Liaison ferroviaire Lyon-Turin : L’aménagement du territoire à contre-sens

Grands projets inutiles DR

Le Sénat a adopté aujourd’hui le projet de loi portant sur l’accord franco-italien pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. Le groupe écologiste du Sénat a été le seul à voter contre.

Pour Kalliopi Ango Ela, membre de la commission des affaires étrangères et cheffe de file sur ce texte : « Ce projet est un contre-sens sur le plan de l’aménagement du territoire. Au moment où nous avons un besoin criant de modernisation des infrastructures existantes, le Sénat a validé au contraire un projet inopportun qui dépouillera les rénovations urgentes de leurs moyens. »

Elle regrette également que « les membres de la coordination des opposants au Lyon-Turin n’aient pas été entendus par la Commission des affaires étrangères, dans un souci de pluralisme et d’objectivité, alors qu’ils remettent en cause le fondement des études et des argumentations servant de base à la création de ce second tunnel ».

Pour les écologistes, il n’y a aucune urgence à créer une liaison ferroviaire traversant les Alpes franco-italiennes quand le fret sur ce secteur, tant ferroviaire que routier, stagne et que la voie ferroviaire historique est loin d’être saturée.

Au total, 900 millions d’euros ont été investis dans la rénovation du tunnel ferroviaire actuel du Mont-Cenis. Ouvert au grand gabarit depuis un an, il n’est utilisé qu’à 20% de ses capacités, qui sont de l’ordre de 20 millions de tonnes de marchandises par an.

Sans compter que la ligne coûterait entre 12 et 26 milliards d’euros (selon la Cour des Comptes), traverserait le mont Ambin, sous lequel il pourrait y avoir une présence significative d’amiante et viendrait perturber les cycles hydrologiques. « Environ 300 millions de m3 d’eau par an risquent ainsi d’être perdues dans les Alpes », rappelle la sénatrice ANGO ELA.

Mise en place en octobre 2012, par le Ministre chargé des transports, la commission « Mobilité 21 » a eu pour mission de préciser les conditions de mise en œuvre du schéma national des infrastructures de transport (SNIT). Cette dernière a expliqué qu’avec « les 300 à 400 millions d’euros annuels que capterait durant 10 ans la liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin […], on ne pourrait donc pas engager de travaux supplémentaires avant l’horizon 2023, 2024 », et a classé le projet en secondes priorités (renvoyé après 2030).

Comme l’indique le sénateur Ronan Dantec, Vice-président de la commission du développement durable «Le budget transports de l’Etat est très serré et la suspension de la taxe poids-lourds aggrave ces difficultés budgétaires. Ce projet dont l’utilité n’est pas démontrée ne peut pas être soutenu ».

Jean-Vincent Placé, Président du groupe, ajoute « Ce projet de nouvelle ligne, qui se veut prestigieux, est donc inutile, onéreux et nocif pour l’environnement. »

Le groupe écologiste du Sénat a donc voté contre ce texte, dont les mesures, disproportionnées au regard des besoins existants, sont basées sur des prévisions irréalistes. La priorité reste une politique d’ensemble favorisant le report modal, ce qui comprend la modernisation du réseau existant sous la forme d’un « grand plan rail » et une taxation du fret routier.

Intervention de Kalliopi ANGO ELA, sénatrice écologiste représentant les Français établis hors de France, lors de la séance publique du 18 novembre 2013 à l’occasion du débat relatif au projet de loi « Lyon-Turin », qui s’est tenu en séance publique dès 21h30.

PJL – Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin

Discussion générale, 6 min.

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Monsieur le Rapporteur, Mes cher(e)s collègues,

Comme vous le savez, les écologistes sont attachés à la promotion du transport ferroviaire, outil indispensable pour lutter contre la production des gaz à effet de serre et la pollution de l’air.

À ce titre, nous regrettons évidemment que le fret ferroviaire soit en déclin car il est l’une des voies de la transition écologique. En effet, notre réseau ferroviaire souffre de réelles faiblesses et doit être modernisé.

Dans cette optique, la Commission Mobilité 21, créée en octobre 2012 par le ministère des transports, de la mer et de la pêche, avec pour mission de préciser les conditions de mise en œuvre du schéma national des infrastructures de transport (SNIT), a remis un rapport intitulé «  Pour un schéma de mobilité durable » à ce même ministère, le 27 juin 2013.

Il y est ainsi indiqué que [je cite] : « Le modèle de développement ferroviaire est à revisiter. Ses déséquilibres financiers, la faiblesse du fret ferroviaire, l’absence de réflexions sur les alternatives possibles à la grande vitesse ou encore l’insuffisante prise en compte des problèmes auxquels sont confrontés les principaux nœuds du réseau alors que ceux-ci affectent d’ores et déjà le fonctionnement d’ensemble du système sont autant de problématiques qui invitent de fait à sa rénovation[1] ».

