Portrait de Yannick Jadot dans Libération:  » Vent frais »

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Portrait – Article paru dans Libération le 23 mai 2009
Yannick Jadot; Vent frais
Par Matthieu Ecoiffier

L’ex-tête de pont de Greenpeace, 42 ans, est la tête de liste « Europe Ecologie » dans le grand Ouest.

La politique c’est parfois de grands moments de solitude. Comme de passer une nuit à écouter ronfler José Bové. « Putain, quel sonneur ! On a dormi dans la même chambre pour un séminaire dans la Sarthe, j’ai pas fermé l’œil » raconte Yannick Jadot, tête de liste « Europe Ecologie » dans le grand Ouest. Pas de quoi faire regretter une seconde à ce jeune quadra d’avoir lâché un super-job à Greenpeace pour faire campagne avec des écologistes de tout poil aux européennes. Et vivre quelques mois sur ses congés payés accumulés. « Quand tu te balades avec Cohn-Bendit et Bové, l’accueil des gens, c’est du spectacle », s’émerveille-t-il.

Yannick Jadot ne jouit pas encore de la même notoriété que ses deux compères, ni de l’aura d’Eva Joly, autre recrue de poids de l’aventure. Mais ce grand gaillard – 1,91m – aux yeux clairs et à la voix bien timbrée, contribue à leur donner un sérieux coup de frais. « Les femmes l’ont repéré » constate François de Rugy député Vert de Loire-Atlantique, pas rancunier du parachutage de Jadot dans son fief. Lors du premier meeting à Rennes, des images d’un docu d’Arte sur Greenpeace ont été projetées – « à [son] insu » dit l’intéressé. Les sympathisantes l’ont découvert en combinaison de plongée sur son Zodiac, tentant de forcer la base de sous-marins nucléaires de l’Ile Longue, en rade de Brest. Avant de se faire éperonner par la marine nationale. Quel héros, ce Jadot !

Les Français l’avaient aperçu dans leur lucarne en négociateur du Grenelle de l’environnement, expliquant que le compte n’y était pas. Jadot, un Hulot avec du culot ? Le mois dernier, il a réapparu dans les JTquand le Canard Enchaîné a révélé le piratage de son ordinateur par une officine diligentée par EDF. Un bon coup de pub ? Lui a d’abord flippé : « Je me demandais si c’était une entreprise de déstabilisation… »Il en profite pour dénoncer « la culture du secret et les pratiques de barbouzes » des firmes nucléaires. De bonne guerre. Après « sept années à monter des campagnes et des coups » à Greenpeace, Jadot sait actionner les leviers médiatiques. Les 35 tonnes d’amiante égarées du Clemenceau, les fuites dans la presse et la France obligée de rapatrier le porte-avions ? C’était lui. Lambert Wilson, Anémone et Torreton faucheurs de colza OGM ? Encore lui. Et la première rencontre CGT-Greenpeace, toujours lui.

Il y a du Kouchner dans Jadot. Même activisme ONG, même altruisme orgueilleux. Même virilité affirmée. Même défiance vis-à-vis des appareils. Même force d’évocation de son roman personnel. Mais le narcisse de Jadot est structuré par un itinéraire alter écolo bien à lui. Typique de la première génération Mitterrand. Le 10 mai 1981, ses parents l’emmènent fêter ça « en bagnole à la Bastille ». Aujourd’hui, il revendique des « valeurs de gauche ». Mais combat le vieux logiciel socialiste de partage d’une croissance prédatrice de ressources humaines et naturelles. Pas « ni à gauche, ni à droite » comme Waechter, mais « ni libéral, ni productiviste ». « On ne peut pas dire : il faut changer de mode de production et de vie, et considérer que le seul élément intangible, c’est le système paritaire gauche-droite hérité de la révolution industrielle ». Ce « grand blond avec un nez à fendre la glace est un type sympa et fiable. Assez droit dans sa trajectoire depuis vingt-cinq ans » juge Eric Guillemot, un pote de fac.

