Yannick Jadot : « la Communauté européenne de l’énergie ne doit pas minorer l’ambition des réglementations européennes »
Yannick Jadot est député européen, membre du Groupe des Verts/ALE et de Le 1er juin dernier, le président du Parlement européen Jerzy Buzek présentait devant la commission de l’Industrie, de la Recherche et de l’Energie son idée de Communauté européenne de l’énergie, lancée le 5 mai avec Jacques Delors. Membre de cette commission parlementaire, l’eurodéputé Yannick Jadot (Verts/ALE), présente pour Touteleurope.fr son analyse de cette proposition.
Touteleurope.fr : Quels sont les défis énergétiques auxquels l’Union européenne doit faire face ?
Yannick Jadot : L’Europe est confrontée à plusieurs défis du point de vue énergétique. Premièrement, le défi climatique qui lui impose, comme aux autres Etats de la planète, d’avoir un modèle énergétique qui soit décarbonné d’ici 2050. Mais la rupture est telle qu’il faut qu’elle aille vite.
Le deuxième défi c’est évidemment la rareté de l’énergie. Il faut que l’Europe se dote d’un modèle de production et de consommation qui soit sobre en énergie. C’est un enjeu de pouvoir d’achat, de compétitivité de notre économie, et c’est évidemment aussi un enjeu de sécurité énergétique.
L’Europe dépend aujourd’hui du reste du monde pour une grande partie de ses énergies : l’uranium, le pétrole, le gaz, le charbon en partie.
Tout cela amène donc à penser que la priorité absolue de l’Europe en matière énergétique c’est d’aller vers la sobriété en énergie, et nous savons à quel point c’est un enjeu de compétitivité des entreprises, de création d’emplois non délocalisables, et à ce titre c’est également un élément de sortie de crise du point de vue social.
Il faut également aller vers les énergies renouvelables parce que là aussi ce sont des secteurs industriels en pleine croissance et des productions qui peuvent être européennes.
Touteleurope.fr : L’Europe a des traditions énergétiques très variées tant sur le plan de la production que sur celui de l’approvisionnement. Peut-on dès lors concevoir une politique énergétique commune pour les 27 ?
Y. J. : La question de la sobriété énergétique, des économies d’énergies et de l’efficacité énergétique devrait être de toute façon la priorité numéro un de tous les Etats européens puisque, que ce soit au regard du coût croissant de la construction de centrales nucléaires (en Finlande par exemple on est passé d’un budget de 3 milliards d’euros à un budget de 6, voire 7 milliards d’euros), au regard du coût de construction de centrales thermiques fonctionnant au charbon, au regard du niveau du logement en Pologne, très dépendante du gaz russe mais qui chauffe des « passoires » énergétiques … on s’aperçoit que quelque soit le pays, l’énergie la moins chère, qui est la moins polluante et qui permet la plus grande indépendance énergétique, c’est l’énergie qu’on ne consomme pas et qu’on ne produit pas, donc les économies d’énergie.
En ce qui concerne les énergies renouvelables, nous savons qu’elles peuvent être développées par des réseaux de petites et moyennes entreprises qui sont ancrées sur le territoire européen.
Nous avons un énorme potentiel existant en Europe, que ce soit dans le domaine de l’éolien, du solaire, de la biomasse (qui concerne tous les pays européens, de la Pologne à la France), ou encore dans les nouvelles énergies renouvelables comme les énergies marines.
On peut parfaitement rendre l’Europe indépendante du point de vue énergétique. Donc la question est moins « quels sont les modèles énergétiques existants » que « vers quel modèle énergétique européen veut-on aller ? ». A partir de ce moment-là on peut avoir tous les mêmes intérêts.
Touteleurope.fr : Que pensez-vous de la proposition commune de Jacques Delors et Jerzy Buzek concernant la création d’une Communauté européenne de l’énergie ?
Y. J. : Si l’objectif de la communauté européenne de l’énergie c’est de donner une impulsion politique très forte aux économies d’énergie, à l’efficacité énergétique, aux énergies renouvelables, c’est une très bonne idée.
D’ailleurs c’est aujourd’hui le seul consensus européen. Il n’y a pas de consensus sur le nucléaire ou sur le charbon. Les seuls éléments de consensus européens se sont les économies d’énergie et les énergies renouvelables.
