers la loi Sarkozy, de s’attaquer à celles et ceux qui en sont les premières victimes, les personnes prostituées, sans se donner les moyens d’une véritable politique de lutte contre le proxénétisme et les réseaux ;

 Considérant que la France ne respecte toujours pas le protocole de Palerme (Protocole additionnel à la « convention contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, » adopté à New York le 15 novembre 2000, et signé par la France à Palerme le 12 décembre 2000) et alloue des moyens tout à fait insuffisants à la lutte contre la traite des femmes et des enfants et contre les réseaux de proxénétisme ;

Considérant qu’en France, les personnes prostituées sont socialement discréditées et stigmatisées par des lois qui les mettent de fait au ban des droits sociaux et juridiques les plus élémentaires, et qu’ils/elles souffrent trop souvent d’un manque d’accès de fait au droit commun, d’un déni de justice et de protection de la part de la police et des services de justice ;

Considérant que la Loi sur la Sécurité Intérieure (LSI) renforce cette stigmatisation et pénalise les victimes en faisant des personnes prostituées des délinquant-es, condamnables à deux mois de prison et 3750 euros d’amende pour racolage actif ET passif ;

Considérant que la LSI s’attaque particulièrement aux personnes prostituées étrangères qui se voient devenir expulsables dans les plus brefs délais, sous prétexte de les « protéger des réseaux et des proxénètes », y compris les personnes en situation régulière qui peuvent, le cas échéant, perdre leur carte de résident-e ;

Considérant que dans la grande majorité des cas, ce sont les femmes et des transexuel-les qui sont pointées par la répression de la prostitution, les hommes prostitués semblant à ce jour moins objets d’arrestations et d’inculpations, considérant donc que cette loi renforce les discriminations de genre ;

Considérant que la pénalisation du racolage passif a pour effet de repousser la prostitution dans des lieux déserts et retirés, et en conséquence accroît la violence, les risques d’agression et de viols, et fragilise les personnes prostituées qui ont dès lors plus de difficultés à résister aux pratiques à risques ou non désirées. Considérant en outre que les commissariats de police manquent à leur mission de protection des citoyen-nes que sont les personnes prostituées et au contraire les pénalisent ;

Considérant que cette plongée dans la clandestinité de la prostitution a des conséquences dévastatrices en matière de prévention des risques sanitaires et sociaux, en particulier pour les associations de santé communautaire ou d’aide sociale ;

Considérant que le retour progressif et omniprésent de l’ordre moral voulu par la droite relève d’une politique hypocrite qui s’accommode fort bien de la prostitution tant qu’elle est discrète et contrôlée, se moque bien de la situation des prostitué-es et que cette politique qui ne vise qu’à vider les rues fait craindre en outre une tentative de réouverture des maisons closes ;

Considérant que la politique du gouvernement s’intègre dans une politique de lutte contre les “ classes dangereuses ” qui vise à criminaliser la pauvreté et la précarité, que les personnes prostituées, ne disposant pas de tradition de lutte ni de soutiens socio-politiques importants, sont les boucs émissaires idéaux pour détourner l’opinion des conséquences d’une politique anti-sociale qui frappe tous les milieux populaires ;

Considérant que la prostitution repose sur un imaginaire social machiste de la sexualité, et considérant en conséquence qu’une réflexion des « clients », dans l’immense majorité des hommes, sur leur sexualité, supposée irrépressible, est incontournable pour une politique efficace et progressiste de lutte contre l’exploitation sexuelle ;

Considérant que la prostitution s’inscrit dans un contexte social d’inégalité entre les sexes, et qu’une politique de solidarité avec les personnes prostituées et de lutte contre l’exploitation sexuelle est indissociable d’une politique pour l’égalité des genres et de lutte contre le sexisme ;

Considérant que l’émancipation des personnes prostitué-es ne peut se faire qu’avec leur participation et leur soutien, et que leur accession effective au droit commun constitue un levier puissant pour lutter contre les mesures de discrimination, de criminalisation et contre l’asservissement aux proxénètes ;

 

Le Conseil National Inter-Régional des Verts, réuni les 22 et 23 novembre 2003 prend les orientations suivantes et décide de :

 

  •  S’opposer à toute forme de répression des personnes prostitué-es et réclamer d’urgence

 

L’abrogation de la Loi de Sécurité Intérieure et notamment des mesures contre les prostitué-es et la répression du racolage passif et actif ;
La libération immédiate de tout-e prostitué-e incarcéré-e pour cause de racolage ou du fait de son activité ;
L’arrêt des poursuites pénales et des procédures d’expulsion dont font l’objet les prostitué-es en lien avec leur activité ;
La protection des personnes prostituées victimes de traite, comme le stipule le protocole de Palerme (2000), que la France a signé : en particulier par la délivrance de titres de séjour permettant de travailler, une aide juridique, administrative, et un hébergement sécurisé quand les personnes le demandent ;
La reconnaissance du droit d’asile pour les victimes de persécutions sexistes, qui touchent particulièrement les prostitué-es ;
L’abrogation les arrêtés municipaux prohibant la prostitution en centre ville, ainsi que de toutes les mesures de répression qui rejettent les prostitué-es dans la clandestinité, les mettant un peu plus sous le coup de la violence.

