Vous êtes employé(e) de bureau, chargé(e) de communication, assistant(e) RH, ou encore manager? Sachez que vous occupez un "métier à la con", inutile à la société. C'est du moins ce que nous dit David Graeber dans sa tribune sur les "bullshit jobs" qui fait actuellement le tour du Net.
Selon cet anthropologue américain, des tas de gens passeraient leur vie professionnelle à effectuer des tâches qu'ils savent sans réelle utilité. Et, vu le buzz dont bénéficie l'article de Graeber sur les réseaux sociaux, le nombre d'individus se sentant inutiles au travail serait astronomique.
"Oui, c'est possible de travailler dans une entreprise qui envisage l'économie autrement!"
Ce qui est dénoncé par Graeber c'est la bureaucratisation du travail, l'automatisation des tâches auxquelles seraient soumis les salariés de notre société néolibérale. Tous ces maux qui rendent notre quotidien absurde et qui sont à l'origine de la souffrance au travail. La tribune sur les "bullshit jobs" pose en réalité la questiondu sens que l'on donne à son métier -plus que la question de son utilité. Quel sens donner à ma vie (professionnelle), pourquoi je me lève le matin? Nous nous sommes déjà tous interrogés.
Mais, le tableau n'est pas si noir que veut bien le dresser l'anthropologue américain. Partout dans le monde, des employés de bureaux, des chargé(e)s de communication, des assistant(e)s RH et des managers savent pourquoi ils se lèvent le matin. Ils travaillent dans des entreprises qui ont réinterrogé leur mode d'organisation et qui sont utiles à la société.
Oui, c'est possible de travailler dans une entreprise qui envisage l'économie autrement! Une entreprise qui met l'économie auservice de tous et qui donne du sens au quotidien de ses salariés. Economie sociale et solidaire, économie responsable, économie collaborative: appelons-les comme on le souhaite. Derrière ces concepts, se trouvent des entrepreneurs et des salariés qui refusent l'absurdité du monde du travail.
"Demandez donc à un salarié de Scop s'il exerce un "métier à la con!"
Ce n'est pas un hasard si des Scop ont publié un ouvrage intituléCeux qui aiment le lundi pour décrire le quotidien de leurs salariés. Dans une Scop, les salariés élisent leurs dirigeants, détiennent une part de leur entreprise et contribuent à la prise de décision. La question du sens se pose chaque jour aux salariés.
Cela leur permet d'être acteur de leur entreprise et donc de leur quotidien. Les objectifs y sont partagés, le mode de travail repose sur la coopération (en rupture avec la compétition qu'on nous sert à l'envi) et les succès -et échecs- y sont collectifs (loin de l'évaluation individualisée encouragée par les manuels de management). Demandez donc à un salarié de Scop s'il exerce un "métier à la con"!
Demandez-le aussi aux salariésd'entreprises sociales, ces entreprises qui créent une activité économique pour répondre à un besoin de la société. La responsable marketing d'une entreprise d'insertion, le community managerd'une marque de commerce équitable ou le consultant d'un cabinet en développement durable vous répondront certainement que ce qui les motive, c'est le sens qu'ils donnent à leur emploi.
Graeber explique également le phénomène des "bullshit jobs" parl'omniprésence des technologies dans notre quotidien professionnel. Mais, les technologies sont ce qu'on en fait! Elles peuvent nous asservir comme elles peuvent nous aider à nous émanciper. Encore une fois se pose la question du sens. Quel sens donne-t-on à l'utilisation des technologies? Les entrepreneurs de l'économie collaborative ne s'y sont pas trompés. Fablab, sites de trocs d'objets et de compétences, plateforme de covoiturage... toutes ces solutions ont en commun d'utiliser les technologies pourle bien collectif. Toujours et encore la question du sens.
"La démotivation des salariés a un impact énorme sur l'économie réelle"
On l'aura compris, le sens que l'on donne au travail et à l'économie est un enjeu stratégique pour les entreprises et la société toute entière. La démotivation des salariés a un impact énorme sur l'économie réelle: absentéisme en entreprise, poids du coût des maladies professionnelles (comme la dépression) sur les dépenses de santé, etc. Comment remobiliser des individus qui considèrent que leur travail ne sert à rien? C'est la question que doivent se poser les patrons, mais également les employés pour ne pas faire du travail un enfer sur terre.
Une prise de conscience commence à s'opérer. On voit ici et là se développer des actions de mécénat de compétencedans les grands groupes du CAC 40. En autorisant ses salariés à donner de leur temps et de leurs compétences à une association, l'entreprise les aide à redonner du sens à leur travail. C'est encourageant, mais encore insuffisant.
L'entreprise d'aujourd'hui doit faire l'impasse sur les modes de fonctionnement du siècle dernier et se tourner vers les économies de demain. Ces nouvelles économies (économie sociale et solidaire, économie positive, économie circulaire, etc.) sont des sources d'inspiration et apportent de vraies réponses. Des solutions anti "métiers à la con".
Jean-Marc Brûlé est président de l'Atelier (Centre de ressources régional de l'économie sociale et solidaire) et conseiller régional d'Ile-de-France.