A retrouver sur le site des Echos ainsi que dans la version papier du 3 novembre 2010, une tribune de Yannick Jadot sur les énergies renouvelables en France :
Soleil noir sur le Grenelle
En France, c’est bien connu, on n’a pas de pétrole mais on a des idées. En fait, plutôt une idée, la même depuis quarante ans, bien ancrée : le nucléaire. Alors, forcément, quand les énergies renouvelables commencent à devenir une réalité énergétique et économique, à concurrencer l’atome tricolore, la charge est forte et les arguments aussi légers qu’un fût de déchets radioactifs. Après la séquence « l’éolien défigure le paysage », voici venu le temps de la rengaine « le solaire grève le budget des ménages ». Le ministre du Budget osant déclarer que l’augmentation historique du prix de l’électricité correspond aux répercussions du Grenelle de l’environnement et à l’engagement du président de la République sur le pacte écologique de Nicolas Hulot : du rarement-vu en termes de manipulation ! L’électricité solaire ne coûte en réalité environ qu’un euro par ménage en 2010.
Ces attaques sur les énergies renouvelables vont au-delà des discours. Contrairement aux promesses de révolution écologique, elles se traduisent en actes : baisse des tarifs d’achat, baisse du crédit d’impôt développement durable, éoliennes soumises au même régime juridique que les usines les plus polluantes… Le gouvernement réforme en catimini, sans concertation avec les acteurs du marché des énergies renouvelables. Quand les obstacles aux renouvelables s’accumulent et quand l’instabilité réglementaire devient la norme, les investisseurs se font rares. Conséquence : la France ne respectera pas son engagement européen d’avoir 21 % de son électricité d’origine renouvelable à la fin de cette année.
Ce faisant, la France ne fait pas que prendre du retard dans ses efforts pour la préservation de l’environnement et la lutte contre les pollutions. Elle se prive également d’un gisement de plusieurs centaines de milliers d’emplois sur la prochaine décennie. En Allemagne et en Espagne, ce sont respectivement 300.000 et 200.000 personnes qui travaillent dans le secteur des renouvelables. Et ce n’est qu’un début. La France risque aussi de se fermer les portes d’un énorme marché pour nos industries : en 2009, les énergies renouvelables ont représenté 60 % des nouvelles capacités de production installées en Europe.
Pourquoi le débat français sur les renouvelables est-il si biaisé ? Parce que la France est enlisée dans une culture énergétique qui tourne en rond, qui renonce au dynamisme économique, qui n’est plus ouverte sur le monde et en particulier sur ses partenaires européens. En France, quand on se dit responsable en matière d’énergie, on se doit d’être sceptique sur les renouvelables. On se doit d’énumérer les défis qu’elles représentent, en les qualifiant d’ailleurs de « problèmes », et on se doit d’ignorer les solutions existantes. Du reste, il en est de même pour les économies d’énergie. Quand on se dit responsable, il faut du lourd, du sérieux. Il faut du nucléaire.
Pourtant, l’industrie nucléaire, comme celle de l’armement, n’a pas à se justifier de sa rationalité économique ou d’une quelconque rentabilité. La parole d’Etat est à peine contestable, l’opacité est permanente. Dans ces conditions, il est opportun de mettre sur le dos des renouvelables la hausse des prix de l’électricité. Et de dédouaner ainsi EDF et l’Etat de leurs erreurs de stratégie industrielle, que ce soient les investissements hasardeux en Grande-Bretagne ou le dérapage de l’EPR de Flamanville : deux ans de retard et 2 milliards d’euros de surcoût. Dans cette perspective, il est aisé de dissimuler le coût potentiellement astronomique du démantèlement des centrales nucléaires. Estimé à seulement quelques dizaines de milliards d’euros en France, ce sont en revanche plus de 100 milliards qui sont prévus pour le démantèlement d’un nombre inférieur de réacteurs en Grande-Bretagne… La France sous-estimerait-elle le coût de ses errances stratégiques ?
Depuis trente ans, les écologistes demandent un débat public serein et approfondi sur les choix énergétiques et leurs conséquences. Ce débat reste toujours d’actualité : comme le prouvent les propos du ministre François Baroin, la France a besoin d’une révolution culturelle en matière d’énergie. Elle doit remettre en cause ses dogmes, s’enrichir des expériences de ses partenaires. Elle doit remettre du dynamisme dans son modèle énergétique. Pour qu’enfin, en France, avoir l’air sérieux n’implique pas de toujours soutenir le nucléaire, contre vents, soleil et marées.