 

 

  • Soutenir les actions des prostitué-es contre toute forme de répression.

 

Aider les associations et initiatives qui favorisent la parole autonome, la participation, la consultation et l’auto-organisation des intéressé-e-s. L’émancipation des personnes prostituées ne se fera pas sans elles ;

 

 

  • Exiger une véritable politique de lutte contre le proxénétisme :

 

en protégeant les victimes comme le signifie le protocole de Palerme et, en particulier en leur accordant un droit de séjour stable, d’autant que dans certains cas, l’expulsion conduit  à retomber dans les trafics de traite, voire à la mort (crimes d’honneur, peines de mort pour homosexualité ou pour prostitution…) ;
en réprimant les proxénètes et les réseaux mafieux comme la loi le prévoit, donc en donnant les moyens en termes de personnel aux organismes comme l’OCRTEH (Office central de répression contre la traite des êtres humains) ;
en confisquant les biens des personnes reconnues coupables de proxénétisme, pour les consacrer à l’aide aux victimes, avec la possibilité d’obtenir une indemnisation et une réparation pour les dommages financiers, physiques et psychologiques subis ;

 

  • Exiger de revoir les ordonnances de 1960 pour que les prostitué-es ne soient plus des sous-citoyen-nes maintenu-es dans l’isolement

 

supprimer toutes les dimensions stigmatisantes : enlever les notions de « fléau » et d’ « inadaptation sociale », comme on l’a fait dans les mêmes ordonnances pour les homosexuels ;
enlever les relents de prohibitionnisme des ordonnances : en particulier, redéfinir et actualiser la notion de « proxénétisme » pour – notamment – permettre aux personnes prostituées de se loger décemment, d’avoir une vie affective, sociale et familiale, et recentrer la répression sur les situations de violence, d’exploitation et d’abus.

 

 

  • Agir auprès des pouvoirs publics afin

 

que l’on cesse de considérer – à l’instar des ordonnances de 1960 – les personnes prostituées comme « inadaptées sociales » aliénées et incapables d’une parole fiable et participative ;
d’aborder la question de la prostitution à l’aune des personnes concernées et avec leur participation, dans l’objectif de les protéger par la loi (le droit commun) ;
Prévenir et réduire les risques liés à la prostitution (violences sociales, physiques et psychologiques) par le droit commun ;
Faciliter l’accès aux droits sanitaires et sociaux, au sein de démarches participatives intégrant les personnes prostituées (santé communautaire) ;
Permettre aux prostitué-e-s d’avoir recours, comme tout-e citoyen-ne, aux forces de l’ordre et à la Justice pour lutter contre les violences qu’ils-elles subissent ;
Eradiquer définitivement le fichage des prostitué-es officiellement interdit depuis les ordonnances de 1960, mais, de fait, toujours en vigueur ;
D’avoir une politique d’aide sociale renforcée auprès de tou-tes celles/ceux qui sont particulièrement marginalisé-es, visant à :
Renforcer l’accès aux soins (gratuité, anonymat) des personnes migrantes, souvent endettées, parfois doublement clandestines ;
Mener des actions positives permettant des reconversions professionnelles, l’accès à des formations professionnelles de longue durée, rémunérées, qualifiantes et diplômantes pour celles et ceux qui souhaitent changer d’activité, qui sont maintenu-es à l’exercice de la prostitution par des situations économiques ou personnelles (usage intensif de drogues, etc.) sans véritable alternative ;
Former tous les intervenants sociaux et les services de police aux situations vécues par les personnes prostituées ainsi qu’à la connaissance de leurs droits ;
Mettre en place un numéro anonyme et gratuit d’aide aux personnes en situation de prostitution, indépendant de l’Etat, avec des écoutant-e-s formé-e-s et qualifié-e-s  (accès aux droits, accompagnement, orientation…)

 

 

  • • De prévenir et répondre de manière adéquate aux situations que vivent les personnes prostituées par des démarches solidaires et “durables”

 

Au niveau européen : renforcer l’Observatoire européen sur les violences faites aux femmes. Exiger la mise en œuvre des mesures proposées par la résolution du Parlement européen sur la lutte contre la traite des êtres humains (A5-0127/2000). Donner plus de moyen à la politique de lutte contre la traite des êtres humains et contre l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants et au programme AGIS.
Au niveau national : inscrire parmi les objectifs de la Haute Autorité contre les Discriminations la lutte contre les discriminations dont sont victimes les personnes prostituées, notamment la stigmatisation dont elles et ils sont l’objet, et les barrières à un accès réel au droit commun.
Mener des campagnes de sensibilisation et d’information systématique au plan national : lutte contre les discriminations sexistes, éducation des jeunes à la sexualité dans le respect de l’autre, éducation non-sexiste, politique d’information et de responsabilisation des clients afin de les sensibiliser au problème de la traite des femmes et des enfants et de susciter une réflexion sur la sexualité et sur l’exploitation sexuelle.
Localement : afin d’apaiser les tensions, de créer un climat de dialogue et d’éviter les plaintes et poursuites : inviter les élus à favoriser et à prendre toute initiative de concertation entre riverains, associations communautaires – intégrant des personnes prostituées- et de terrain, pouvoirs publics et représentants des citoyens et habitants (élus, conseils de quartier, etc.)

Remonter