« Ce qui compte, c’est de progresser vers l’école de la bienveillance, qui éduque à la coopération plutôt qu’à la compétition »

Ecole (c) YH

Intervention de Corinne Bouchoux du 21 mai 2013 lors de la discussion générale sur le Projet de Loi « refondons l’école de la République »

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, quelle est l’école dont nous rêvons, que nous voulons ? Ce n’est pas celle que nous connaissons aujourd’hui, marquée par les évolutions intervenues ces dix dernières années.

En effet, le constat suivant est largement partagé ce soir : notre école va mal, le phénomène du décrochage s’aggrave, nombre d’élèves s’ennuient en classe sans que les résultats des autres s’améliorent.

La responsabilité de ce bilan est partagée. Les différentes politiques publiques menées depuis vingt-cinq ans n’ont pas donné les résultats escomptés, dans un pays qui fut jadis exemplaire, même s’il ne faut pas céder au mythe d’un âge d’or de l’école. Celle-ci ne joue plus le rôle d’ascenseur social, comme ce fut le cas dans le passé pour un grand nombre d’élèves, et la massification, réelle, n’a pas été synonyme de démocratisation.

Le groupe écologiste en appelle à une « autre » école pour notre pays, pour une autre société. Cela signifie que si nous approuvons le texte présenté sur divers points, d’autres suscitent parmi nous des interrogations.

En effet, si le texte issu des travaux de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication nous inspirait un relatif optimisme, grâce au travail très important mené par Mme la rapporteur, que nous remercions encore une fois, le sort réservé à certains amendements et l’apparition de quelques autres ont suscité des inquiétudes. Nous éprouvons donc ce soir une certaine perplexité, mais nous ne doutons pas que M. le ministre la dissipera.

Il ne s’agit pas seulement de la prise en compte de tel ou tel amendement auquel nous tenons beaucoup, mais, plus généralement, de la philosophie qui sous-tend certaines « apparitions » : je pense notamment à l’évocation, tout à l’heure, du rapport Gallois. Il conviendra de lever les malentendus.

Ce qui compte à nos yeux, c’est de progresser vers l’école de la bienveillance, une école qui éduque à la coopération plutôt qu’à la compétition. Nous n’avons pas besoin de mots ronflants, nous souhaitons simplement la mise en place de dispositifs concrets pour intégrer tous les élèves, y compris, cela a été dit tout à l’heure, ceux qui sont en situation de handicap, afin de faire d’eux les citoyens et les citoyennes de demain. Il nous appartient de penser l’école réellement tout au long de la vie et d’apprendre à nos enfants que l’apprentissage ne cesse pas après l’université.

De même, le phénomène majeur de la révolution numérique doit, selon nous, s’accompagner d’une refonte significative des méthodes pédagogiques, afin de favoriser le travail en équipe et la pluridisciplinarité. Mon collègue André Gattolin s’exprimera plus longuement sur ce point tout à l’heure.

Notre école a aussi vocation à former des citoyens et des citoyennes capables de penser par eux-mêmes, aptes à coopérer tout en étant autonomes, dotés d’un esprit critique et prenant plaisir à apprendre, même si les acquisitions passent par des moments délicats ou difficiles.

L’école que nous voulons doit préparer des êtres capables d’avoir un esprit d’initiative – l’initiative relève non pas uniquement de l’entreprise, mais aussi des associations ! –, attentifs à la vie en collectivité, où le « faire ensemble » serait plus valorisé que « l’avoir » et où le fétichisme du classement et de la performance serait remplacé par l’altruisme, la solidarité, l’attention à l’autre et la lutte contre toutes les formes de gaspillage, nos ressources communes n’étant pas inépuisables.

L’école que nous voulons doit promouvoir une vision humaniste de notre « vivre ensemble ». Tel était le sens d’un certain nombre de nos amendements qui avaient retenu l’attention de la commission, mais semblent avoir disparu…

Je ne reviendrai pas sur la question du décrochage, véritable scandale national. Non seulement ces jeunes qui quittent le système éducatif n’auront pas de diplôme, mais ils perdent beaucoup de leurs chances d’insertion dans la société.

