Faire de la culture le 4ème pilier du développement durable
Faire du lobbying pour le Sommet Rio+20
Ce document offre des idées pour la considération d’activistes, réseaux et d’acteurs culturels qui pourraient être en train de préparer une contribution au Secrétariat de la Conférence Rio+20 afin d’influencer la rédaction des documents initiaux des négociations.
Agenda 21 de la culture – Commission culture de CGLU: www.agenda21culture.net
Contact: agenda21cultura@bcn.cat
Les contributions s’envoient au Secrétariat de la Conférence Rio+20: http://www.un.org/News/Press/docs/2011/envdev1227.doc.htm
La date limite d’envoi est le 1er novembre 2011.
Contexte
Voici un résumé avec des idées issues d’environ 10 ans de débats sur la relation entre la culture, les politiques locales et le développement durable. Ces discussions sont « nouvelles » pour le secteur culturel, et la proximité du Sommet de Rio+20 a augmenté le partage d’information et la prise de conscience à cet égard.
Les débats ont surtout eu lieu dans des villes, ils ont été organisés par des ONG, des associations, la société civile et les gouvernements locaux.
Nous sommes convaincus que ces contributions ont un sens dans un débat ouvert sur le futur du développement durable : sa structure conceptuelle, le cadre institutionnel international et sa déclinaison au sein des nations et des villes.
1. Le concept de « développement » évolue
On n’entend pas actuellement le développement de la même manière qu’en 1972, 1987 ou 1992. Le concept a évolué. Edgar Morin, Amartya Sen ou Arjun Appadurai (pour n’en citer que quelques-uns) se sont exprimés sur le sens du terme développement après 1992.
Il faut tenir compte de ces contributions ! On peut résumer comme suit l’évolution du concept «développement» : actuellement, développement signifie liberté, élargir les possibilités de choix, mettre les êtres humains – enfants, hommes et femmes – au centre du futur.
Actuellement, les êtres humains ont des capacités mais il leur manque des competences (capabilités, outils, techniques) pour comprendre le monde et le transformer afin qu’il devienne vraiment durable. Ces compétences sont l’alphabétisme, la créativité, le savoir critique, le sens de l’endroit, l’empathie, la confiance, le risque, le respect, la reconnaissance… On peut considérer ces compétences comme la composante culturelle de la durabilité.
Ces compétences ne sont incluses dans aucun des trois piliers actuels. Il est évident que la culture a une dimension économique (elle génère de l’occupation et des revenues) mais on ne peut la réduire à un instrument de croissance économique.
C’est vrai, la culture a une dimension sociale (de lutte contre la pauvreté, de participation, d’égalité des droits…) mais on ne peut la réduire à un instrument qui favorise l’inclusion sociale ou qui donne de la cohésion à une société ; c’est beaucoup plus que cela.
La culture a une dimension environnementale mais on ne peut la réduire à un instrument qui fasse prendre conscience de la responsabilité environnementale. Le paradigme de la durabilité requiert un composant culturel explicite. La communauté internationale doit envisager sérieusement l’idée de transformer le modèle à trois piliers en un modèle à quatre piliers dans lequel la culture serait le quatrième.
Un premier essai de débat de la composante culturelle de la durabilité a eu lieu lors du Sommet de Johannesburg de 2002, lorsque la France, le Mozambique et l’UNESCO organisèrent la table ronde « La culture est le quatrième pilier du développement durable».
2. Une compréhension du développement qui ne s’ajuste pas à la mondialisation
Le modèle des trois piliers se base sur une vision occidentale (étriquée). Ce modèle n’inclue pas explicitement des valeurs essentielles pour chaque individu de notre monde, telles que le bien-être, le bonheur, l’équilibre, l’harmonie ou l’identité, qui sont explicites et pleinement intégrées au concept de développement de plusieurs peoples autochtones et dans les visions sur le développement durable qui émergent dans beaucoup de pays.
Ces valeurs influencent également la manière de voir actuellement le développement en Occident: les études et recherches menées à bien en France, au Royaume Uni ou au Canada qui visaient à mesurer « les composants d’une vie ayant un sens » offrent des conclusions semblables.
