« Les citoyens homosexuels et les citoyennes lesbiennes veulent simplement être libres de pouvoir se marier ou de ne pas le faire »
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Dans le cadre de la discussion du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de  personnes de même sexe, Corinne Bouchoux est intervenue, au cours d’une séance houleuse, afin de s’opposer à une motion référendaire déposée par le groupe UMP. Elle expose les raisons pour lesquelles elle estime cette motion irrecevable.

 

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un jeune public est présent dans nos tribunes. J’espère que mes propos, qui pourront déplaire, ne choqueront personne. J’aimerais donc que l’on puisse s’entendre pour que ces futurs citoyens qui nous regardent n’aient pas une vision trop négative de nos travaux. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

 

M. Bruno Sido. Au contraire !

 

M. Gérard Longuet. Vous n’êtes pas maîtresse d’école, madame !

 

Mme Corinne Bouchoux. En effet, je ne le suis plus, cher collègue.

 

En ce premier jour de l’opération Sidaction 2013, je voudrais, tout d’abord, rendre hommage aux personnes que j’ai croisées dans la salle des conférences du Sénat, venues assister à nos débats. Je voudrais saluer M. Jean-Luc Romero, qui, avec les membres d’autres associations, a beaucoup fait pour les malades du sida, quelle que soit leur orientation sexuelle, et qui travaille actuellement sur un sujet qui nous concernera tous, le droit de choisir notre fin de vie. (Brouhaha.)

 

Nous sommes réunis, ce matin, pour discuter de la motion tendant à soumettre au référendum le présent projet de loi. (L’orateur s’interrompt en attendant le silence. – Protestations sur les travées de l’UMP.)

 

M. Bruno Sido. Le temps passe, madame !

 

Mme Corinne Bouchoux. Je préfère parler peu mais parler bien, monsieur Sido !

 

M. Gérard Longuet. Vous pourriez faire les deux !

 

Mme Cécile Cukierman. Laissez-la parler !

 

M. le président. Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

 

Mme Corinne Bouchoux. L’article 11 de la Constitution permet de « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». Or les homosexuels n’ont pas la prétention d’organiser les pouvoirs publics. Ils sont des citoyens comme les autres.

 

L’article 11 permet également de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique économique ». Ce n’est pas le sujet.

 

M. Charles Revet. Si !

 

Mme Corinne Bouchoux. Il permet aussi de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique […] sociale ».

 

Mme Catherine Troendle. C’est le sujet !

 

Mme Corinne Bouchoux. Les homosexuels ne demandent pas à bénéficier d’une politique sociale particulière. Ils veulent seulement que s’applique le principe d’égalité et qu’ils soient considérés comme des citoyens comme les autres.

 

L’article 11 permet, en outre, de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique […] environnementale ». Les homosexuels ne sont pas des pingouins qui demandent à être protégés. (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)

 

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce ne sont pas eux, les pingouins !

 

Mme Corinne Bouchoux. J’attendais cette plaisanterie de votre part, chère collègue ; c’est bien pour cela que j’en ai parlé.

 

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vous qui avez commencé !

 

M. Jackie Pierre. Respectez les pingouins ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

 

M. David Assouline. Ne regardez pas de leur côté, madame Bouchoux ! Regardez plutôt du nôtre !

 

Mme Corinne Bouchoux. Oui, mais vous, je le sais, vous êtes dans le bon camp, monsieur Assouline.

 

Enfin, l’article 11 permet de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des réformes relatives aux services publics qui concourent à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation. Les homosexuels ne prétendent pas être un service public. Ils veulent simplement être des citoyens comme les autres.

 

Je voudrais remercier l’auteur de cette motion de l’avoir déposée. Sans elle, je l’avoue, je n’aurais pas pris la parole sur ce sujet.

 

Les citoyens homosexuels et les citoyennes lesbiennes veulent simplement être libres de pouvoir se marier ou de ne pas le faire. Les familles homoparentales sollicitent pour leurs enfants, qui sont déjà, je suis désolée de vous le dire, chers collègues de l’opposition, plusieurs dizaines de milliers, le droit à la sécurité et l’égalité avec les autres enfants. Ils réclament aussi de la considération. Ils demandent à ne pas être méprisés, à ne pas être des sous-citoyens. Ils veulent être, tout simplement, des citoyens comme les autres.