Maintenant, il y a un certain nombre de réglementations, qui ont déjà été adoptées ou qui sont en cours sur l’efficacité énergétique, sur les renouvelables, sur l’efficacité des moteurs que ce soit des véhicules particuliers ou des véhicules légers, en cours de discussion, sur la directive écodesign etc. Il ne faudrait pas que cette Communauté européen de l’énergie minore l’ambition que l’on peut avoir à travers ses réglementations.
Donc, s’il s’agit de redonner une impulsion politique pour être sûr que ces réglementations sont les plus ambitieuses c’est une bonne chose. Si c’est une diversion par rapport à ces réglementations, à travers lesquelles nous avons déjà beaucoup de mal à faire passer de l’ambition mais en considérant que ce n’est pas grave puisque l’on va aller vers une Communauté européenne de l’énergie, à ce moment-là ce serait un mauvais choix.
Enfin, dans le projet « Delors-Buzek », il y a cette idée des coopérations renforcées si les vingt-sept Etats ne veulent pas tous y aller immédiatement. Encore une fois, c’est bien si l’on se fonde sur le consensus européen, c’est-à -dire l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.
Si c’est pour créer une coopération renforcée des Etats qui défendent d’abord les intérêts nationaux, pour que l’on aille disons-le vers une Communauté européenne de l’énergie fondée sur le nucléaire et le charbon, ce que semble un peu trop défendre le Président Buzek, alors ce serait un échec.
Touteleurope.fr : Est-ce que cette Communauté pourrait renforcer le poids de l’Union européenne dans les négociations internationales sur le climat ?
Y. J. : Oui cela se peut. Mais si on se rappelle Copenhague, il s’agissait d’une position des vingt-sept Etats membres portée par la Commission européenne, potentiellement avec un grand mandat du Conseil et du Parlement.
Si c’est une coopération renforcée qui essaye de vendre au niveau de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique le nucléaire, la séquestration de carbone, qui sont de fausses solutions au dérèglement climatique, alors ce sera l’explosion de la position européenne parce qu’on aura totalement déconnecté les enjeux de climat des enjeux énergétiques.
Touteleurope.fr : Quelle va être la position du Parlement européen à Bonn, puis à Cancùn ?
Y. J. : Pour les négociations de Bonn (Allemagne) il n’y aura pas malheureusement de nouvelle résolution du Parlement européen. La question va surtout se poser pour celles de Cancùn, qui auront lieu en fin d’année.
Ce que l’on constate aujourd’hui c’est qu’un certain nombre de secteurs industriels, malheureusement renforcés par les positions de certains chefs d’Etat et de gouvernement, mettent en avant une vision totalement alarmiste de la compétitivité des entreprises européennes qui seraient totalement menacées par la politique climatique.
Or, toutes les études que notamment le groupe des Verts au Parlement a pu produire, et dont le discours est repris par la commissaire chargée du Climat Connie Hedegaard, démontrent qu’il n’y a pas aujourd’hui de problème de compétitivité des entreprises liés à notre politique climatique.
On peut être plus ambitieux dans les négociations, passer d’un objectif de 20 à 30 % de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2020, sans toucher à la compétitivité de nos entreprises. Au contraire ! On peut renforcer la compétitivité de nos entreprises par rapport aux Etats-Unis et à la Chine qui, eux, investissent déjà beaucoup plus que nous dans ces domaines.
Le second problème qui risque de se poser à Cancùn, à l’occasion duquel seront fortement jugés les pays ‘riches’, c’est le niveau de soutien à l’égard des pays du Sud. La principale avancée obtenue à Copenhague a été la mise en place de systèmes de financements ‘fast start’ de 30 milliards d’ici 2012, et de financements à long terme jusqu’en 2020.
Aujourd’hui les Etats européens n’ont pas mis cet argent sur la table, et lorsqu’ils mettent un peu c’est de l’argent qui est détourné de l’aide publique au développement, et parfois accordé sous forme de prêts.
Nous sommes donc très très loin de ce geste minimal de solidarité vis-à -vis des pays du Sud qui sont les moins responsables des changements climatiques, mais qui en sont les premières victimes.