On rencontre Jadot chez lui près du canal Saint-Martin à Paris. Candidat dans l’Ouest du pays, il se montre rétif à se voir associé à ce quartier ultrabobo, « où les gens achètent trois fois plus cher chez Antoine et Lili les mêmes trucs que chez Tati » rigole-t-il. Le petit trois-pièces dans un immeuble 1950 aux huisseries défraîchies respire une vie de famille bricolée et joyeuse. Il a deux garçons, Solal et Fabio, 7 et 9 ans, qu’il élève avec leur mère journaliste, auteure d’un blog sur les exilés. Sur les étagères Ikea de guingois, des bouquins fripés et des CD de Léo Ferré, Bashung et Archie Shepp. Au mur, une carte de l’Afrique équatoriale. Et dans un coin, une statue Kalao du Burkina. A 16 ans, il lit les Racines du ciel de Romain Gary, sur « un mec qui sort des camps [de concentration ndlr], va en Afrique et défend les éléphants ». Lui sort d’une enfance en Picardie avec trois frères et des parents instituteurs de village. Son père « plutôt autoritaire, loin de l’école soixante-huitarde », leur apprend à aimer les arbres. « On ne partait pas en vacances, il construisait sa maison. » Le garçonnet va chercher le lait à la ferme, dégonfle les pneus des chasseurs. Et rêve d’ailleurs.

Après une maîtrise sur l’économie du développement à Paris-Dauphine et avoir tâté du pavé parisien lors des grèves de 1986 contre Devaquet et les « voltigeurs de Pasqua-Pandraud », Jadot l’appelé postule à un poste de coopérant au Burkina Faso. Là-bas, il découvre la Banque mondiale qui « fait péter tous les organismes de régulation locaux ». Et se frotte à ceux qui tirent les ficelles. « Je connaissais pas mal de responsables politiques burkinabés, cela faisait hurler l’ambassadeur. » Son pote Eric se rappelle aussi des virées à moto à toute blinde dans Ouagadougou. Entre rigueur paternelle et déconne adolescente, il oscille.

Soucieux d’éviter les travers néocolonialistes, le jeune homme Jadot part au Bangladesh pour un programme d’appui aux ONG de l’Union européenne. Ensuite, il rejoint Solagral, association d’aide aux paysans du Sud, qu’il dirige bientôt pour 2 400 euros mensuels. C’est l’âge d’or de l’altermondialisme. « Je faisais tous les sommets alter et les contre-sommets ». Il y croise Bové et compagnie.

Séduit par Noël Mamère, il effectue un bref passage chez les Verts « encarté mais pas militant actif ». Mais la greffe ne prend pas : trop de « bistrouilles ». Pour entrer à Greenpeace, il faut déchirer sa carte. « Il a toujours eu cette niaque de l’engagement. Il a basculé du champ de l’expertise à celui de l’interpellation, puis du politique » résume Bové. Après avoir pris son pied à jouer aux gendarmes et aux voleurs, Jadot se retrouve dans la négociation du Grenelle comme un poisson dans l’eau. « Sarkozy aime le rapport de force, il apprécie Greenpeace » note-t-il. Certains lui sont gré d’avoir sorti l’ONG de son atavisme protestataire. D’autres lui reprochent « d’avoir fait preuve de naïveté et de s’être engagé sans garde-fous, avance Yannick Vicaire, un ancien collègue. C’est un très bon stratège de couloirs, derrière les rideaux du pouvoir ». Pour être élu au parlement de Strasbourg, il lui faudra « être moins théorique, plus en empathie avec les gens », estime de Rugy. Et faire plus de 8 % des voix. Mais son avenir politique semble tracé. Au sein du futur Nouveau parti écologiste (NPE) en cas de carton d’Europe Ecologie. Ou ailleurs. N’était son aversion pour le sarkozysme « déconstructeur », son beau profil et sa volonté de « redéfinir le camp du mouvement et celui du conservatisme » en feraient une proie idéale de l’ouverture. Jean-Louis Borloo ne tarit pas d’éloges : « C’est un type bien. Quelqu’un de très intelligent, généreux, structuré. J’ai de l’admiration pour lui ». Et le ministre UMP de quasiment appeler à voter pour le candidat écolo. Quel charmeur ce Jadot !

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