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SCIENTIFIQUES, POLITIQUES ET CITOYENS Une triple légitimité

Dans l’exécutif du conseil régional d’Île-de-France, Marc Lipinski a soutenu les recherches en santé environnementale. Complexes et par nature pluridisciplinaires, ces recherches, sollicitées par les citoyens, restent trop peu financées au niveau national.
Marc Lipinski, Directeur de recherche CNRS.

VRS, n°388

Scientifiques, politiques ou citoyens : qui doit définir les priorités pour la recherche ? Chaque chercheuse, chaque chercheur souhaite décider en toute liberté de ses sujets de travail. À l’inverse, le politique vise, le plus souvent, à orienter les recherches vers leurs applications et la création de valeur ajoutée afin de booster la croissance et les emplois qui seraient à la clé. Deux aspirations a priori antagonistes. Les citoyens quant à eux expriment de plus en plus leurs propres demandes de recherche, dans un mélange de confiance et de méfiance à l’égard de la science et de ses experts. À leurs yeux, nombre de thématiques de recherche ne reçoivent pas l’attention méritée.

S’engager pour la santé environnementale

Les questions de santé environnementale sont emblématiques de ce besoin de recherche exprimé par les citoyens. Dès les années 1960, elles furent inscrites parmi les grands objectifs... des NIH américains, un institut national leur étant consacré en propre. Ces questions étudient l’ensemble des interactions entre les humains et leur milieu, naturel et social. Aux recherches sur les comportements individuels, les produits consommés, la qualité de l’air ou de l’eau, s’ajoutent par exemple les investigations sur tous les types de rayonnements, les conditions de travail, et donc de vie au sens le plus large. À l’évidence, cette complexité exige des approches pluridisciplinaires pour les- quelles nous aurions besoin d’appétence, d’encouragements et de reconnaissance.

C’est ce que j’ai tenté de promouvoir en tant que vice-président du conseil régional d’Île- de-France chargé de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (1). Pour stimuler la mise en réseau des acteurs et les approches pluridisciplinaires, j’ai utilisé les moyens financiers disponibles et proposé une quinzaine de grands champs de recherche comme    « domaines    d’intérêt    majeur »    (DIM). Jamais, il ne s’est agi pour le politique de spécifier ce que devaient être les projets de recherche : les réseaux de chercheurs franciliens porteurs de DIM étaient seuls maîtres à bord pour définir collectivement les modalités d’utilisation des sommes budgétées. Ainsi avons-nous tenté de résoudre au mieux la tension pilotage politique – liberté académique.

Lors du renouvellement des DIM en 2011, le Conseil scientifique régional récemment nommé a estimé que la qualité scientifique du réseau santé-environnement-toxicologie précédemment labélisé n’était pas suffisante pour qu’il soit reconduit. Une recommandation suivie à la lettre par une majorité politique de circonstance – contre l’avis des élus écologistes, dont je suis. Qualifiés pour l’occasion « d’idéologues »,    nous    souhaitions    une    continuité    de l’action régionale pour compenser l’insuffisance criante de soutien institutionnel national.

Cette décision fut quasi concomitante avec l’annonce de la suspension en 2012 de l’appel à projets ANR consacré à cette thématique (2). La santé environnementale a été ainsi double- ment pénalisée : au niveau francilien au nom d’une « excellence » insuffisante, et au niveau national par ce mode particulièrement opaque de sélection qui nous est désormais imposé.

Qui devrait définir les futures priorités scientifiques ?

Cette question devra faire l’objet de débats approfondis, en prélude à la nécessaire refondation du système français de recherche. Les enjeux sont multiformes. Il faudra en finir avec un financement de la recherche limité à ceux qui auront été sanctifiés par les revues aux plus forts facteurs d’impact dans un système d’évaluation essentiellement bibliométrique
et très dépendant des sujets à la mode. Faute de quoi, tout ce qui n’est pas jugé excellent à cette aune sera condamné à éternellement végéter.

Tout en travaillant à développer la pluri, l’inter et la transdisciplinarité, il faudra renforcer les laboratoires comme lieux de mutualisation et d’entraide. À l’opposé des tendances actuelles qui poussent les équipes vers une concurrence effrénée, ils devront redevenir les structures de base du système de recherche. Est ainsi posée la question de l’avenir des Labex récemment créés. Pierres angulaires des «investissements    d’avenir », les Idex devront être réexaminés dans le cadre d’une politique nationale repensée et soucieuse de tous les territoires de recherche.

De tels signaux suffiront-ils à restaurer la confiance    des    acteurs    académiques ?    Il    est urgent en tout cas de remettre ces questions au cœur du débat démocratique. Tous ceux qui manifestent leur intérêt doivent y être conviés, sur le modèle du « Grenelle de l’environne- ment » – une des rares initiatives à valoriser du quinquennat qui s’achève.
Pour les recherches sur les questions énergétiques par exemple, les citoyens et leurs associations émettront certainement des recommandations très raisonnables quant aux choix budgétaires à effectuer entre énergie nucléaire et énergies réellement renouvelables. Nul doute que les recherches en santé environnementale figureront aussi parmi leurs préconisations.

L’enjeu pour la prochaine décennie consiste donc à concilier non plus deux, mais trois légitimités : celle des scientifiques, seuls à même de définir la façon de mener les recherches ; celle des politiques, chargés d’arbitrer sur les budgets qui doivent aller vers la recherche ; et celle de la société civile organisée qui manifeste un intérêt croissant pour la recherche participative (3). Une tâche ardue mais capitale, et ô combien motivante.

32 _ VRS 388 _ janvier/février/mars/avril 2012