PROPOSITION DE LOI RELATIVE À LA DÉLINQUANCE D’IMPRUDENCE ET À UNE MODIFICATION DES DISPOSITIONS DE L’ARTICLE 223-1 DU CODE PÉNAL INSTITUANT LE DÉLIT DE « MISE EN DANGER DÉLIBÉRÉE DE LA PERSONNE D’AUTRUI »

Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, des motifs et des analyses variés – peut-être contradictoires en apparence – peuvent conduire à souhaiter l’approfondissement de la réflexion sur un texte qui soulève la question très importante du juste équilibre entre la place accordée, dans notre société, aux décideurs et la prise en considération des victimes. Ce sujet complexe est passionnant, mais aussi très délicat sur le plan humain.

Comme l’ont indiqué les auteurs de la présente proposition de loi, le dispositif du code pénal relatif aux délits d’imprudence « revient à ne prendre en compte que les imprudences ayant effectivement causé un dommage », d’où il résulte que « des imprudences de faible gravité peuvent conduire à des condamnations sévères […], tandis que d’autres, beaucoup plus graves, ne donnent lieu à aucune condamnation, pour la simple raison qu’elles n’ont causé de manière certaine aucun dommage ».

Nombre d’orateurs ont évoqué les décideurs ; à la suite de Mme Borvo Cohen-Seat, je voudrais pour ma part insister sur la situation des victimes.

Rappelons que l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA, la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, la FNATH, et le comité anti-amiante de Jussieu avaient porté un autre regard sur la législation dont nous discutons, et dénoncé un « bricolage » du code pénal, visant selon eux à atténuer la responsabilité des élus en cas de délits non intentionnels.

Outre la clairvoyance de cette assemblée, c’est leur mobilisation, leur combat qui avait permis de renforcer le dispositif, jugé trop laxiste, de la première version de la loi Fauchon de 2000.

Le principal problème posé par cette loi ne tient pas tant à la dénomination « faute d’imprudence grave » qu’à la question de la responsabilité « directe » ou « indirecte ». Sur ce point, je me permets de renvoyer au très éclairant rapport d’information n° 37 (2005-2006) que nos collègues Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy ont consacré au drame de l’amiante en France.

La loi Fauchon introduisait une distinction entre les auteurs directs d’un délit et ses auteurs indirects. Comme le soulignent l’ANDEVA et les auteurs du rapport d’information précité, « elle distingue l’exécutant – qui sera poursuivi avec la plus grande sévérité – du décideur – qui ne sera poursuivi que dans des circonstances exceptionnelles ».

Je souhaite attirer l’attention du Sénat sur le fait que les catastrophes sanitaires sont d’une autre nature que l’affaire du Drac ou que les accidents provoqués par la chute de buts de football ou de panneaux de basket, qui, hélas, ont fait des victimes et ont concerné un certain nombre d’élus. Les catastrophes industrielles et sanitaires impliquent souvent des responsabilités indirectes – quand, par exemple, un produit toxique ou dangereux n’a pas été interdit à temps – et résultent de plusieurs décisions – ou de l’absence de décisions – indirectes complexes.

Faute de temps, je n’aborderai pas la question de la prescription : comme l’a souligné Mme Borvo Cohen-Seat, les effets catastrophiques d’une exposition à l’amiante ne sont perceptibles que trente ou quarante ans plus tard. Je n’évoquerai pas non plus la regrettable affaire des prothèses mammaires, qui aboutira peut-être à la mise en cause d’un certain nombre de responsabilités au plus haut niveau.

Pour avancer, il faut absolument renforcer la prévention et entendre davantage les associations de victimes. La juge Bertella-Geoffroy, qui a instruit la plainte relative à l’exposition à l’amiante des personnels et des étudiants de la faculté de Jussieu, a fait remarquer aux rapporteurs de la mission d’information que la loi Fauchon constitue « un obstacle supplémentaire dans l’instruction des affaires de santé publique ».

Aux yeux des écologistes, il est aujourd’hui nécessaire de renforcer les mesures pénales par le biais d’un dispositif adapté et de développer la prévention sanitaire en mobilisant les moyens appropriés. Tel est le sens du combat que ma collègue Aline Archambaud a mené en novembre dernier, lors de l’examen par notre assemblée de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, pour la création d’un véritable statut des lanceurs d’alerte. Nous devons absolument inclure cette question dans le présent débat.

Par ailleurs, dans le cadre de la législation et de la jurisprudence actuelles, et sans même faire évoluer la loi dans le sens que je viens d’indiquer, nous devons aborder la question du nucléaire. Sur ce sujet, qu’il est politiquement incorrect d’évoquer ici, je vous renvoie, mes chers collègues, à l’excellent rapport sur la sécurité nucléaire que vient de remettre l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Il est malheureusement à craindre que, dans l’avenir, ce secteur ne soit concerné par la loi que nous évoquons aujourd’hui.

Toutes ces questions essentielles, notamment celle du risque nucléaire, devant être examinées, je soutiens le renvoi de cette proposition de loi à la commission afin qu’elle puisse rapidement faire l’objet d’une nouvelle étude approfondie, accompagnée d’auditions de représentants des associations de victimes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

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