L’appétit des spéculateurs aura des conséquences sociales désastreuses Tribune publiée dans Le Monde
24.08.10 | 13h40 Le Monde
En Russie et en Europe les sécheresses provoquent un recul des productions de céréales. Si les phénomènes climatiques que connaissent l’Union européenne, la Russie et la Chine sont à l’origine d’une baisse des productions, les répercussions économiques qu’elles entraînent pour les paysans sont, quant à elles, provoquées par la forte dérégulation des marchés et une spéculation effrénée sur ces matières premières agricoles.
Alors que l’ensemble des expertises officielles s’accordent à rejeter toute réelle possibilité de pénurie pour l’alimentation du bétail, le prix du blé a bondi de 70 % en un mois : de 130 euros la tonne début juillet à 224 euros la tonne aujourd’hui.
Depuis que la Russie – troisième exportateur mondial de blé – a décrété un embargo sur ses exportations jusqu’à la fin de l’année, les spéculateurs et, en particulier, les fonds de pension sont sur le pied de guerre, achetant les matières premières agricoles à tour de bras. Leur appétit aura très vite des conséquences sociales désastreuses.
Les émeutes de la faim qu’ont connues en 2008 les pays du Sud, alors que la tonne de blé atteignait 298 euros sous les effets de la spéculation, sont encore dans tous les esprits. Tous les ingrédients qui avaient conduit à cette situation sont, hélas, de nouveau présents. Les prix vont continuer d’augmenter et de connaître de fortes fluctuations que l’inévitable remontée des cours du pétrole ne pourra qu’aggraver.
Force est de constater que depuis 2008, tout a été fait, au nom de la simplification de la politique agricole commune (PAC), pour réduire à néant les outils européens existants de gestion des marchés alors qu’il fallait mieux maîtriser les marchés, réduire la dépendance aux importations de denrées alimentaires, entraver l’extension des agrocarburants au détriment des cultures vivrières, constituer des stocks d’urgence.
A partir de ce constat, les décideurs se sont convaincus de l’importance de relancer les investissements dans l’agriculture. Le revers de la médaille, c’est la ruée sur les terres arables de certains Etats et groupes privés qui mettent à mal le développement d’une agriculture paysanne, pourtant seule à même de répondre aux problèmes de la faim et de pauvreté des pays du Sud.
LE PRIX DES CÉRÉALES EXPLOSE
En France, la montée des prix frappe de plein fouet les éleveurs. Les régions de l’Ouest et de montagne, grandes productrices de lait et de viande, sont les plus fortement touchées. A l’inverse, les céréaliers français voient leurs revenus s’accroître considérablement alors même que plus d’un tiers des aides de la PAC – 20 milliards d’euros sur 54 milliards – leur sont déjà alloués.
Le prix des céréales explose, ceux du porc et de la viande bovine baissent, tandis que le prix du lait reste en dessous des coûts de production. Les éleveurs qui ont opté pour des systèmes herbagers – qui respectent l’environnement et leur apportent une plus grande autonomie pour l’alimentation du bétail – seront les plus injustement touchés par l’augmentation des prix des céréales, et donc de l’alimentation animale, alors qu’ils sont parmi les moins aidés par les dispositifs publics.
La loi de modernisation de l’agriculture (LMA) ne fera qu’accentuer la dépendance des agriculteurs vis-à-vis des firmes agroalimentaires, malgré un faux discours sur la régulation des productions. C’est là toute l’absurdité d’un système d’aides européennes essentiellement orientées vers la production intensive plutôt que vers le soutien des emplois dans l’agriculture durable. L’OMC, l’Union européenne et le gouvernement français continuent la politique du « laisser faire » au nom du libéralisme économique.
Devrons-nous attendre une nouvelle crise alimentaire aux conséquences dramatiques pour que l’Union européenne se préoccupe enfin des paysans ? Nous demandons une modulation des aides compensatoires, afin qu’un quart des aides PAC 2010 aux céréaliers (5 milliards d’euros) soit redirigé vers les éleveurs et vers des politiques de coopération internationale.
Il est temps d’amorcer une transformation écologique et sociale de notre modèle agricole. Cela passe par un encadrement fort des marchés afin de garantir des prix justes pour les producteurs, tout en préservant le pouvoir d’achat des consommateurs. La réforme de la PAC qui s’amorce constitue une opportunité unique pour remettre à plat les orientations stratégiques de la politique agricole européenne. C’est un nouveau contrat entre la société et ses paysans qu’il nous faut construire.
José Bové, eurodéputé Europe Ecologie ; René Louail, paysan, conseiller régional Europe Ecologie au conseil régional de Bretagne ; François Dufour, paysan, vice-président d’Europe Ecologie de Basse-Normandie ; Serge Morin, paysan, vice-président Europe Ecologie de Poitou-Charentes.