Une interview de Yannick Jadot parue le 14 janvier sur le site Zegreeenweb.com, dans laquelle les résultats du Sommet sur le Climat de Cancun sont analysés…
Bonne lecture!
Interview de l’eurodéputé Yannick Jadot (EELV)
L’eurodéputé et membre du nouveau parti Europe Écologie-Les Verts Yannick Jadot a effectué le déplacement à Cancun (Mexique) le mois dernier, dans la délégation du Parlement européen. Il nous livre son analyse du sommet.
Yannick JADOT, la communauté internationale est apparue soulagée à l’issue des négociations et c’était aussi votre cas. Il reste cependant encore beaucoup de chemin à faire…
Cancun a bien avancé sur la protection de forêts ou la création d’un Fonds vert pour le climat. Cependant il reste encore énormément à faire, c’est évident. Dans l’accord signé, les pays disent vouloir limiter le réchauffement de la planète sous le seuil dangereux de deux degrés celsius. Sauf que la réalité de leurs engagements à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) est telle que cet objectif est illusoire. S’ils ne sont pas plus ambitieux, nous allons droit vers une augmentation de trois voire quatre degrés celsius. C’est inadmissible. On peut faire la même critique sur un autre sujet chaud des négociations : l’aide financière pour aider les États les plus vulnérables à lutter contre les changements climatiques. Les pays riches promettent cent milliards d’euros d’ici la fin de la décennie mais on ne sait toujours pas d’où viendra l’argent, ni qui mettra la main à la poche…
Donc oui, Cancun n’est pas une fin. Et soyons francs : sur le fond, l’accord trouvé n’est pas beaucoup mieux que celui de Copenhague. Mais après le traumatisme danois, l’objectif de Cancun était de sauver le processus de l’ONU. C’est le cas. Mieux encore, Cancun a déclenché une dynamique positive, à l’image de la dernière nuit de négociation chargée d’émotion. Un moment rare. En 2011, nous devons entretenir cette dynamique.
Comme vous de nombreux responsables politiques ont vu dans l’accord scellé sur la côte caribéenne la preuve que le multilatéralisme et le processus de décision onusien sont toujours viables. Ne pensez-vous pas, toutefois, qu’il pourrait retarder l’adoption de mesures contraignantes ?
L’accord de Cancun ne retarde pas l’adoption de mesures contraignantes. Il laisse la porte ouverte à un accord légalement contraignant cette année, même si on sait très bien que ce sera très difficile dans la mesure où les deux grandes superpuissances que sont les États-Unis et la Chine n’y sont pas favorables et où les autres pays peinent à créer une coalition sur ce sujet.
Nous ne devons pas lâcher sur ce point : les engagements doivent être le plus contraignant possible. Nous ne pouvons nous satisfaire de belles paroles, de promesses qui ont toutes les chances de ne pas être tenues comme dans les sommets du G20 ou du G8. Mais l’intérêt du processus onusien n’est pas seulement de pouvoir conduire à un engagement contraignant : c’est d’impliquer tous les pays, en particulier les plus pauvres et les plus vulnérables aux changements climatiques. C’est aussi de forcer tous les pays à échanger sur ce thème. Ils prennent progressivement conscience des enjeux et de leur responsabilité.
Voyez la Chine qui, tout en ayant encore une position de négociation relativement dure, s’engage fortement dans la conversion écologique de son économie. Dans son plan de relance, elle a en effet consacré près de 230 milliards de dollars (environ cent soixante et onze milliards d’euros) à la transition énergétique. Comparés à cet investissement, les États-Unis et plus encore l’Europe sont des nains.
« L’Inde a été exemplaire »
La Chine et l’Inde semblent avoir changé d’approche et ont formulé des propositions intéressantes. Était-ce le contexte ou pensez-vous que les deux pays ont véritablement pris conscience des enjeux et de leur responsabilité climatique ?
Ils ont pris conscience des enjeux, notamment car ils connaissent leur vulnérabilité climatique. Ils sont également conscients de la responsabilité diplomatique qui incombe aux puissances émergentes. il n’est plus possible de bloquer une négociation internationale, il faut être force de proposition.
L’Inde a été exemplaire de ce point de vue là. La Chine aussi, dans une moindre mesure cependant. Elle a souffert des critiques virulentes sur son comportement à Copenhague (Danemark) et ne voulait pas renouveler l’expérience à Cancun. Elle reste toutefois empêtrée dans une stratégie du « je ne bouge pas tant que tu ne bouges pas » avec les États-Unis.
Ces derniers pouvant difficilement avancer pour des raisons de politique intérieure, c’est la garantie de l’immobilisme. Reste à savoir si ce n’est pas exactement ce que souhaitent les deux grands : à savoir, rien de plus que l’accord de Copenhague/Cancun…
Alors que le Parlement européen s’était prononcé pour des objectifs continentaux revus à la hausse, les négociateurs européens ont conservé leurs ambitions de départ. Leur reprochez-vous une certaine frilosité ?
Je ne reproche rien aux négociateurs : ils ont un mandat à respecter fixé par les États membres ! Ce mandat de négociation a permis de sauver le Protocole de Kyoto, le seul outil international contraignant pour protéger le climat, et donc de préserver l’espoir qu’un tel outil couvrant l’ensemble des pays du monde verra le jour.
