Deux articles sur ITER: un gouffre financier sans fond (Les Echos, La Croix)

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L’Europe peine à mettre le projet Iter sur les rails

L’Union européenne, principal partenaire du programme de recherche sur la fusion thermonucléaire, n’est pas prête à signer le document de base qui l’engage. L’Europe veut d’abord obtenir des Etats membres leur adhésion à long terme. Mais le temps presse : lassé de ces délibérations infructueuses, Washington pourrait réduire son financement à Iter.

Revue de presse…

Article dans LES ECHOS (16/06/2010) et dans LA CROIX (16/06/2010)

  • Nucléaire : l’Europe peine à mettre le projet Iter sur les rails, PAUL MOLGA, Les Echos

Mauvaise nouvelle pour Iter, ce programme de recherche sur la maîtrise de la fusion thermonucléaire, une technologie censée fournir à la planète une source d’énergie inépuisable et bon marché. Faute d’avoir trouvé un accord sur son financement à long terme, la Commission européenne doit annoncer ce matin qu’elle ne sera pas prête à signer le document qui doit définitivement mettre le projet sur les rails. Ses sept partenaires (Russie, Japon, Etats-Unis, Chine, Corée du Sud, Inde et Suisse) réunis aujourd’hui en Chine sont à cran : en novembre, lors du cinquième conseil d’Iter, l’Europe, pourtant principal contributeur, avait déjà contesté le planning qu’elle estimait trop serré et techniquement trop risqué.

Ce nouveau report pourrait ouvrir une crise diplomatique. « Iter est parmi les sujets les plus chauds du moment pour la Commission européenne, confie un proche du dossier. A cause de ses enjeux en termes de sécurité de l’approvisionnement énergétique mondial, de lutte contre le changement climatique et d’investissement, son statut n’est plus seulement scientifique. C’est désormais un projet politique où le jeu de la diplomatie tient un rôle aussi important que le résultat des équations de recherche. »

Ces dernières semaines, les éclats de voix et recadrages en ont fourni une retentissante démonstration. Le coup est parti du groupe Europe Ecologie, qui a dénoncé « un mirage scientifique devenu un scandale financier », faisant référence au quasi-triplement du budget européen nécessaire, passé de 2,7 milliards à 7,2 milliards d’euros entre la première estimation en 2001 et le devis définitif confirmé fin mars.

Pour tenter de ramener le calme, la présidence européenne espagnole a créé une commission d’urgence qui s’est déjà réunie deux fois, le 3 et le 8 juin, sans pouvoir mettre d’accord les Etats membres. « C’est un bras de fer », témoigne un observateur. Le comité de gestion d’Iter donne 5 droits de vote sur 70 à la Commission européenne, à parité avec la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. L’unanimité est requise pour toutes les décisions.

La commissaire chargée de la recherche, Máire Geoghegan-Quinn, a posé ses conditions lors du Conseil des ministres européens du 26 mai, en exhortant les Etats membres à « mettre Iter sur une base viable et durable pour la durée de la vie du projet ». Autrement dit : l’engagement financier des Vingt-Sept jusqu’en 2040 est un préalable indispensable pour sortir le programme de l’impasse budgétaire.

Deux rendez-vous

« Bruxelles ne libérera l’enveloppe [1,4 milliard d’euros pour engager le gros du chantier en 2012 et 2013] qu’à cette condition, insiste le porte-parole de la commissaire en charge du dossier. On ne peut pas s’engager si on n’en a pas les financements. Il y va de la pérennité de ce projet, dont l’Europe assure 45 % du coût total. »

Les Vingt-Sept plieront-ils ? La commission d’urgence s’est encore donné deux rendez-vous (les 21 et 25 juin) pour tenter de mettre tout le monde d’accord avant la fin de la présidence espagnole et les délibérations budgétaires des autres partenaires internationaux d’Iter. Le temps presse : lassée de ces délibérations infructueuses, l’administration Obama a prévu de réduire de 40 % son financement à Iter dans son projet de loi de 2011 et d’autres pourraient suivre le même chemin. D’où l’empressement de la Commission, qui souhaite que soit convoqué un nouveau conseil Iter avant la fin de juillet.

« Nous sommes confiants », assure-t-on dans l’entourage de Máire Geoghegan-Quinn rappelant l’unanimité obtenue en faveur du projet. Ses deux autres piliers ne font en effet plus débat : les scientifiques sont d’accord pour considérer qu’un plasma d’énergie de plus de 400 secondes dans l’anneau magnétique prouvera la faisabilité industrielle de la fusion.

Le planning a également été approuvé : premier plasma « à blanc » en 2019, puis premiers tests avec les combustibles (deutérium et tritium) en 2026. L’objectif sera de produire 10 fois plus d’énergie que celle nécessaire au démarrage. Une analogie de circonstance avec la situation actuelle.