Devant ce constat partagé, nous insistons sur le fait que notre école a besoin de changer en profondeur. Que l’on appelle cela « refondation », « vrai changement », « remise à plat des fondamentaux » ou « travail sur les fondements du système » nous importe peu. Le projet de loi tel que nous l’examinons aujourd’hui, enrichi par le travail de la commission, présente à nos yeux le mérite essentiel de tendre à construire une école nouvelle, et non pas à ériger les suppressions de postes en politique publique.

Selon nous, l’une des questions centrales est celle de la formation des enseignants.

Il n’est pas nécessaire de restaurer les écoles normales et les IUFM, même s’ils avaient des vertus, quoi que l’on ait pu en dire. Ce n’est pas avec les vieilles recettes du XIXe et du XXe siècles, assorties d’un clic de souris, que l’on fondera l’école du XXIsiècle !

Mme Corinne Bouchoux. Nous sommes capables de voir ce qui fonctionne dans d’autres pays au niveau du primaire : la réussite est bien meilleure quand il n’existe ni redoublement ni notation précoce. Quand allons-nous l’entendre ? Il est temps de s’attaquer à ces deux mythes. À cet égard, nous notons avec satisfaction les avancées du texte en ce sens.

Cela a été dit, les inégalités sociales se sont renforcées, et l’école joue un rôle totalement stratégique en matière de socialisation. Il faut donc mettre en place une scolarisation précoce dans les zones urbaines défavorisées, sans oublier les zones rurales ou périurbaines.

Par ailleurs, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation doivent être des lieux structurés et structurants vivants, propres à donner un nouveau souffle à la formation de nos enseignants.

Enseigner est un métier : cela s’apprend, et ce tous les jours, tout au long de la vie. Monsieur le ministre, nous attirons votre attention sur la question de la formation continue des enseignants.

Enfin, pour ce qui nous concerne, nous tenons particulièrement aux projets éducatifs de territoire. À cet égard, nous aimerions revenir sur la façon dont ils ont été mis en place cette année, afin de donner un peu plus de souplesse au système. Nous souhaitons également que les contrats éducatifs locaux, créés en 1998 par une circulaire cosignée par de nombreux ministres, puissent inspirer des mesures allant dans le même sens.

En ce qui concerne les recrutements et les concours, nous estimons – nous l’avons déjà dit ici il y a quelques mois – que c’est à la fin de l’année de L3 que les choses devraient se jouer, mais nous n’avons pas réussi à vous convaincre. Nous comprenons bien les raisons qui ont poussé le monde des universités et d’autres acteurs à préférer une autre option, mais nous aimerions que soit inscrite dans le texte une clause de revoyure, afin d’examiner si organiser le concours en fin de L3 ne présenterait pas finalement plus d’avantages. En effet, les masters seraient ainsi plus cohérents et, nous sommes prêts à vous le démontrer, monsieur le ministre, cela ne coûterait pas plus cher à l’État. Nous insistons fortement sur ce point.

Concernant les langues régionales, là encore, ne regardons pas le XXIe siècle avec les lunettes du XIXe siècle : nous ne sommes plus en 1880.

Aujourd’hui, tout le monde parle français, et la diversité linguistique ne doit plus nourrir de craintes. Trente ans après les lois de décentralisation, nous savons que personne n’est menacé par la pratique des langues régionales.

Mme Maryvonne Blondin Tout à fait !

Mme Corinne Bouchoux. Aussi avons-nous déposé quelques amendements qui, loin de mettre en danger l’unité de la République, visent uniquement à mettre en valeur notre patrimoine linguistique dans toute sa diversité et sa richesse. Nous pensons en outre qu’il est temps d’avancer dans la prise en compte de la langue des signes.

Pour conclure, si nous étions très satisfaits de la tournure prise par le texte à l’issue du travail accompli par la commission sous l’égide de Mme la rapporteur, qui a permis de nombreuses innovations et avancées, nous éprouvons ce soir quelques doutes. Parfois, les compromis les plus subtils risquent d’émousser les enthousiasmes les plus sincères… (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

 

Intervention de Marie Blandin : Présidente (EELV) de la Commission culture et éducation au Sénat

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