On ne saisit le sens profond du développement qu’au niveau local. On ne peut pas faire démarrer les modèles globaux s’il n’y a pas de « porte », une gouvernabilité locale où les personnes et les lieux ne se voient pas menacés mais, au contraire, où on les invite et on leur donne des compétences afin qu’ils deviennent acteurs de la mondialisation, c’est-à-dire afin qu’ils créent un nouveau sens sans perdre leur identité.
Ce processus est culturel et non pas social, économique ou environnemental. Reconnaître la diversité renforce la durabilité. Reconnaître la pluralité des systèmes de savoir s’avère fondamental pour les sociétés vertes. Les gouvernements locaux et la société civile sont les meilleurs instruments pour atteindre ces objectifs.
3. Quelques questions pragmatiques
Le débat sur le rôle de la culture et du développement durable est présent dans de nombreuses nations et villes. Dans les débats locaux, dans les processus participatifs, la culture émerge comme une des composantes clé pour le développement durable. Une stratégie nationale ou locale pour le développement durable sans des considérations culturelles s’avère moins cohérent, moins ambitieux et moins réaliste.
Les citoyens D’un point de vue historique, la société civile, les mouvements sociaux et les activistes qui revendiquent la démocratie ont toujours donné une grande importance aux considérations culturelles. La liberté d’expression ou le droit à prendre part à la vie culturelle sont inclus dans la Déclaration universelle des Droits humains.
Bien que la relation entre droits humains, culture et développement durable n’a pas été analysée en profondeur, il semble évident qu’il existe un droit des citoyens à avoir accès à des ressources culturelles ainsi qu’un droit des citoyens à modeler la vie culturelle actuelle et future.
Les citoyens, bien équipés avec les « compétences culturelles » mentionnées ci-dessus, doivent être considérés comme les acteurs, et pas seulement les bénéficiaires, du développement durable.
Les artistes et le secteur culturel Le travail des artistes a eu un énorme impact sur le processus de prise de conscience sur la durabilité. Cet impact n’est pas suffisamment reconnu.
Il existe de merveilleuses oeuvres d’art (au cinéma, dans les arts plastiques et scéniques ou la littérature, ainsi que dans le design, l’architecture ou la mode) qui se sont avéré être un catalyseur de changement et qui ont été fondamentales pour mieux valoriser la durabilité.
Le patrimoine matériel (pas uniquement les sites patrimoine de l’humanité) et le patrimoine immatériel sont de bons éléments qui condensent les valeurs que l’on garde pour les prochaines générations. Il existe une énorme frustration au sein des communautés artistiques et culturelles lorsqu’on ne les inclut pas dans les débats sur le développement durable.
Le manque de ponts entre la culture et le développement durable est une perte d’énergie et de ressources.
Les gouvernements Les gouvernements nationaux considèrent que la culture est l’âme du développement, et que la diversité est un patrimoine commun de l’humanité (Convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles, 2005).
Certains gouvernements nationaux incluent des considérations explicites relatives à la culture dans leurs stratégies de développement nationales, c’est le cas du Canada, du Brésil, du Bhoutan, de l’Australie, de la Nouvelle Zélande…
Certaines fédérations nationales de municipalités (SALAR en Suède, FMC au Canada, et bien d’autres) ont recommandé aux villes et gouvernements locaux qu’ils élaborent leurs stratégies de développement à long terme en incluant la culture comme quatrième pilier ou dimension.
Quelques gouvernements locaux ont élaboré des politiques à long terme qui incluent un pilier culturel. Pour n’en citer que quelques-uns : Kanazawa au Japon, Lille et Angers en France, Penang en Malaisie… Le gouvernement du Québec (Canada) élabore un Agenda 21 de la culture afin que la culture soit un pilier ou une dimension de la durabilité.
