Relocaliser l’école

J’ai commencé à penser différemment les questions de l’école (qui ont occupé une grande partie de ma vie
professionnelle) après la lecture du dernier livre de Naomi Klein : Tout peut changer. Capitalisme & changement climatique (Actes Sud). Cette somme sur le réchauffement climatique, bien écrite et très documentée, m’a fortement impressionné. Si l’on en croit l’auteur, ni les conférences internationales depuis trente ans ni les bons sentiments des uns ou des autres ne changent le cours des choses. Au contraire, les politiques menées nous entraînent gaiement à la catastrophe : phénomènes naturels, déstabilisation générale, déplacements de population, guerres…
Prendre le chemin inverse devrait donc être le seul horizon de nos engagements de vie et de pensée.

Depuis longtemps, je suis «plutôt écolo » comme « tout le monde »… pas vraiment engagé sur ces terrains, ni spécialiste du sujet. J’essaie de faire évoluer certaines habitudes personnelles et me sens concerné par le sort de la planète, « comme tout le monde »… ou presque.
Pourtant, tout se passe comme si nous – « tout le monde » – passions à côté de l’essentiel S’il faut urgemment prendre le chemin d’une transition écologique, nous devons en tirer les conséquences dans tous les domaines de notre vie sociale. Et, là, sur le sujet qui nous intéresse, revoir nos classiques, si on peut dire…
Je n’ai pas la prétention de faire le tour du problème. J’essaie simplement d’ouvrir des portes – à moins qu’elles ne le soient déjà… tant les choses paraissent évidentes. J’espère en tout cas susciter des réactions… et des envies d’approfondir… et des vocations… parce que nous avons de la route à faire…

Ecole… logie ?

Le ministère de l’éducation nationale intègre l’écologie dans les programmes de l’éducation au développement durable (EDD). En 2015 par exemple :
* L’éducation à l’environnement et au développement durable, une manière concrète de vivre les valeurs de la République.
* Mobiliser la jeunesse et la société civile en vue de la COP21.
* L’excellence environnementale dans les établissements : montrer l’exemple.
* L’école change avec vous : chaque école, chaque collège et chaque lycée va s’engager dans une démarche de développement durable.

Généralement, les déclinaisons concrètes se limitent à une sensibilisation (sur la question du climat par exemple) ou à une éducation aux gestes « citoyens » (le tri des déchets). Le plus souvent, elles ne sont considérées que sous l’angle des responsabilités individuelles.
Parfois, des initiatives collectives sont menées, en périphérie, sous la pression de certains parents ou élus : je pense notamment aux cantines bio et locales qui se multiplient avec bonheur.

À ma connaissance, jamais l’institution n’interroge son propre fonctionnement et ses orientations :
* sur le bilan carbone des structures qu’elle met en place.
* sur la qualité des « écosystèmes humains» dans et autour de l’école.
* sur le développement des pédagogies coopératives.

Small is écolo…

Dès qu’il s’agit de prendre une décision écologique, la question de la taille de la structure est déterminante :
*Mieux vaut plusieurs petites réserves d’eau à Sivens qu’une vallée inondée…
*Plutôt trente petites exploitations qu’une seule usine à mille vaches…
*Des petites éoliennes valent mieux qu’une tour de cent cinquante mètres de haut…

Depuis des années, les défenseurs des petites écoles argumentent sur le même thème sans être complètement entendus.
Et pourtant, la qualité de l’enseignement en dépend. Toutes les études depuis trente ans indiquent cette tendance : « plus l’école est petite, plus grandes sont les chances de réussite ».
La taille de la structure favorise le rayonnement de l’école dans son environnement parce qu’elle facilite les rapports avec les élus, avec les parents, avec les habitants.
Bien souvent, une petite école offre beaucoup plus d’espace aux élèves et des équipements conséquents.
Enfin, l’éducation à la coopération – un des fondements de la conscience écologique – peut s’y exercer de façon bien plus favorable.

Il ne s’agit pas de nier les difficultés rencontrées. Elles sont souvent les conséquences d’une absence de politique de la part de l’institution (notamment en terme de formation des enseignants). L’isolement est aussi un danger : des réseaux de petites écoles sur un territoire (plutôt que les regroupements) existent depuis longtemps comme solutions effectives.
Sur un plan général, comme le défendent aujourd’hui ceux qui essaient de sauver ce qui existe encore : la petite école n’est pas un problème, c’est une chance.

