Les lobbys ? Un rouleau compresseur très violent !

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Entretien de Yannick Jadot du 6 juillet 2013 dans le Parisien.

Par Bérangère Lepetit

Député européen (EELV), Yannick Jadot dénonce la perméabilité malsaine entre les entreprises et l’Etat qui a conduit à l’éviction de Delphine Batho de l’Ecologie.

Jeudi, l’ancienne ministre de l’Ecologie (PS) Delphine Batho, limogée par Jean-Marc Ayrault, a accusé le gouvernement de céder aux « forces économiques ». Un sujet qu’a soigneusement évité d’aborder hier François Hollande lors de son voyage officiel en Tunisie. Député européen (EELV), Yannick Jadot décrypte qui se cache derrière ces lobbys et comment ils exercent leur influence.

Quelles sont ces « forces économiques » dont parle Delphine Batho?

YANNICK JADOT. Les énergéticiens sont très offensifs. Delphine Batho a cité le président du directoire du groupe Vallourec (NDLR : leader mondial des tubes sans soudure), Philippe Crouzet, mais elle aurait pu citer Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, ou Henri Proglio, président d’EDF. Avec Crouzet, elle choisit un proche de François Hollande (NDLR : Philippe Crouzet est l’époux de Sylvie Hubac, directrice de cabinet de François Hollande). Ce qu’elle veut dire par là, c’est : « le président de la République ne m’a pas soutenue ». Mais parlons d’Henri Proglio. Pourquoi est-il toujours à son poste aujourd’hui après avoir soutenu Nicolas Sarkozy? Son avocat et grand copain s’appelle Jean-Pierre Mignard, le même avocat et grand copain de François Hollande…

Quels types de liens unissent les dirigeants politiques et les patrons des grands groupes?

Entre l’Etat et les entreprises, il existe une perméabilité extrêmement malsaine. Tout ce petit monde se connaît très bien. Ils ont fait les mêmes écoles, viennent des mêmes corps comme celui des Mines, très impliqué dans le secteur énergétique, ou des Ponts et Chaussées. Ils s’échangent leurs postes. Quelqu’un qui est un jour du côté de l’administration va se retrouver le lendemain du côté de l’opérateur privé, EDF, GDF Suez ou Total. En France, si la réforme du secteur bancaire est si délicate, c’est que les conseillers de Bercy savent qu’ils iront un jour ou l’autre pantoufler dans les banques.

Comment s’exerce au quotidien la pression de ces lobbys ?

C’est un rouleau compresseur très violent. Un harcèlement au quotidien qui prend la forme de réunions incessantes en face à face. Certains industriels sont assez puissants pour avoir des rendez-vous avec les cabinets ministériels. A Bercy, sur chaque arbitrage, les conseillers reçoivent les lobbys qui développent à chaque fois les mêmes arguments. Quand on est ministre, on est obligé de recevoir ces gens très puissants qui ont des relais importants dans les médias.

Mais les ministres reçoivent aussi les responsables d’associations, par exemple…

Les acteurs économiques ont le pouvoir financier et celui de la menace, contrairement aux associations. Avec les lobbys, le ministre s’attaque à des rentes et se retrouve face à un mur très vite s’il veut vraiment changer les choses. Sur le sujet de la pollution au diesel par exemple, les lobbyistes font le calcul des sites automobiles obligés de fermer si les voitures diesel étaient interdites de circulation…

A Bruxelles, cette pression est-elle plus visible encore ?

A l’Assemblée ou au Parlement européen, ils traînent dans les couloirs. On les reçoit en permanence. A Bruxelles, je siège au comité sur la fiscalité écologique. Le Medef nous dit : « Vous allez supprimer des usines. » Si je voulais, je passerais mes soirées dans des dîners organisés par les entreprises. Ils proposent aussi des voyages où les députés peuvent venir avec leur famille. On se sent redevable.

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