 

M. Bruno Sido. Il est évident qu’ils le sont !

 

M. Christian Cambon. Ce n’est pas le sujet !

 

Mme Corinne Bouchoux. Ce n’est que théorique, mes chers collègues, mais certains d’entre vous, quelle que soit leur tendance politique, ont peut-être, qu’ils le sachent ou non, un fils ou un neveu homosexuel, une fille ou une nièce lesbienne.

 

M. Gérard Longuet. Et les homosexuels ont des parents hétérosexuels !

 

Mme Corinne Bouchoux. Peut-être même que leur voisin de commission, au Sénat, est homosexuel ? Mes chers collègues, les homosexuels sont parmi nous, il y en a dans cet hémicycle. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

 

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela ne nous gêne pas !

 

M. Gérard Longuet. Ce n’est pas le débat !

 

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous n’avons pas de problème sur ce point !

 

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ne vous laissez pas impressionner, madame Bouchoux !

 

Mme Corinne Bouchoux. Pour de nombreuses personnes qui suivent nos débats, vos propos tendent à insinuer qu’il y aurait des citoyens de première zone, qui auraient droit au mariage, et des citoyens de seconde zone, qui n’y auraient pas droit. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

 

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas vrai !

 

Mme Catherine Troendle. Nous n’avons jamais dit cela !

 

Mme Corinne Bouchoux. C’est ce que vos propos laissent entendre !

 

Mme Catherine Troendle. Cessez de me regarder, madame Bouchoux !

 

Mme Corinne Bouchoux. Je regarde qui je veux, madame la sénatrice !

 

Mme Catherine Troendle. En me regardant, vous me stigmatisez !

 

Mme Éliane Assassi. Respectez l’oratrice !

 

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Restez calme, ma chère collègue, et poursuivez votre intervention

 

M. le président. Veuillez poursuivre, ma chère collègue

 

Mme Corinne Bouchoux. La motion référendaire déposée ne respecte ni l’esprit ni la lettre de l’article 11 de la Constitution. Nous tenons à redire en ces lieux que les citoyens homosexuels ne demandent que l’égalité des droits. Ils veulent, eux aussi, être libres de choisir de vivre seul, en concubinage, en couple marié. Ce choix, mes chers collègues, doit être ouvert à tous.

 

Selon nous, le présent texte, tel qu’il est discuté, est loin de méconnaître les intérêts des enfants. Bien au contraire, il va dans le sens de leur protection, de leur sécurité, de leur respect.

 

Vous l’aurez compris, le groupe écologiste votera contre la motion référendaire.

 

Je tiens à terminer mon intervention en évoquant le sort de ceux dont on ne parle jamais, parce qu’ils sont extrêmement âgés. Je veux parler de ces « invisibles » dont l’histoire a fait l’objet d’un excellent film, que je vous invite à voir. Toute leur vie, ces personnes ont vécu une homosexualité tue, cachée. Elles se sont même parfois mariées. Dans les lettres que certaines d’entre elles nous ont envoyées, ces personnes nous disent que le choix, qu’elles n’ont pas fait, de vivre son homosexualité au grand jour devrait, au XXIe siècle, être un choix de liberté et de progrès.

 

Mes chers collègues, je vous invite à examiner les débats qui ont eu lieu ici-même, il y a plus de cinquante ans, sur l’accès des femmes à la citoyenneté. Vous constaterez que les mêmes arguments naturalistes étaient opposés à leurs défenseurs. Il n’était pas naturel que les femmes votent.

 

M. Gérard Longuet. C’est le général de Gaulle qui leur a accordé ces droits

 

Mme Corinne Bouchoux. Tout à fait, et ce fut une excellente chose.

 

M. Bruno Sido. Vous nous faites la leçon ?

 

Mme Corinne Bouchoux. C’est un rappel historique, monsieur Sido, et non une leçon !

 

Plongez-vous, mes chers collègues, dans les débats de l’époque. Les arguments défendus étaient alors les mêmes qu’aujourd’hui : il n’était pas naturel qu’une femme fasse de la politique, ni qu’elle délaisse sa famille. (Mme Françoise Laborde acquiesce.) Les temps ont changé. Nous souhaitons une autre approche de la société.

 

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la motion que vous avez déposée. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

http://videos.senat.fr/video/videos/2013/video17435.html