Une précision ici : je parle de petites écoles… parce que ce sujet n’intéresse pas que le monde rural. Il en existe aussi en ville (une d’entre elle, à classe unique, a été fermée à Cahors en 2014 malgré une forte opposition des habitants du quartier). Si la petite structure concerne évidemment l’avenir de la ruralité aujourd’hui bien malmenée, elle est également pertinente dans le cadre d’une politique de la ville…

La disparition des petites écoles est programmée à grande échelle pour des raisons d’aveuglement gestionnaire.
Académie après académie, le ministère de l’éducation nationale organise ce déménagement du territoire avec la complicité plus ou moins consciente des grands élus (députés, sénateurs, présidents des conseils départementaux…) dans le cadre de comités de pilotage encadrés par des protocoles dont le seul objet est la restructuration (le remaillage !) du tissu scolaire.

Ni les élus concernés (ceux des petites communes rurales en particuliers), ni, a fortiori, les parents d’élèves et les habitants des villages ou des quartiers ne sont sollicités pour donner un avis. Dans l’Allier – et c’est le seul cas de démarche un peu démocratique que je connaisse – un vote des maires en janvier 2015 rejetait à 64,63 % (vote à bulletin secret) le projet de « convention d’aménagement durable des territoires scolaires » qui leur était soumis par le Rectorat (j’adore l’emploi du mot « durable »).

Partout, le passage en force (ou en catimini) est de rigueur. La feuille de route est très claire. Mme Vallaud-Belkacem l’a dit à l’Assemblée Nationale le 24 octobre 2014 : « … dans les trois ans, le nombre d’écoles à une ou deux classes est appelé à diminuer au profit de regroupements pédagogiques concentrés ».
Ça et là, fleurissent des projets de cités scolaires, comme à Luzech dans le Lot :
«… La ville de Luzech, avec l’aide du département, a décidé de reconstruire ses écoles (maternelle et élémentaire) sur le même site, créant ainsi une véritable cité scolaire. Le lieu d’implantation permet une mutualisation des espaces. Deux entités composeront la cité scolaire : un collège de 450 élèves (extensible à 500) ; un groupe scolaire (maternelle 90 élèves et élémentaire 150 élèves) ».
Actuellement, l’école élémentaire de Luzech accueille 70 élèves … les communes alentour ont du souci à se faire…

Cités scolaires et fermes aux mille vaches.

Ce rapprochement est volontairement provocateur. Il a le mérite de focaliser sur la question de la taille des structures et sur les logiques de concentration. Dans les deux cas, il y a des enjeux économiques mais aussi des dérives « technicistes » dont les conséquences écologiques sont manifestes…

En ce qui concerne l’école, les restructurations obéissent bien sûr à des contraintes d’ordre budgétaire mais pas seulement : l’administration de l’éducation nationale – que j’aime appeler la « technostructure » – est persuadée qu’elles sont nécessaires et efficaces (elle se fait d’ailleurs beaucoup d’illusions… mais c’est un autre sujet).
Sa première préoccupation est la gestion de la machine afin d’en diminuer les coûts – réduire les « gaspillages », en « mutualisant » – mais aussi de mieux contrôler les pratiques en classe – pour les rendre plus « performantes ». A cet effet, elle a mis en place des usines à gaz numériques de suivi des parcours et tout un arsenal d’évaluations comme autant d’indicateurs (dont la fiabilité est très contestable).
La concentration lui apparaît répondre au mieux à cette volonté de pilotage par le haut en simplifiant la gestion d’ensemble.
La réflexion pédagogique est secondaire ou alors limitée à une question de moyens et d’équipements. D’un certain côté, la « technostructure » reste prisonnière d’une vision « productiviste » de la politique scolaire.

Le parallèle avec l’agriculture a une vertu. Il nous permet de penser autrement les perspectives. La Confédération paysanne, notamment, a exploré les pistes pour un autre développement, respectueux des équilibres humains et écologiques. Notre nouvel horizon doit pouvoir s’en inspirer, au moins sur le plan des préoccupations et des principes.

Produire local, consommer local… éduquer local.

L’idée force de la transition écologique est de relocaliser les activités humaines: la production, la consommation, l’énergie, les transports…

Et l’école alors ?

Si l’on veut bien se mettre dans cette perspective, chaque fermeture d’une petite école doit être considérée comme un désastre écologique :
* Elle détruit un environnement humain de proximité (un village ou un quartier réuni autour de son école).
* Elle déracine les enfants de leur milieu naturel de vie (aller à l’école à pied ou en vélo : quel bonheur !!).
* Elle pousse à une concentration des élèves dans des cités scolaires inadaptées.
* Elle profite aux entreprises de transport (et aux pétroliers) mais fait le malheur des enfants ballotés dès leur plus jeune âge dans les bus du ramassage.

