Un article paru dans Rue 89 du 31 mai 2013 sous la signature de Marie-Anne Daye.
Le processus vers un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne s’accélère. Le 23 mai, les parlementaires européens ont adopté une résolution sur l’ouverture de négociations entre les deux blocs. Les vingt-sept doivent s’entendre à la majorité qualifiée avant le 14 juin sur le mandat de négociation qui sera accordé à la Commission européenne.
Le projet de mandat a fuité sur le site Insidetrade.com. Il est disponible en français sur le blog Contre la Cour, qui suit les activités du parlement européen.
L’accord, qui a pour but de dynamiser la croissance économique, vise principalement la libéralisation du commerce et de l’investissement entre les deux blocs. Revue des arguments pour ou contre ce « partenariat commercial ».
Un moteur pour la croissance économique et la création d’emplois
Selon la Commission européenne, il « pourrait apporter, d’ici à 2027, des gains annuels totaux se traduisant par une hausse du PIB de 0,5% pour l’UE et de 0,4% pour les Etats-Unis ».
Côté américain, le 27 mars, le secrétaire d’Etat John Kerry, recontrant des chefs d’entreprises français, a qualifié l’accord en ces termes : « C’est l’un des meilleurs moyens de casser le cycle (de la crise) en Europe et d’avoir de la croissance. » John Kerry a également affirmé sa volonté d’avancer rapidement vers cet accord, « pour avoir un profond impact sur le monde ».
L’Union européenne plus influente dans le monde
Les principaux fervents d’un accord voient la possibilité de se constituer l’une des plus grandes zones de libre-échange au monde. Dans une interview à Arte, la députée européenne allemande PPE (Parti populaire européen) Godelieve Quisthoudt-Rowohl assure que l’Accord renforcerait l’espace commercial transatlantique : « On assistera à un nouvel essor lorsque toutes les barrières commerciales seront tombées. »
L’eurodéputée voit même plus loin : « Ma vision, ou mon souhait, c’est que l’Union européenne ou les Etats-Unis soient un jour en mesure de négocier avec la Chine. Cela renforcerait énormément la position occidentale. »
Une étude de l’institut de recherche économique IFO, réalisée à la demande du ministère de l’Economie, révèle que le produit intérieur brut (PIB) par habitant augmenterait de 0,1% dans l’Union européenne et de 0,2% aux Etats-Unis si l’accord commercial se limitait à abolir les barrières douanières.
Elle mentionne toutefois que le gain potentiel serait supérieur si l’accord était élargi aux normes techniques, aux normes de sécurité et aux règles de concurrence.
Pour Yannick Jadot, membre d’Europe Écologie-Les Verts et vice-président de la Commission commerce international, la construction politique de l’accord est « scandaleuse ».
« Que ce soit les services publics, les services audiovisuels, y compris par Internet, et l’exception culturelle, notre refus de succomber à l’agenda américain, d’avoir plus d’OGM, de bœufs aux hormones et de viande chlorée, l’ensemble des droits des investisseurs : tout ça relève de choix de société. »
Il déplore également le peu d’informations données aux députés européens sur l’évolution de ce mandat de négociation : « La négociation doit être transparente. »
Lors de la séance plénière du 23 mai, les députés européens ont demandé d’exclure la remise en cause de l’exception culturelle, ce qu’applaudit Yannick Jadot.
Toutefois, ils ont rejeté un amendement du député PPE (conservateur) français Arnaud Danjean – conforme à la position du gouvernement français – qui demandait que soient également exclus les marchés publics de défense et de sécurité.
Les réglementations sanitaires et environnementales européennes actuelles posent des limites à la pénétration du marché par les Etats-Unis.
Le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon craint que l’accord ne livre la France et l’Union européenne aux intérêts économiques et stratégiques américains. Sur le site du parti, Martine Billard, qui en est la coprésidente, écrit : « Si demain ces normes disparaissent, la concurrence deviendra totalement inégale, nos assiettes seront envahies de malbouffe et ce sera la fin de la paysannerie, déjà bien mal en point. »
Bruno Poncelet est syndicaliste, spécialiste des accords de libre-échange à la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB wallonne). Dans une interview accordée à Politis.fr, il explique pourquoi il est contre le projet de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement.
Il s’inquiète, entre autres, d’un trop grand pouvoir des multinationales et des investisseurs : « Dans le mandat de négociation de la Commission, il y a une réelle menace d’autoriser un règlement des différends entre Etats et multinationales – c’est-à-dire le droit pour les multinationales et les investisseurs de porter plainte contre les Etats pour exiger des dommages et intérêts, quand une politique publique ne leur plaira pas. »
Dans un message d’alerte publié sur un blog, Gérard Filoche, membre du PS et militant pour la CGT, redoute que la suppression des droits de douanes ne menace l’industrie européenne.
Les droits de douanes qui protègent les industries européennes (8,6% pour les fibres synthétiques, 7,8% pour le matériel de transport) sont plus faibles que les protections tarifaires des États-Unis.
Gérard Filoche souligne : « L’accord risquerait de mettre à mal ce qui reste en France en particulier d’industrie automobile. »
D’autres secteurs sont concernés selon lui, puisque les droits de douanes protègent aussi l’agriculture européenne (12,8% en moyenne) : « La levée de ces barrières douanières serait un désastre pour les éleveurs français, un problème certain pour les betteraviers. »