Une gabegie, selon les Verts

Les Verts sont parmi les plus remontés contre le projet Iter. « La Commission demande l’impensable, avait estimé au début du mois le député Yannick Jadot. Elle veut que les citoyens européens paient ce dépassement budgétaire malgré la crise sociale, les plans d’austérité et la pénurie des financements publics. Il faudra alors soit rogner sur d’autres dépenses européennes, soit que les pays européens remettent de l’argent au pot. Pour la France, qui est le principal contributeur européen en tant que pays hôte du site, une rallonge de 800 millions d’euros viendrait s’ajouter aux 500 millions déjà promis. Il faut mettre fin à cette gabegie et suspendre le projet. » « Il est temps de réfléchir à sa pertinence à la lumière des avancées technologiques dans les énergies renouvelables comme le solaire concentré ou encore l’éolien offshore, renchérit une autre eurodéputée Verte. Avec Iter, on parie sur une technologie dont on ne sait même pas si elle fonctionnera un jour.


  • Les Européens cherchent encore comment combler le surcoût d’Iter

La CROIX
À la réunion, aujourd’hui, en Chine, du conseil international gérant le projet de réacteur à fusion thermonucléaire, l’Union européenne va demander du temps pour boucler sa contribution

L’Europe arrive au conseil Iter les poches pas assez pleines. Cette réunion, qui se tient aujourd’hui et demain près de Shanghaï, accueille les sept membres engagés dans la réalisation du réacteur expérimental à fusion thermonucléaire (Chine, Union européenne, Inde, Japon, Corée du Sud, Russie, États-Unis). À l’ordre du jour figure, notamment, le dépassement colossal du budget prévu pour ce projet inédit.

Représentant près de la moitié du coût de la construction du réacteur, la part des Européens a été réévaluée à 7,25 milliards d’euros, contre 2,7 milliards initialement prévus. « Notre seule crainte, c’est qu’ils demandent un délai de paiement », avoue Neil Calder, porte-parole d’Iter. Un nouveau conseil extraordinaire avant ou après l’été n’est pas exclu.

En cette période de restriction budgétaire, les Vingt-Sept ont déjà accepté, sous pression allemande, divers rabotages pour plafonner leur part à 6,6 milliards d’euros. « L’Allemagne pourrait demander de baisser encore », confiait hier une source diplomatique bruxelloise. Depuis la dernière réunion des ministres européens de la recherche, fin mai (lire La Croix du 27 mai), un groupe de travail tente de trouver d’autres moyens de boucler le dépassement. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique, y représente la France, pays hôte du projet.

Le temps presse, car pour 2012 et 2013, l’UE fait face à 1,4 milliard d’euros de surcoût. Refusant de revoir leurs contributions nationales ou de rehausser les budgets européens pour cette période, les Vingt-Sept comptent plutôt puiser dans les projets les plus généreusement dotés du programme-cadre de recherche de l’UE.

Un redéploiement auquel s’oppose vivement l’eurodéputé français écologiste Yannick Jadot, soucieux de préserver les projets sur les énergies renouvelables (solaire, éolien) et hostile à un réacteur jugé pharaonique. Évoquant aussi le recours à une facilité de crédit de la Banque européenne d’investissement (la banque publique de l’UE), les Vingt-Sept n’excluent pas non plus, tout simplement, de retarder des appels d’offres, au départ programmés en 2012 et 2013.

Reste à comprendre comment le budget d’Iter a pu à ce point gonfler. La hausse des matières premières, la révision de la technologie (au demeurant tout à fait normale pour une machine aussi sophistiquée) et la sécurisation antisismique sont les raisons énumérées.

Une autre cause est moins connue : la difficulté de coordonner la participation de chaque entité membre. À la différence de l’organisation européenne de la recherche nucléaire, le Cern, à Genève, Iter ne reçoit que 10 % des contributions en argent, le reste venant en nature. Au Cern aussi, les pays membres participaient en nature, mais selon une division rationnelle du travail. Pour Iter, chacun des pays contribue un petit peu à toutes les parties de la machine : un petit peu d’aimants, un petit peu de détecteurs, un petit peu de faisceaux à vide… Résultat : c’est plus difficile, plus long et plus cher, car personne ne profite réellement de l’économie d’échelle.

« Le coût final est indéterminé pour l’instant. Peut-être ne le saura-t-on jamais », observe un spécialiste. La Commission européenne est aussi jugée mal outillée pour gérer des projets si lourds, à l’exemple également de Galileo (GPS européen). L’eurodéputé français Jean-Pierre Audy (UMP-PPE) accuse l’exécutif communautaire d’avoir manqué de « vigilance et d’encadrement ». « À ce jour, aucun pays n’a émis l’intention de se retirer du projet », insiste Neil Calder, qui met toutefois en garde : « Plus on retarde, plus c’est cher. »

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