Tribune publiée sur Actu-environnement.com
Six mois après l’échec de Copenhague, la lutte contre le changement climatique est toujours présente dans l’agenda européen et international. Les négociations sur le climat sous l’égide de l’ONU reprennent à Bonn du 31 mai au 11 juin; mais nous sommes bien loin des envolées lyrique de début décembre 2009 sur la nécessité de diviser par quatre nos émissions de CO2 d’ici 2050, et sur la mobilisation hors pair de nos chefs d’Etats pour le climat. La lutte contre le changement climatique semble être en crise…. ou pâtir de la crise !
La semaine dernière, la Commission européenne a présenté une communication plaidant en faveur d’une révision de 20 à 30% de l’objectif européen de réduction de gaz à effet de serre d’ici 2020. Au départ plutôt ambitieuse, cette communication a été finalement interprétée de façon plus prudente, et se cantonne en une vision à court terme. On déclare timidement que l’objectif de réduction reste conditionné à un effort comparable des autres pays. Pressée par les lobbies, et certains gouvernements, Connie Hedegaard, commissaire au climat n’a donc pas osé sauter le pas, et s’est rétractée.
Il faut dire que, la veille, les ministres de l’Industrie allemand et français avaient publiquement et conjointement appelé à ne pas s’engager à réduire les émissions européennes avant que d’autres nations ne prennent des “engagements comparables”… ce qui est pourtant déjà le cas. Cette déclaration commune signale à nouveau un durcissement de la politique européenne climatique, et un retour de l’égoïsme des Etats, au détriment de la lutte contre le changement climatique.
La crise a bon dos
En effet, l’échec de Copenhague et la crise économique servent de prétextes à des Etats membres, poussés par certains secteurs industriels, pour défendre le statu quo, demander à « faire une pause », et ne pas réviser (voire baisser) l’objectif européen de réduction des gaz à effets de serre. Désormais, le chômage, la croissance, les déficits publics, la crise de l’euro sont donc plus importants que les prévisions du GIEC.
Alors qu’au contraire, avoir une politique climatique ambitieuse serait une véritable opportunité pour sortir de la crise. Non seulement, investir fortement dans une économie sobre en énergie et en carbone (ce que les Etats-Unis et la Chine ont déjà commencé à faire) irait dans le sens d’une sortie de crise durable; mais la récession a d’ores et déjà fortement réduit les émissions européennes.
Dans ce contexte, un objectif de 20% de réduction d’ici 2020 constituerait presque un scénario “business as usual” et le coût aujourd’hui pour atteindre un objectif de 30% est à peine supérieur à celui d’un objectif de 20% il y a deux ans. (ces chiffres sont d’ailleurs intégralement repris par la Commission)
Comment les Etats membres justifieront-ils leur inaction quand, dans quelques mois, les Européens seront à nouveau confrontés à une crise énergétique en plus d’une crise sociale, que les délocalisations d’industries qui refusent d’évoluer se poursuivront, et que les rapports scientifiques confirmeront l’absolue urgence climatique?
C’est d’abord l’échec de l’intergouvernemental européen qui se résume ici à l’égoïsme des Etats membres, contre l’intérêt général européen. Devant la menace et la pression de l’économie, le climat se rajoute malheureusement au spectacle de divisions internes qu’offre l’Europe.
Des fuites de carbone exagérées
De plus, il est temps que les arguments de “fuites de carbone” liées à la politique climatique européenne soient évalués rigoureusement par les décideurs européens. Le catastrophisme en matière de délocalisations et de dumping climatique ne peut pas continuer à planer sur la politique climatique de l’UE et bloquer toute initiative. Une étude indépendante, réalisée par Climate Strategies(*) prouve d’ailleurs que les secteurs “à risque” de perte de compétitivité (fuites de carbone) sont peu nombreux et déjà protégés. Cela tient notamment à la surallocation massive et gratuite de quotas carbone aux entreprises européennes couvertes par le marché carbone européen. La menace a donc été complètement exagérée. Seuls 13 secteurs sur les 164 retenus par l’Union européenne seraient concernés par ce risque. De plus, la législation climatique actuelle de l’UE permet aux industries polluantes de se constituer de véritables rentes de plusieurs centaines de millions d’euros (grâce au système de surallocation de quotas).
Que l’on arrête donc d’appeler à la rescousse un prétendu mécanisme d’ajustement aux frontières pour sauver les entreprises européennes. Tant que le système d’allocations gratuites perdurera, il n’y a aucun intérêt à mettre en place un autre système d’ajustement. Le forcing français d’inclure dans le marché carbone européen les importateurs de produits en provenance de pays moins engagés dans la lutte contre le réchauffement (taxe carbone aux frontières ou mécanisme d’inclusion carbone) a beau commencé à faire des émules, il n’en est pas pour le moins inapproprié aujourd’hui.
Il est donc temps de mettre à jour tous ces dysfonctionnements et mensonges de la part des industriels et des gouvernements. La perte de compétitivité des entreprises doit cesser d’être un argument pour stopper toute réglementation française ou européenne en matière climatique.
Plutôt que de freiner l’ambition européenne, les dirigeants européens, notamment Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, doivent croire aux discours grandiloquents qu’ils ont tenus il y a quelques mois. Lutter contre les changements climatiques; c’est aussi penser une nouvelle compétitivité européenne.
En prenant au sérieux la limitation du réchauffement à moins de 2 degrés, et en acceptant de passer à un objectif inconditionnel et unilatéral de 30% de réduction des émissions au niveau européen lors du Conseil le mois prochain, ils feraient enfin le lien avec la science et assureraient aux citoyens une sortie durable de la crise économique et sociale.
(*) voir l’étude de Climate Strategies en ligne (en anglais): http://tinyurl.com/leakage-CS-study et un résumé (en anglais): http://tinyurl.com/leakage-greensefa-summary
Yannick Jadot, député européen Europe Ecologie