A contrario, chaque maintien – ou ouverture – d’une petite école est une chance pour l’avenir :
* Elle propose un autre cadre éducatif, propice aux apprentissages, à l’entraide et à un développement intelligent, grâce au mélange des âges dans une même classe. A ce sujet, certains ont évoqué la notion de « biodiversité scolaire » quand petits et grands vivent ensemble dans une même structure.
* Elle permet la prise en charge par la collectivité des questions éducatives (enseignants, parents d’élèves, élus, amis de l’école). Naomi Klein dans son livre souligne que la transition ne peut se concevoir de façon concrète sans l’action effective des citoyens eux-mêmes. Elle donne l’exemple du Danemark où le développement des énergies renouvelables s’est réalisé très efficacement à l’initiative de petites structures décentralisées et démocratiques
* Dans l’urgence de la situation, chaque bâtiment scolaire de village (ou de quartier) qu’on peut sauver – pied à pied, un par un – est un outil de plus pour construire autre chose, dans le bon sens. Il s’agit donc d’une résistance pour l’avenir. Le maintien de la structure petite école – ses murs, son matériel, son personnel, son dynamisme local – est une chance à saisir.
Par comparaison, il en est de même quand chaque voie ferrée conservée – son tracé, ses ouvrages d’art –permet qu’un jour le rail reprenne le dessus dans le domaine des transports.

Il faut sauver les petites écoles pour préparer la transition !

Depuis des années, ces petites écoles sont en sursis et des bagarres locales essaient de les sauver tant bien que mal au nom de la défense des services publics. C’est une bonne raison mais insuffisante car il ne s’agit pas seulement de défendre pour conserver…

Une école qui ferme, ce n’est pas seulement « la mort d’un village ou d’un quartier», c’est une défaite écologique et sociale pour tous (à noter en passant qu’il est important de faire la différence entre fermeture de classes et fermetures d’écoles : on comprend bien ici qu’il ne s’agit pas des mêmes enjeux).

Nous sommes souvent perçus comme des nostalgiques d’une ruralité (ou d’une urbanité) d’un autre âge et qui ne savent pas s’adapter aux réalités de l’époque. Nos adversaires (et nos faux amis) seraient les modernes et nous serions les archaïques. La question urgentissime du réchauffement climatique, par les mesures qu’elle nous oblige à prendre tôt ou tard, renverse cette dualitéLa modernité prend alors un autre visage : celui d’une petite école sans ramassage (ou le moins possible), avec un mélange des âges dans une même classe, des pratiques coopératives, une intégration dans un réseau de territoire… et où tous les temps de l’enfant (avant, pendant et après la classe) sont pensés dans la continuité par l’ensemble des acteurs locaux.

Qui, que, quoi, comment?

Le Collectif « La petite école est une chance » réuni à Paris en octobre dernier a essayé de lancer quelques propositions sous forme de mesures urgentes :
– L’arrêt des fermetures des petites écoles de village ou de quartier.
– La création d’un conservatoire des classes uniques (sauver celles qui restent encore), « laboratoires » pour une école à taille enfant.
– La création d’un label
École en transition qui encouragerait toutes les initiatives locales.

Malheureusement, ces voix isolées portent peu dans le concert ambiant. Le paysage politique est désastreux et les choix en matière d’école de plus en plus catastrophiques.
Dans ces conditions de délitement de l’école publique et de crispation pédagogique, certains parents choisissent de scolariser leurs enfants dans des structures privées alternatives. Je comprends leur démarche mais m’en inquiète… et cela pour deux raisons :
– L’école publique (l’école pour tous) jouera de moins en moins son rôle de creuset social : n’y resteront que les enfants des familles qui n’ont pas les moyens de choisir…
– L’objectif politique de transition écologique en sortira affaibli. Naomi Klein insiste là-dessus : si l’engagement de chacun est indispensable, aussi bien qu’une prise en charge collective des solutions, les orientations des politiques publiques jouent un rôle primordial. Convaincre à ce niveau là est aussi une de nos responsabilités.

L’objet de cet article est d’essayer, en pensant ces questions sous cet angle, de relancer le débat.
Il ne pourra avoir lieu que si nous sortons du ghetto des professionnels de la profession et des discours convenus.
De nouveaux acteurs peuvent jouer un rôle important. Je pense à tous ceux qui sont déjà tournés vers les solutions d’avenir dans leur domaine, comme la Confédération paysanne par exemple.
Dans le paysage politique, de nouvelles forces d’initiatives font leur apparition, plus jeunes et sans doute plus à même de porter des perspectives, en particulier les mouvements qui se sont exprimés à l’occasion de la Cop 21 (Alternatiba et autres…).

J’ose espérer.

Jean Pauly,

le 31 décembre 2015

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