Monsieur le Premier ministre,
Après votre déplacement à Calais ce lundi 31 août, nous apprenons par voie de presse la tenue d’une réunion interministérielle d’urgence sur la crise des réfugiés ce jour à 16h. Le Président de la République et la Chancelière allemande ont par ailleurs annoncé dans l’après-midi une initiative européenne sur les réfugiés comportant une « répartition équitable » entre pays européens.
Nous nous réjouissons que l’Etat prenne la mesure de la situation et sa complexité, même si elle n’est pas récente. Depuis quatre jours le gouvernement se dit publiquement solidaire des réfugiés et proclame l’urgence d’agir, et nous nous en réjouissons.
Nous nous réjouissons également qu’une réponse européenne à cette crise puisse enfin émerger. Après avoir refusé le 16 mai 2015 la politique des quotas lancée par la Commission européenne, nous sommes soulagés que vous ayez enfin saisi l’importance d’une coopération européenne pour traiter ce problème. Pour résoudre cette crise, nous devrons impérativement oublier nos égoïsmes nationaux et travailler ensemble à des solutions pérennes.
Concernant la situation à Calais où survivent près de 3 500 réfugiés qui cherchent à rejoindre le Royaume-Uni, Nous saluons votre proposition pour l’installation d’équipements de mise à l’abri des réfugiés. Cela répond à une demande de longue date des écologistes et des associations locales.
Toutefois, ces annonces apparaissent notoirement insuffisantes. La construction début 2016 d’un camp humanitaire de 1500 places à Calais ne permettra d’abriter que la moitié des réfugiés actuellement présents, dans la même logique que le centre de jour Jules Ferry, qui ne distribue que 1500 repas par jour là où il en faudrait au moins 3000. Et déjà, en tant que Ministre de l’intérieur en 2011 vous aviez promis des mesures d’hébergement plus adaptées et la renégociation du traité du Touquet, ce qui ne n’est toujours pas d’actualité.
Encore une fois, il est nécessaire d’avoir une réponse des pouvoirs publics en adéquation avec la gravité de la situation calaisienne. Vous l’avez vous-même reconnu : les conditions de vie sont terribles. Laisser de fait 1 500 personnes dont des familles, des femmes et des enfants dans les conditions actuelles est proprement inacceptable.
De plus, l’investissement promis par la Commission européenne pour la construction de ce camp est de 5 millions d’euros, moitié moins que les annonces faites la semaine dernière par le Ministre de l’intérieur et son homologue britannique. Rappelons que ces 10 millions étaient venus s’ajouter aux 15 millions d’euros déjà engagés en 2014 dans les équipements sécuritaires et au renforcement des effectifs de police (2000 agents) qui font ressembler le port et l’entrée du tunnel à un territoire en guerre.
Alors que ces mesures sécuritaires visent à rendre totalement imperméable la frontière à Calais, elles ont en réalité des conséquences graves : l’augmentation du nombre de morts et de blessés, la recherche d’autres voies de passage, notamment le Dunkerquois où certains campements atteignent désormais 500 personnes. On ne fait donc que déplacer le problème.
C’est la même logique qui est à l’œuvre aux frontières de l’espace Schengen, en Espagne, en Italie, en Grèce ou encore en Hongrie qui s’entoure des mêmes barbelés que le port de Calais. Nous devons sortir de cette édification d’une Europe forteresse contre laquelle viennent mourir des réfugiés en détresse. A l’indignation face aux morts de la Méditerranée, il faut voir succéder l’action.
Aux mesures d’urgence humanitaire, il est impératif d’associer des politiques à long terme, qui s’attaquent aux causes de ces migrations, et notamment les crises politiques et climatiques qui conduisent à l’exil. Les politiques de soutien dans les pays d’origine des réfugiés doivent être amplifiées, avec une politique de coopération et de développement ambitieuse.
La France a, maintes fois par le passé, montré sa capacité à accueillir en nombre des réfugiés issus d’exodes massifs, dans un souci de dignité des personnes. Dans la région Nord Pas de Calais – Picardie comme ailleurs, nous attendons de la France qu’elle renoue avec les valeurs humanistes qui ont fondé son pacte républicain.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma très haute considération.
Sandrine ROUSSEAU
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