L’ensemble de ces observations s’applique avec acuité au système ferroviaire du sillon Alpin, dont il est question aujourd’hui, nombre des infrastructures actuelles datant de plus de 150 ans. Pour les écologistes, il y a urgence à rénover et reconstruire les lignes vers les Alpes du Nord.

À entendre le gouvernement, ainsi que Monsieur le rapporteur, les intentions telles qu’affichées dans ce projet de loi paraissent louables. On nous dit que l’établissement de cette ligne ferroviaire mixte marchandises-voyageurs réduirait le temps du trajet Paris-Milan (de 7 à 4 heures), mais surtout favoriserait le basculement, de la route vers le fer, du trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes.

Or, nous regrettons que notre commission n’ait pas jugé utile d’auditionner les membres de la coordination des opposants au Lyon-Turin ! Alors qu’ils remettent en cause le fondement des études et des argumentations servant de base à la création d’un second tunnel, ils n’ont pas été entendus. Les écologistes, eux, ont été sensibles à ces contre-arguments.

I] En effet, d’une part, la voie du Mont-Cénis n’est utilisée qu’à 17% de ses capacités, qui sont de l’ordre de 19 millions de tonnes de marchandises par an comme l’atteste l’expertise COWI (d’avril 2006), demandée par la Commission Européenne[2]. Le seuil de saturation ne sera pas atteint avant une trentaine d’années, tandis que la stagnation du fret ferroviaire et poids lourd franco-Italien est une réalité. De plus, cette ligne a fait l’objet de travaux de modernisation, achevés en 2012, et a été mise au gabarit GB1, qui nécessite simplement l’utilisation de wagons surbaissés.

Quant aux problèmes techniques évoqués par le rapport, notamment liés à l’inclinaison de la pente, ils sont sujets à discussion. À titre illustratif, le projet de tunnel sous Gibraltar entre l’Espagne et le Maroc ou « Afrotunnel », susceptible d’être réalisé en 2025, prévoit une pente comparable de 25 à 30‰, sur une longueur de 40 kilomètres[3]. De fait, le défi technique ne semble pas insurmontable.

La voie historique du Mont-Cénis n’étant pas saturée, la construction d’un nouveau tunnel de base ne répond, par conséquent, à aucun besoin.

Ce constat a, d’ailleurs, été souligné avec force, en octobre 2012, dans la position commune finale élaborée à l’occasion de la Convention des écologistes sur les traversées alpines, qui a réuni les partis écologistes italiens, français et suisses[4]. Contrairement à ce qui est indiqué dans le rapport, le prétendu « gain écologique » ne les a pas du tout convaincus, bien au contraire !

 

II] D’autre part, pour différentes raisons, la construction d’un second tunnel de base s’avère injustifié.

En premier lieu, les coûts financiers pharamineux de ce dernier, estimé entre 12 et 26 milliards d’euros, capteront une grande partie des ressources budgétaires, au détriment du reste du réseau ferroviaire français, national et régional.

Ainsi, dans son référé adressé au Premier ministre le 1er aout 2012, la cour des Comptes estime que ce projet revêt « une faible rentabilité socioéconomique » et que « la mobilisation d’une part élevée de financements publics se révèle très difficile à mettre en œuvre dans le contexte actuel[5] ».

De plus, la commission Mobilité 21 a classé le projet en secondes priorités, c’est-à-dire renvoyé après 2030.

En second lieu, nous ne pouvons tolérer le coût environnemental d’un tel projet. Il convient de rappeler que le second tunnel de base à construire est plus long que le tunnel sous la Manche (57km contre 50km) ! Un projet de l’ampleur de cette liaison peut affecter de manière significative différents éléments du cycle hydrologique dans les zones qu’elle traverse, avec le risque de tarissement des principales sources hydriques de certaines communes[6]. Environ 300 millions de m3 d’eau par an risquent ainsi d’être perdues dans les Alpes ! En outre, si ce projet se concrétise, il y aura plus de 720.000 poids-lourds de plus par an dans les Alpes, avec 1 million de camions sur le rail !

Ce projet de nouvelle ligne, qui se veut prestigieux, est  donc inutile, onéreux et nocif pour l’environnement.

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste du Sénat se prononce contre la ratification de cet accord, comme l’ont fait nos collègues députés écologistes.

Je vous remercie.

[1] http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/synthese_A4_internet.pdf

[2] http://ec.europa.eu/ten/transport/priority_projects/doc/2006-04-25/2006_ltf_final_report_fr.pdf

[3] http://www.sned.gov.ma/telecharger/brochure-fr.pdf

[4] http://www.convention-traversees-alpines.org/

[5] http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Le-projet-de-liaison-ferroviaire-Lyon-Turin

[6] Sont, par exemple, concernées les communes de Saint Thibaud de Couz et de Villarodin Bourget en Maurienne.

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