Agriculture européenne: choisir la solidarité Tribune publiée dans Médiapart

18 Novembre 2010 Par Les invités de Mediapart

Edition : Les invités de Mediapart

Alors que Dacian Ciolos, commissaire européen, présente aujourd’hui la réforme de la Politique agricole commune (PAC), les écologistes  José Bové, député européen, François Dufour, élu de Basse-Normandie, Jacques Muller, sénateur, et Anny Poursinoff, députée, l’appellent à choisir l’innovation face au status quo.

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 En rupture avec son prédécesseur, le commissaire européen à l’agriculture, Dacian Ciolos, prête enfin attention à plusieurs questions fondamentales pour l’avenir de l’agriculture en Europe, et pour l’alimentation de 500 millions de consommateurs.

Le productivisme agricole fait des ravages sur l’emploi  sur l’environnement. Un paysan sur quatre a disparu en Europe alors que le chômage ne cesse de croître. Parallèlement, la concentration de la production animale ou végétale dans les zones économiquement favorables et la spécialisation des territoires a entraîné une grave pollution des eaux, une érosion inquiétante des sols, une perte de la biodiversité avec pour corollaire un exode rural généralisé. Le constat est accablant. S’il est partagé d’un bord à l’autre de l’échiquier politique, les solutions proposées et leur mise en œuvre divergent.

Dacian Ciolos cherche à rééquilibrer la distribution des aides publiques entre les pays et entre les paysans. L’apparition d’une proposition visant à soutenir spécifiquement les «petites fermes» est une évolution importante. Qu’elle émane d’un Commissaire européen originaire d’un des nouveaux Etats membres, la Roumanie, n’est certainement pas le fait du hasard. La crise économique et sociale est encore plus forte dans ces régions.

Créer une prime de base, une aide au revenu, accessible à l’ensemble des producteurs agricoles, contribue à freiner, voire à stopper la désertification des zones rurales. A budget constant, cette mesure passe forcement par la mise en place d’un plafonnement des aides, dont l’application ne doit pas être laissée à l’appréciation des Etats membres. La remise en cause des avantages acquis, c’est-à-dire des références historiques, qui depuis 1992 ont aggravé les disparités entre les régions et entre les paysans, est indispensable pour atteindre l’objectif. La prise en compte du réchauffement climatique et de la dégradation de nos ressources naturelles doit se traduire par des mesures environnementales fortes et novatrices, liées au versement de soutiens financiers par la collectivité. C’est une étape nécessaire pour pérenniser le potentiel productif de nos régions sur le long terme et retrouver une complémentarité entre les cultures et l’élevage. Les propositions de Dacian Ciolos en faveur d’une relocalisation des productions, du développement des circuits courts et de la mise en avant des produits de qualité vont dans le bon sens. Mais elles ne doivent pas pour autant servir de caution morale à la mise en place d’une agriculture duale, forcément bancale.

Face à  ces avancées nécessaires, la communication de la Commission manque d’ambition sur de nombreux points. L’Europe est devenue ces dernières années la première importatrice nette de denrées agricoles. Sa balance commerciale agricole est désormais déficitaire. L’entrée massive de soja pour nourrir les animaux est la raison essentielle de cette perte d’autonomie alimentaire. Cette dépendance accrue par rapport aux marchés mondiaux et la spéculation fragilisent les éleveurs. Elles les privent de toute visibilité économique sur le court terme. La mise en œuvre de la souveraineté alimentaire permettrait d’éviter cet écueil. En réduisant sa production de céréales et en augmentant celle des légumineuses, l’Europe contribuerait à une relocalisation mondiale des productions. Elle ouvrirait la possibilité à d’autres pays, en particulier ceux du Sud, de développer leur propre agriculture vivrière et de maintenir l’emploi agricole.

Autre absence lourde de conséquences: l’abandon des outils de gestion des marchés. Le Parlement européen s’est prononcé au mois de septembre 2010 pour que les agriculteurs aient des revenus équitables. Cela passe, comme l’a reconnu la Commission, par un rééquilibrage des rapports de force entre les différents acteurs de la chaîne alimentaire, les producteurs, les transformateurs et la distribution. L’évolution de ces dernières années montre que le laisser-faire induit automatiquement une baisse des revenus des acteurs les moins structurés, les agriculteurs. La mise en place de mesures permettant une adéquation entre l’offre et la demande est indispensable. Les organisations communes de marché ne sont pas obsolètes. Elles sont au contraire plus nécessaires que jamais.

Dacian Ciolos se trouve à la croisée des chemins. Sa proposition cherche un équilibre impossible entre la continuité et l’innovation. Le énième replâtrage de la PAC n’est pas nécessaire. Le commissaire Ciolos doit choisir l’innovation et ne pas céder aux pressions des intérêts économiques et des plus grands Etats membres qui cherchent à préserver le statu quo.

Les ministres de l’agriculture doivent arrêter de taper frénétiquement sur leurs calculettes pour savoir s’ils sortent gagnant ou perdant. La mise en place d’une politique agricole commune européenne ne se résume pas à l’addition d’intérêts nationaux étriqués. Elle doit s’inscrire dans une vision globale de solidarité entre nos différents peuples et avec les autres régions de la planète.

José  Bové Député Européen Europe Ecologie, Vice-Président de la Commission à l’agriculture et au développement rural
François Dufour, Conseil Régional Europe Ecologie Les verts, Vice-président à l’agriculture de la région Basse-Normandie
Jacques Muller,
sénateur Europe Ecologie les Verts

Anny Poursinoff, députée à l’assemblée nationale, Europe Ecologie Les Verts

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