Pour ce qui est l’objectif de réduction des émissions de GES, ce mandat est en revanche synonyme d’immobilisme. Si cet objectif n’était pas un sujet clef de Cancun, il le sera en 2011. Les chefs d’État européens doivent donc écouter la demande du Parlement européen : faire mieux que l’objectif de réduction de 20% d’ici 2020. Les parlementaires considèrent qu’une diminution de 30% serait bonne non seulement pour le climat mais aussi pour notre économie, nos emplois et nos factures énergétiques.
Barack Obama a déclaré début 2009 que la nation pionnière dans les énergies du futur serait la nation pionnière du 21è siècle. Les Américains depuis ont changé de majorité et d’ambition. A nous de saisir ce rôle de pionniers.
C’était un baptême du feu pour la nouvelle ministre de l’Écologie Nathalie Kosciusko-Morizet. L’avez-vous trouvée à la hauteur de l’événement ?
La France est désormais dans le ventre mou européen en ce qui concerne le climat. C’est le cas depuis qu’en France « l’environnement ça commence à bien faire », comme l’a dit Nicolas Sarkozy lors du dernier Salon de l’Agriculture. A Cancun, elle a suivi la ligne conservatrice officielle : bien sur Kyoto, rien sur l’objectif de 30%. Décevant, d’autant plus que l’Espagne profitait de la tribune onusienne pour annoncer son soutien à cette ambition, rejoignant ainsi la Grande-Bretagne et le Danemark parmi les Européens progressistes.
Que se passera-t-il en 2011 ? Voudra-t-elle aller à l’encontre du conservatisme du gouvernement et de la majorité ? Je l’espère. Pendant l’été, Jean-Louis Borloo, alors Ministre de l’écologie, avait signé une tribune avec ses homologues britannique et allemand appelant l’Europe à réduire de 30% ses rejets carbone. Discours ou réalité ? En tout cas, j’attends avec impatience un tel geste de notre nouvelle ministre.
« Politiquement Cancun aura été un succès »
La Bolivie n’a pas souscrit à la résolution adoptée par les pays membres de l’ONU à Cancun et a annoncé fin décembre vouloir saisir la Cour Internationale de Justice (CIJ). Redoutez-vous que son action soit de nature à remettre en cause ce qui a été décidé au Mexique ?
J’attends de voir les conclusions de cette action juridique, mais politiquement Cancun aura été quoiqu’il en soit un succès. Un succès certes à confirmer en 2011, mais un succès.
Je comprends les critiques de la Bolivie. Je partage la même analyse sur l’ambition réelle de l’accord de Cancun et sur son incapacité à régler définitivement le problème du climat. Mais ce n’était malheureusement pas l’agenda de Cancun, et un échec aurait pu tuer le processus de négociation. Je souhaite que ce pays mette toute sa conviction au service de ce processus en 2011 pour que ce soit le climat et pas seulement l’ONU qui en sortent vainqueur.
Nous devons utiliser la dynamique de Cancun pour faire mieux en 2011. Personne n’a été exclu du processus de décision, tout le monde a été entendu et tout le monde a pu s’exprimer, ce qui n’avait pas été le cas à Copenhague. Il faut saluer pour cela le travail exemplaire du Mexique.
Croyez-vous possible la signature d’un accord fort lors du sommet de Durban (Afrique du Sud) fin 2011 ?
Je ne vous cacherai pas mes craintes quant à la possibilité d’avoir un accord contraignant en fin d’année. Il faut prendre le temps de la réflexion pour voir ce qui est atteignable cette année sur ce sujet. Si les États-Unis et la Chine ne suivent pas, alors il faudra sérieusement considérer un pacte des pays progressistes avec l’Europe, l’Afrique, le Brésil, l’Afrique du Sud ou encore l’Inde.
Je suis plus optimiste sur les réductions des émissions de GES. Même si Obama est bloqué par son Congrès, j’ai l’espoir que l’Union Européenne (UE) fasse avancer ce sujet. Comment ? En décidant enfin de passer à un objectif de diminution de ses rejets de 30% à l’horizon 2020, ce qui serait, je réitère, bénéfique pour l’emploi, pour nos industries et pour notre économie. L’UE doit sortir de la suspicion vis-à-vis des autres pays et de son langage sur la réciprocité. Car d’autres pays évoluent, et vite ! C’est notamment le cas de la Chine, qui doit annoncer très bientôt son nouveau plan quinquennal, lequel comportera des mesures énergétiques sûrement très ambitieuses. Cela facilitera grandement les négociations internationales.
Plus largement vous attendez-vous à des avancées significatives cette année, notamment sur le plan de la déforestation, consacrée priorité environnementale de l’année par les Nations Unies ?
Il ne faut jamais sous-estimer l’importance des forêts pour le climat. Évidemment une forêt ce n’est pas qu’un stock de carbone : des populations et tout un écosystème en dépendent. La déforestation c’est aujourd’hui environ 20% des émissions mondiales de GES, et Il y a des moyens très simples de la réduire, rapidement et sans investir des centaines de milliards ! Je suis toujours marqué par l’exemple des foyers améliorés, un outil simple et ingénieux permettant aux populations vivant à proximité des forêts de consommer dix fois moins de bois sans rogner sur leurs besoins énergétiques.
J’espère que, grâce à l’accord trouvé sur la protection des forêts à Cancun, 2011 permettra de diffuser ce genre de bonnes pratiques à une échelle encore plus grande. Et que, grâce au travail des associations et des populations locales, la communauté internationale prenne enfin l’engagement d’arrêter la déforestation d’ici la fin de cette décennie…
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