Depuis la semaine dernière, les commissaires choisis par les Etats membres et désignés par José Manuel Barroso pour composer la future commission européenne ont été auditionnés par les députés européens. Pendant trois heures, chaque commissaire candidat a répondu aux dizaines de questions de la (ou de plusieurs) commission parlementaire le concernant, et tenté de convaincre les députés afin d’être approuvé. Rumiana Jeleva, candidate bulgare, a dû renoncer à briguer le poste de commissaire européen chargé des affaires humanitaires à la suite de déclarations douteuses sur ses intérêts financiers et d’un fort questionnement sur ses compétences. Ce retrait reporte au 9 février le vote du parlement sur la commission.
De manière générale, ce système d’auditions est intéressant car il oblige les candidats à un « oral démocratique » difficile, qui donne une indication sérieuse sur leurs compétences et leur « volume » politique. Ainsi Catherine Ashton a-t-elle confirmé ce pourquoi elle avait été choisie : son manque dramatique de compétences et son immense capacité à être invisible. Il est évident qu’elle ne fera d’ombre à personne. Elle avait l’occasion de prouver qu’elle valait mieux que ce compromis médiocre entre les chefs d’Etat et de gouvernement conservateurs et socialistes européens en réagissant activement à crise en Haïti. Elle a préféré prendre le train pour rentrer passer le week-end chez elle…….
Cet exercice démocratique qu’on aimerait voir en France est pourtant biaisé par l’ « accord technique » passé entre les conservateurs, les socialistes et les libéraux pour se répartir les postes. Chacun de ces groupes s’est engagé à ne pas remettre en cause les candidats désignés par les autres groupes …pour mieux défendre ses propres candidats. C’est ainsi que des candidats commissaires clairement faibles comme Tajani (industrie), Rehn (affaires économiques et monétaires), Kallas (transport) ou Dalli (santé et consommateurs) seront probablement confirmés.
Cette nouvelle équipe révèle aussi quelques bonnes surprises (Piebalgs, Malmström, Ciolos…). Mais clairement elle s’inscrit dans la démarche politique de Barroso qui n’a tiré aucune leçon des crises financière, économique, sociale, agricole et alimentaire et évidemment écologique. C’est globalement le souhait d’un retour à la même croissance, sans ambition spécifique sur le social, l’environnement ou les libertés, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union. Sauf surprise, nous devrions voter contre cette commission.
Dans le cadre des commissions parlementaires auxquelles je participe, j’ai pu interroger les commissaires suivants.
Audition d’Andris Piebalgs, commissaire désigné pour le développement
Lundi 11 janvier a eu lieu l’audition du commissaire désigné pour le développement, Andris Piebalgs. Il a été interrogé pendant plus de trois heures sur ses objectifs clés concernant la politique de développement et la lutte contre la pauvreté. Ont été également abordés l’efficacité de l’aide et l’impact du changement climatique sur les pays en développement. Il a été plutôt convaincant et a montré sa volonté de s’impliquer courageusement sur des sujets importants.
Je l’ai interrogé sur les effets négatifs en termes de développement et d’intégration régionale des accords de partenariat économique que l’Union négocie avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Comment envisageait-il d’intervenir auprès du commissaire en charge du commerce pour défendre son avis. Il a malheureusement ressorti la langue de bois classique de la commission sur les bénéfices évidents de la libéralisation du commerce !
Concernant l’impact de la libéralisation financière, Monsieur Piebalgs a assuré vouloir prendre des mesures pour aider les pays à faire face à la crise financière. Il a ainsi paru tenir compte des préoccupations des députés. Nous verrons ensuite comment il se comportera au quotidien.
