Le 24 mars, le Président Nicolas Sarkozy s’est adressé aux Français et leur a promis de garder le cap. Pour lui, rien ne serait pire qu’une politique par »à-coups », victime des aléas politiques. Cela conduirait inévitablement à l’immobilisme. C’est bien pourtant ce qu’il a fait de son projet de taxe carbone, sacrifié pour faire plaisir à son propre camp politique, après l’avoir comparé à l’abolition de la peine de mort. Pour des raisons électoralistes, le Président vient de mettre fin à l’illusion écologique qu’il voulait entretenir.
Prisonnier des lobbies les plus productivistes de l’agriculture, des transports, de l’énergie ou du béton, prisonnier d’une majorité qui n’a jamais caché son opposition au Grenelle de l’environnement et à sa démocratie participative, Nicolas Sarkozy avait progressivement vidé la contribution climat énergie proposée de tous ses éléments d’efficacité énergétique et de justice sociale. Ce n’était visiblement pas suffisant ! La posture s’est rapidement transformée en imposture. Les discours volontaristes laissent la place à la triste réalité de l’impuissance à passer à l’acte.
Car c’est bien un enterrement que le Président a décidé, en conditionnant sa taxe carbone en France à une taxe carbone aux frontières de l’Europe qui ne verra pas le jour avant de nombreuses années. La censure du Conseil constitutionnel en début d’année permettait l’ouverture d’un nouveau round de concertation avec les associations, les syndicats et les entreprises, sur les bases du Grenelle et de la mission Rocard, avec pour objectif de faire de la taxe carbone un outil écologiquement efficace, permettant d’accompagner la transformation de l’industrie française et de renforcer sa compétitivité, et d’y introduire plus de justice sociale. Le Président a clos le débat, préférant le jeu politique à l’enjeu écologique et social.
Une fois de plus, il utilise l’argument de la compétitivité industrielle pour justifier sa reculade. Un argument bien souvent abusif : les risques concernant le compétitivité industrielle se limitent à quelques secteurs, certainement pas à l’industrie en général. Le projet de taxe carbone aurait pu être modifié pour à la fois faire payer les industriels pour leur pollution, les inciter à innover et à se transformer, et en même temps répondre aux inquiétudes de compétitivité. L’idée de leur rendre l’argent de la taxe, non pas en fonction de leur niveau de pollution mais en fonction de leurs investissements, notamment verts, ou en fonction de leur création d’emplois, aurait du être étudiée plus en avant..
En vigueur en Suède, Finlande, ou encore au Danemark, la taxe carbone existe pourtant déjà en Europe ! Son acceptation sociale a été possible grâce à d’importantes redistributions fiscales, notamment pour les ménages et les particuliers. Mais le débat n’aura pas lieu en France.
C’est maintenant une taxe carbone aux frontières de l’Europe que veut notre Président.
Il est clair que cette taxe aux frontières, qui consiste à prélever une sorte de droit de douane écologique sur les importations de pays ne respectant pas des normes contraignantes en matière environnementale, ne verra pas le jour avant de nombreuses années. Contrairement à ce que le Président affirme, la plupart des Etats membres sont opposés à cet instrument. Le commissaire européen au commerce, Karel de Gucht s’y est même publiquement dit défavorable, ayant la crainte de déclencher une guerre commerciale. Certains Etats y voient un outil protectionniste, d’autres un très mauvais signal pour les négociations internationales sur le climat. Mais le vrai problème n’est pas là : comment mettre en place un tel outil alors que, avec la chute des émissions de carbone liées à la récession économique et l’afflux massif de crédits carbone étrangers, les efforts demandés aux industriels dans le cadre du marché carbone européen se réduisent à peau de chagrin ? Alors que les industriels continuent à bénéficier de centaines de millions de tonnes de quotas carbone gratuits et peuvent en tirer des centaines de millions d’euros de profits ? Selon l’organisation Sandbag, les quotas délivrés pour la période 2008-2012 par les Etats membres aux industriels ont été si nombreux que, certaines entreprises bénéficieraient d’une gigantesque rente carbone en les revendant : jusqu’à 1 milliard d’euros pour Arcelor Mittal, jusqu’à 260 millions pour Lafarge.
Cette taxe aux frontières n’a donc d’avenir que si l’Europe s’engage à réduire ses émissions domestiques de plus de 30%, bien au-delà de son objectif actuel, et que si elle décide enfin de faire payer les industriels pour la pollution qu’ils génèrent.
Après avoir défendu un agenda climatique ambitieux, porteur d’une économie européenne sobre en énergie, créatrice de millions d’emplois et compétitive internationalement, le Président de la République s’est replié sur sa majorité la plus conservatrice et les intérêts financiers des entreprises les plus polluantes. Ce n’est pas seulement idiot, c’est, comme l’a dit Michel Rocard, criminel. Ne doutons pas qu’à la prochaine crise énergétique, il saura afficher sa plus grande compassion pour les ménages les plus touchés !
Yannick Jadot
Député européen Europe Ecologie, Vice-Président de la Commission du Commerce international
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