(Tribune publiée avec Eva Joly, et disponible aussi sur Rue89.com ici)
La Banque mondiale organise aujourd’hui 27 mai une consultation publique sur sa stratégie énergétique à Bruxelles. Devant le bâtiment, les ONG[1] ont organisé une action pour rappeler que le 8 avril dernier, la Banque approuvait le projet Eskom en Afrique du Sud, devenu symbole de son double échec en matière de lutte contre la pauvreté et contre les changements climatiques.
Eskom, compagnie d’électricité sud-africaine, a en effet obtenu un prêt de plus de 3 milliards de dollars pour développer une centrale à charbon démesurée : Medupi. D’une puissance de 4 800 MW, l’équivalent de 5 réacteurs nucléaires, elle devrait émettre 25 millions de tonnes de CO2 par an, et entraîner l’ouverture de 40 nouvelles mines de charbon. Mais pour la Banque mondiale et le gouvernement sud-africain, Medupi est un mal nécessaire pour sortir le pays de sa crise énergétique, développer l’emploi, permettre l’accès des plus pauvres à l’électricité. Des arguments qui révoltent les activistes sud-africains et du monde entier : car les véritables bénéficiaires de Medupi seront des multinationales qui n’ont pas besoin d’être soutenues. En effet, en vertu de Special Pricing Agreements (accords spéciaux sur les prix signés pendant l‘apartheid), elles bénéficient de tarifs opaques et artificiellement bas sur l’électricité. Le secret de ces accords est bien gardé par le gouvernement sud-africain, sans que la Banque mondiale, qui s’enorgueillit pourtant de ses politiques de transparence et de lutte contre la corruption, ne s’en inquiète.
Medupi profitera donc davantage à BHP Billiton ou Anglo American qu’aux foyers sud-africains, qui de leur côté, verront le prix de l’électricité augmenter de 25 % par an jusqu’en 2013, pour rembourser la dette créée par Eskom. Malgré cela, cette dernière va se serrer la ceinture à la perspective de ce remboursement : elle a annoncé un plan de restructuration prévoyant le licenciement de 20% de ses salariés, quelques jours après avoir obtenu le prêt de la Banque mondiale.
Le projet est donc un exemple caricatural du « business as usual » : à la fois injuste, opaque, et basé sur l’énergie fossile la plus polluante. Une illustration pour le moins douloureuse de l’échec de la Banque mondiale à lutter contre la pauvreté – ce qui est en principe son mandat – et de son penchant à soutenir les riches multinationales.
Une illustration, également, de son incapacité à assumer une autre mission qu’elle semble pourtant convoiter : celle de Banque du climat. A la tête de neuf fonds et mécanismes financiers « Carbone », et à l’origine de fonds d’investissements pour le climat directement en concurrence avec les mécanismes des Nations Unies, la Banque mondiale pourrait obtenir un rôle dans la gestion de la manne financière de la lutte contre les changements climatiques. Rôle pour lequel elle n’a aucune légitimité, compte tenu de ses investissements actuels dans le secteur énergétique.
À côté de ce déploiement de communication « verte », le financement de projets comme Medupi revient à enfermer l’Afrique du Sud dans un modèle de développement très polluant pour les 30 à 40 ans de durée de vie de la centrale. Si Eskom prévoit d’investir quelques millions dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, ils resteront sans commune mesure avec les milliards alloués au charbon. Et ils sont dérisoires par rapport au potentiel énorme du pays dans les renouvelables.
Malheureusement, le schéma est classique : entre 2007 et 2008, la Banque mondiale a déjà augmenté ses prêts au secteur du charbon de 256 %, atteignant les 3 milliards de dollars. Avec le projet Eskom, 2010 devrait être une année record pour le financement des fossiles. Au lieu d’investir l’argent public dans le développement des renouvelables et d’un modèle sobre en carbone, la Banque confirme encore une fois encore ses choix énergétiques archaïques. Des choix incohérents avec les ambitions européennes en matière de climat et de développement[2]. Le Parlement européen s’est déjà prononcé en faveur de la fin des soutiens de la Banque européenne d’investissement (BEI) aux énergies fossiles[3]. Une demande qu’il serait urgent d’adresser également à la Banque mondiale.
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Eva Joly, eurodéputée Europe Ecologie, Présidente de la commission Développement du Parlement européen
Yannick Jadot, eurodéputé Europe Ecologie, Vice-président de la commission Commerce international du Parlement européen
[1] Action organisée par les Amis de la Terre, CRBM, urgewald
[2] En Europe, seuls la Grande Bretagne, les Pays-bas et l’Italie se seraient abstenus lors du vote sur le projet Medupi.
[3] Résolution du Parlement européen du 29 novembre 2007 sur le commerce et le changement climatique (2007/2003(INI))