Roulements de tambour : le Parlement européen se prononce ce midi sur le traité ACTA, accord international anti-contrefaçon, dont les dispositions sur le « piratage » de musique ont largement mobilisé les citoyens européens.
Mieux vaut, depuis quelques jours, ne pas avoir d’e-mail à envoyer à un député européen. Du moins si on en attend une réponse. Car, depuis la fin de la semaine dernière, c’est une inondation. « À cette heure on en reçoit deux par minute », constatait lundi soir l’assistante d’une élue. « 1 500 en trois jours », selon un autre. « 2 000 ce week-end » pour un troisième. Et tous portent en objet les quatre lettres du mot ACTA.
L’explosion des boîtes mail est un aboutissement. Bouquet final d’un feu d’artifices dont les belles rouges et les belles bleues ont jailli à un rythme toujours plus soutenu depuis deux ans, sur le net mais aussi dans la rue.
Actifs, mais aussi attentifs, les citoyens anti-Acta ont suivi et commenté par dizaines de milliers, entre le site du Parlement et les réseaux sociaux, les près de trois heures du très vivant débat d’hier. De la même façon qu’ils avaient suivi et commenté, dans un élan inédit, les votes dans les quatre commissions parlementaires qui étudiaient l’accord. Commissions qui ont, les unes après les autres le mois dernier, recommandé un rejet du texte.
En novembre 2010, le Parlement votait en faveur du texte
L’Alsacienne Sandrine Bélier (écologiste française), se réjouit de l’action de ce nouveau « lobby citoyen » qui a permis d’aboutir, après trois ans d’interrogations et d’hésitations, à une conjonction astrale que les « anti-ACTA » jugent aujourd’hui favorable. Alors qu’en novembre 2010 le Parlement votait un premier avis en faveur du texte, il semble aujourd’hui avoir trouvé une majorité contre lui.
« J’ai réussi à convaincre mes amis socialistes », raconte la socialiste française Françoise Castex, qui se réjouit de voir ses voisins libéraux rallier en nombre les rangs des « anti », de même que certains conservateurs (groupe PPE) des pays de l’Est.
« Ils ont changé d’avis par populisme », estime le conservateur allemand (PPE) Daniel Caspary. « Acta ne changerait rien en Europe, la fouille des ordinateurs par les douanes est impossible et le restera ! Mais avec Acta on peut exporter notre modèle de société, être plus forts pour négocier sur la contrefaçon avec les pays concernés. »
« 2 % des pièces d’avion dans le monde sont des contrefaçons ! », plaide pour sa part son collègue suédois Christofer Fjellner, « rapporteur fantôme » sur le sujet pour le PPE, qui considère lui aussi ACTA « comme une bonne base de coopération internationale ».
Mais le texte, rugissent les anti, « protège les grandes firmes internationales de l’agriculture, des médicaments et de la culture », résume Yannick Jadot (écologiste français). Et, surtout, introduit des dispositions « dangereuses pour les libertés civiles ». Comme, disent-ils, la fouille des ordinateurs par les douanes à la recherche de copies illégales de fichiers musicaux ou vidéo, ou encore la possibilité pour un éditeur de musique de demander à un fournisseur d’accès à internet de supprimer des contenus, sans autre forme de procès. « On dit souvent ici que le diable est dans les détails. Ici le diable est dans l’absence de détails. Nous ne pouvons pas garantir une protection efficace des libertés civiles », résumait hier dans l’hémicycle le rapporteur de l’avis du Parlement David Martin (social-démocrate allemand), sous l’œil de nombreux visiteurs.
Daniel Caspary, se réjouit lui aussi que « les citoyens se soient autant intéressés à un débat européen ». Mais il déplore d’emblée « tous les mensonges qui ont été dits sur le sujet ». Des « mensonges » dont Jérémie Zimmermann se défend. Cofondateur et porte-parole de l’organisation citoyenne La Quadrature du Net, qui défend les libertés civiles sur internet, il a, avec son collectif, travaillé depuis 2008 à une « boîte à outils », décryptant le texte pièce par pièce et fournissant « des analyses politiques ». Sa bande de bidouilleurs a même travaillé main dans la main avec Oxfam, Médecins sans frontières et Act-Up Paris, inquiets des effets du texte sur les médicaments génériques qui pourraient être considérés comme des brevets contrefaits.
Et ACTA ne pose pas, pour ceux qui le honnissent, que des problèmes de fond. « Monsieur le commissaire, je tiens à vous remercier très chaleureusement. Grâce à votre obstination, à vos ruses de procédure, vous nous permettez de prouver l’importance du Parlement européen comme colégislateur. Grâce à vous, les citoyens ont découvert que la démocratie se joue ici », disait hier, la main sur le cœur, Françoise Castex au commissaire au Commerce Karel De Gucht, fervent défenseur d’une ratification. Car, dit-elle, « la Commission a très mal géré sa relation avec le Parlement. Il a quand même fallu en passer par une motion, en 2010, pour avoir accès au texte ! ». Or, « négocier en secret produit de mauvaises lois », estime David Martin.
« Les citoyens ont découvert que la démocratie se joue ici »
« ACTA pollue le débat, conclut Françoise Castex. Une fois qu’on en sera débarrassé on pourra s’occuper sérieusement des vrais problèmes : donner des moyens de police et de justice à la lutte anti-contrefaçon, légiférer sur la protection des données personnelles, adapter le droit d’auteur, qui date d’une époque où les biens étaient uniquement matériels, aux nouvelles pratiques culturelles. » « Il n’y a pas un seul pays au monde où on a trouvé un équilibre sur la question du piratage et du droit d’auteur, personne ne sait comment légiférer. Mais c’est ça la priorité : ne pas voir le sujet uniquement sous son angle commercial, comme le fait ACTA, mais comme un sujet de société, en prenant en compte la question des libertés », estime Yannick Jadot.
Les écologistes, pas superstitieux, ont déjà prévu les pancartes de la victoire. Les web-citoyens de la Quadrature du net, eux, étaient hier soir, à la recherche d’un soundsystem pour accompagner la fête…