Audition de Karel De Gucht, commissaire désigné pour le commerce
Mardi 12 janvier, Karel De Gucht, commissaire belge désigné pour le commerce, a été interrogé sur de nombreux sujets par la commission du Commerce international, dont je suis Vice-président et coordinateur pour le groupe des Verts. Ont été notamment abordés le cycle de Doha de l’OMC, les accords de libre échange et les obstacles non tarifaires au commerce. Je l’ai également interrogé sur la pertinence de mettre en place des outils commerciaux (comme l’ajustement aux frontières, aussi appelé taxe carbone aux frontières). Dans sa réponse, M. De Gucht a déclaré qu’il n’était pas d’accord avec l’introduction d’une taxe d’ajustement aux frontières de l’UE sur les émissions de carbone qui, selon lui, ferait courir le risque d’une guerre commerciale. En rejetant le principe de l’utilisation d’outils commerciaux pour lutter contre les changements climatiques, sous prétexte qu’elle pourrait générer des conflits commerciaux, j’estime qu’il a raté l’opportunité d’un agenda commercial en lien avec les besoins de l’humanité et de chaque citoyen et non pas au seul profit des milieux d’affaires. C’est regrettable et augure mal d’un agenda ambitieux de la Commission européenne sur le climat. Si le Commissaire candidat est un responsable politique d’envergure et compétent sur les sujets strictement commerciaux, il n’a pas montré sa capacité à porter une nouvelle ambition commerciale européenne adaptée aux nouveaux défis de ce siècle, notamment en y incluant des aspects sociaux, environnementaux et des droits humains.
Connie Hedegaard devrait devenir la première commissaire à l’action climatique. Que ce poste revienne à une personne aussi impliquée dans la lutte contre les changements climatiques, aussi convaincue des opportunités que cela offre pour l’emploi, l’innovation ou la sécurité énergétique est incontestablement une bonne chose. Par ailleurs Mme Hedegaard, si elle a tenté d’amoindrir la responsabilité de l’Europe dans l’échec du Sommet de Copenhague, celle du pays hôte – le Danemark – et la sienne, a cependant souligné les ratés de l’Europe pendant ces négociations. Elle a mis en avant l’incapacité des dirigeants européens à parler d’une seule voix et à prendre des positions plus ambitieuses aussi bien sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre que sur l’aide à apporter aux pays en développement. Sa performance est plus critiquable quant aux projets concrets qu’elle compte mener pendant son mandat. Elle a certes déclaré vouloir travailler rapidement sur un paquet « climat transport » et intégrer la question climatique dans la réforme de la politique agricole commune. Mais elle s’est montrée sceptique sur l’intérêt de rendre contraignant l’engagement européen de réduction de la consommation de l’énergie de 20% d’ici 2020. Or, si cet objectif n’est pas rendu contraignant, l’Europe continuera à empiler des directives sur la consommation d’énergie des produits comme l’électroménager ou des bâtiments; qui, mises bout à bout, ne permettront pas d’atteindre cet objectif. Mme Hedegaard, si elle ne s’est pas officiellement opposée à l’édiction de normes pour limiter les émissions des centrales électriques, a cependant aligné les critiques sur cette mesure. A l’écouter, le marché carbone serait suffisant pour mettre un terme à la construction de centrales électriques fonctionnant au charbon…. alors que des dizaines sont en cours de construction en Europe. Espérons qu’elle se montrera plus sensible à ces arguments par la suite. Espérons aussi qu’elle aura le soutien du président de la Commission, José Manuel Barroso, quand elle fera face à ses collègues en charge du transport ou de l’énergie aussi bien pour imposer des mesures ambitieuses en faveur du climat que pour assurer que son champ de compétence soit aussi large que possible.
Pour ce qui est de l’énergie, c’est l’Allemand Oettinger qui a été auditionné par les parlementaires européens. On pouvait s’attendre à une audition difficile, cet homme ayant fortement soutenu, lors de ses mandats nationaux, le nucléaire et le charbon. Sur le nucléaire, tout en se disant personnellement en faveur de cette technologie, il a insisté sur le fait que le choix doit revenir in fine aux pays européens, le rôle de l’Union européenne se limitant à travailler sur la sécurité des installations et sur la gestion des déchets. On verra… Surtout, pour ce qui est de rendre contraignant l’objectif européen de réduction de la consommation d’énergie, il a repoussé l’idée aux calendes grecques. Tout comme il semble vouloir repousser toute nouvelle initiative sur ce dossier…
L’agenda européen est chargé pour les cinq prochaines années. C’est de toute façon dans l’exercice de leurs missions que les commissaires prouveront, ou non, qu’ils sont à la hauteur des enjeux.