Les entreprises La culture (le patrimoine, les arts, les industries culturelles) est l’un des secteurs économiques de croissance les plus rapides. Les secteurs culturels appartiennent à l’économie verte. La responsabilité sociale des entreprises s’étend, et certains plans incluent des projets sur la culture et l’éducation. Plusieurs entreprises valorisent leurs compétences interculturelles et mesurent leur impact culturel local.
La société civile Le nombre d’ONG qui traitent de thèmes liés à la culture et au développement durable au niveau local est en pleine croissance. Ce ne sont pas seulement les ONG qui travaillent dans le domaine des arts et du patrimoine mais aussi celles qui travaillent avec les médias, la liberté d’expression, l’inclusion sociale, les migrants et l’environnement.
La crise économique et financière actuelle des pays occidentaux pousse les citoyens vers des valeurs qui donnent un sens à notre vie.
Le système de l’ONU L’UNESCO a inclus des considérations relatives au développement durable au moins depuis 1996. Le rôle de cet organisme pour fixer des modèles dans le domaine de la politique culturelle s’est avéré extraordinaire. La contribution de la culture pour mitiger la pauvreté a été reconnue par la communauté internationale (OMD 2010).
Le PNUD, le PNUMA, Habitat… incluent (bien que timidement) des considérations culturelles dans leurs programmes.
Cités et Gouvernements Locaux Unis CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis) est l’organisation mondiale des villes. En octobre 2004 elle a adopté l’Agenda 21 de la culture (2004) comme document d’orientation pour les politiques culturelles locales et elle a approuvé récemment (en novembre 2010, Ville de Mexico) la Déclaration « La culture est le quatrième pilier du développement durable ».
Cette Déclaration se base sur l’idée partagée que le monde ne fait pas seulement face à des défis économiques, sociaux ou environnementaux -les 3 domaines aujourd’hui reconnus comme les 3 piliers du développement durable- mais que la créativité, la connaissance, la diversité et la beauté sont les bases incontournables du dialogue pour la paix et le progrès, dans la mesure où elles sont intrinsèquement liées au développement de l’homme et aux libertés.
Cette nouvelle approche traite de la relation entre la culture et le développement durable à travers de: (1) le développement d’une politique culturelle locale vaste et solide qui se base sur les droits culturels des citoyens, et (2) la présence de considérations et d’analyses relatives à la culture dans toutes les politiques publiques.
L’Agenda 21 de la culture, approuvé en 2004, relie plus de 450 villes, gouvernements locaux et organisations. On peut le considérer comme la première « charte de principes » internationale sur les politiques culturelles et le développement durable.
4. Quelques résultats souhaitables et faisables pour Rio+20
Il faut faire tous les efforts possibles pour que le Sommet de Rio+20 soit une réussite.
Le Sommet de Rio+20 mettra l’accent sur l’économie verte et le nouveau cadre institutionnel pour le développement durable. Un des objectifs du Sommet est « renforcer l’intégration des piliers du développement durable à différents niveaux de la gouvernance – local, national, régional et international ». Cet objectif ambitieux requiert de l’inclusion explicite d’un quatrième pilier: la culture.
Le Sommet devrait être une opportunité pour parler de la structure conceptuelle du développement durable, analyser les lacunes de sa mise en oeuvre dans les nations et les villes et relever les défis qui se font jour. Nous croyons que la culture doit avoir sa place dans le Sommet.
La Déclaration finale de Rio+20 devrait inclure un chapitre qui explique la relation entre la culture et le développement durable. Elle doit aussi inclure un chapitre sur le rôle des gouvernements locaux dans le développement durable.
Ces chapitres reflètent le monde tel qu’il est actuellement. Ces chapitres ne devraient faire de mal à personne.
La Déclaration finale de Rio+20 pourrait aussi suggérer la création des Objectifs de la Durabilité. S’il en est ainsi, il faut mentionner la culture et inclure des objectifs explicites liés aux arts et à la culture.
Il est aussi recommandable que la Déclaration finale suggère de créer des mécanismes institutionnels pour analyser plus en profondeur, au cours des prochaines années, la relation entre la culture et le développement durable. On pourrait étudier la possibilité d’une « Décennie de l’ONU sur la culture pour le développement durable ».