Discours de politique générale par David Cormand
Il se traduit par une défiance croissante des citoyennes et des citoyens vis à vis de leurs représentantes et de leurs représentant-e-s institutionnel-le-s.
Un dialogue de sourds s’installe entre des femmes et des hommes qui constatent le renoncement des politiques à résister aux intérêts particuliers et à garantir l’intérêt général d’un côté, et des élu-e-s qui affirment agir, et le font souvent, mais dans des espaces et des proportions toujours plus éloignées des attentes populaires.
Un profond sentiment d’injustice, d’impuissance, de peur et de colère se répand et grossi chez beaucoup de nos concitoyen-ne-s sans que nous sachions, ou voulions, y apporter des réponses.
Face à ce sentiment, il est maintenant urgent d’apporter des solutions volontaristes et lisibles.
Dans le champ institutionnel et démocratique, donc, force est de constater que ce n’est pas l’acte manqué de la décentralisation qui va apporter plus de démocratie et plus de transparence dans le fonctionnement des collectivités locales.
Quelle occasion ratée!
A défaut d’avoir aminci le « millefeuille » institutionnel, il a été décidé d’y ajouter une nouvelle couche: la Métropole.
A défaut de permettre aux citoyennes et aux citoyens de désigner par un scrutin direct ses représentant-e-s, il a été décidé de maintenir pour les EPCI un mode d’élection indirecte des élu-e-s qui y siègent.
A défaut d’avoir offert une meilleure visibilité des compétences exercées par les uns et les autres, il a été décidé d’ouvrir la voie aux négociations locales pour l’attribution de ces compétences, sans que les citoyennes et les citoyens puissent être associés directement à ces choix.
L’objectif était d’ajouter de la démocratie. Le résultat est une féodalisation accrue des territoires.
Quelques avancées devraient être toutefois obtenues, notamment pour les compétences régionales. Il s’agira de s’en saisir, notamment dans le domaine des politiques environnementales et économiques.
Le défi économique, justement, est celui qui est le plus lourdement ressenti par nos concitoyennes et nos concitoyens.
La promesse du retour d’une croissance salvatrice et génératrice d’emplois est le nouveau mantra.
Il s’agissait d’aller la chercher avec les dents en 2007.
La méthode proposée en 2012 était plus… normal… Pour ne pas dire traditionnelle…
Mais dans les deux cas, la référence nostalgique est la même: le retour des Trente Glorieuses.
D’ailleurs, pour mieux faire passer le message, la décroissance était moquée; tout comme l’écologie que l’on qualifie de punitive pour mieux la disqualifier…
Or, la croyance selon laquelle « rien n’est possible sans le retour de la croissance » doit être interrogée.
Il suffit pour cela de regarder en face les chiffres de la croissance en France. Dans les années 60, la croissance fut en moyenne de 5,7% par an ; dans la décennie suivante, elle fut de 3,7% ; dans la décennie 1980, de 2,4% ; dans la décennie 90, de 2% ; et de 1,1% dans les années 2000.
Ajoutons que cette croissance moribonde a été artificiellement créée par la dette qui nous submerge aujourd’hui. A l’arrivée, ce n’est donc ni la croissance ni la décroissance que l’on obtient, mais la récession et le surendettement.
Ce n’est pas l’écologie qui est punitive pour les salarié-e-s, mais l’économie que nous subissons.
Cette récession, par nature subie, frappe de plein fouet les secteurs économiques les plus fragiles, c’est à dire ceux qui sont soumis à la concurrence internationale.
Quels sont-ils?
Nous les connaissons bien dans notre région: l’industrie automobile, le raffinage et la pétrochimie.
Mois après mois, les sites tombent, et les emplois avec.
Face à cette hémorragie, une stratégie globale de conversion de notre économie, y compris industrielle, tarde à être mise en œuvre.
Pourtant, des réponses existent et ont été déjà défendues, argumentées, portées dans cette assemblée et ailleurs par les écologistes :
– Orienter notre industrie vers la performance technologique et énergétique et l’économie circulaire ;
– Affirmer la relocalisation de l’économie, ce qui signifie rapprocher la production des consommateurs ;
– S’appuyer sur des formes entrepreneuriales différentes: ESS et coopératives…
Il faut accompagner l’accélération de cette nécessaire évolution de notre tissu industriel et économique, au risque de le voir peu à peu disparaître et de voir ainsi notre territoire et ses habitant-e-s relégué-e-s.
La création de la BPI devra être un des outils d’une politique volontariste ambitieuse dans ce domaine.
Mais les choix stratégiques de notre institution régionale doivent également peser dans cette évolution. C’est ce que nous avons déjà commencé à faire avec, notamment, le projet de production d’éoliennes au Havre.
Cet exemple permet de faire le lien avec le troisième défi qui est le défi écologique.
Notre approche du développement économique ne peut être pensée sans la prise en compte du facteur humain, social, bien entendu.
Elle ne peut non plus s’envisager sans les contraintes écologiques qui pèsent désormais sur nous.
Une conception du XXe siècle, où la croissance économique s’appuyait sur un imaginaire de l’abondance n’a plus de sens.
Cette croissance quantitative s’appuyait sur le mythe d’une énergie et de matières premières bon marché, accessibles, illimitées et propres et dans un contexte où le niveau de productivité garantissait aux salariés un rapport de force qui lui permettait, en tout cas en occident, de négocier de façon satisfaisante ses conditions de travail et ses revenues.
Aujourd’hui ce mythe a explosé. Nous commençons, et ce n’est qu’un début, à connaître le juste prix de l’énergie, financier et écologique, et à subir la raréfaction des matières premières.
Les gains colossaux de productivités des dernières décennies, contribuent à faire exploser l’inactivité subie.
Les process industriels et agricoles et notre modèle de consommation ont considérablement altéré notre territoire. Les réserves en eau se dégradent rapidement. La biodiversité connaît une chute sans précédent.
Le rythme d’imperméabilisation d’espaces naturels ou agricoles continue de s’accélérer alors même que le nombre de friches industrielles, souvent polluées, augmente.
Bref, chacun comprend qu’il faut changer de modèle, et vite.
Et la Région doit être au cœur de cette stratégie de changement.
Le débat régional sur la transition énergétique doit permettre d’initier des évolutions profondes dans notre tissu économique régional.
Ces évolutions tiennent en deux mots: Sobriété et décarboner.
La sobriété énergétique est un chantier gigantesque générateur d’économies pour les habitant-e-s et d’emplois non délocalisables pour notre territoire.
C’est l’isolation des bâtiments, l’éco-construction, la promotion des transports collectifs, l’agriculture biologique.
La sobriété énergétique, c’est aussi ce qui nous permettra de nous passer d’une industrie chère et dangereuse, posant des problèmes insolubles de pollution pour des milliers d’années, et par ailleurs peu génératrice d’emplois, que constitue le nucléaire.
Décarboner l’économie, c’est se tourner vers des énergies renouvelables, moins polluantes et réellement durables.
C’est aussi le recyclage et la réutilisation des matériaux. C’est, nous le savons, l’un des piliers sur lequel doit s’appuyer l’industrie automobile, notamment, pour se réinventer.
Dans les mois qui viennent, la Région Haute-Normandie devra se positionner clairement sur des dossiers majeurs pour l’avenir de notre territoire.
Les conclusions du Comité Mobilité 21 sur les infrastructures de transports sont déjà en partie connues.
Et il faudra, de fait, choisir entre un accompagnement volontariste du phasage de la LNPN, avec notamment le traitement du nœud ferroviaire rive Gauche, ou bien la réanimation du projet des années 70 que constitue la liaison A28-A13.
Sur la transition énergétique également, il faudra également se positionner entre la sobriété énergétique et le renouvelable d’un côté, et les mythes du nucléaire et du charbon propre de l’autre.
En sommes, il s’agira de prendre une région d’avance, comme le proposait un slogan de 2004 dont vous devez vous souvenir, Monsieur le Président; ou de rester bloqué au XXe siècle.
Nous sommes déterminés, pour notre part, à contribuer à initier et renforcer les changements qui s’imposent pour sauvegarder notre territoire et la qualité de vie de ses habitantes et de ses habitants.
Pour cela, nous devons anticiper et préparer les mutations qui s’imposent en toute lucidité.
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