La coopération décentralisée ce n’est pas le Club Med
Par Marie Bové. Présidente de la commission coopération interrégionales, actions européennes et internationales
Bienvenue sur les routes de la coopération internationale : du Vietnam au Sénégal, les enjeux de l’économie locale sont au cœur de l’action sociale et écologique. Témoignage.
Vingt-deux heures de voyage, c’est le temps nécessaire pour atteindre la ville vietnamienne de Sapa depuis Paris. Située au Nord du pays dans une région montagneuse à proximité de la Chine, le paysage de carte postale est au rendez-vous : rizières en terrasse, végétation luxuriante, villages traditionnels Hmongs accrochés aux versants abrupts… Au pied du plus haut sommet du Vietnam, le Fan Si Pan et au Nord-ouest de Dien Bien Phu, les amoureux de la montagne et les nostalgiques de l’Indochine affluent.
De 400 000 visiteurs, les investisseurs attendent 2,5 millions de touristes dans les prochaines années, des Français notamment. La recette : une autoroute en direct d’Hanoï ouverte depuis peu, des minorités ethniques dociles pour le folklore, une infrastructure hôtelière d’envergure… et le plus grand téléphérique de l’Asie pour l’accès de 2000 touristes à l’heure au sommet du Fan Si Pan dans le parc national de Huang Lien.
Vietnam, chantier du téléphérique dans le parc de Huang Lien
Vous me direz : et alors ? Et alors, depuis 10 ans la région Aquitaine agit dans le cadre de la coopération décentralisée dans cette province de Lao Caï. Et alors ? Et alors, l’Aquitaine agit en faveur d’un schéma d’urbanisme adapté, de la francophonie, d’un soutien aux minorités, de l’agriculture locale… et de la valorisation du parc naturel de Huang Lien. Un parc naturel qui est aujourd’hui menacé par des infrastructures pharaoniques malgré les ressources extraordinaires en biodiversité végétale et animale.
C’est ainsi que dans une salle de réunion où nous gardions les manteaux, les écharpes et les gants, les arguments furent échangés sur les conditions du partenariat franco-vietnamien d’un point de vue économique, social et environnemental.
A qui profitent les bénéfices de ce tourisme de masse ? Aux minorités dans l’extrême pauvreté, à la nature, aux collectivités, aux investisseurs privés ? Peut-on faire ailleurs ce que l’on ne ferait pas chez nous ?
En concertation, le projet initial de baliser des sentiers de randonnée, aujourd’hui à l’ombre des pylônes du téléphérique, est abandonné. Et l’alternative retenue s’articulera autour d’un programme d’éducation à l’environnement (naturel et culturel) et d’un soutien aux minorités pour un éco-tourisme socialement équitable.
Du bio dans la savane
A sept de décalage horaire vers le soleil couchant, un autre paysage et une autre température de la misère : le Sénégal en savane sèche entre Bambey, Diourbel et Touba. Toujours en mission pour la région Aquitaine, me voilà sur le terrain d’un projet de maraîchage conduit par l’ONG Agrisud. Le Sahel peut nourrir le Sahel… c’est vrai à condition d’avoir des bras et de l’eau dans cette zone aride dévastée par la culture intensive de l’arachide. Les bras ce sont ceux des femmes, celles qui sont restées au village avec les enfants et les vieillards quand leurs hommes sont partis en ville pour glaner quelques CFA. L’eau c’est celle qui contient trop de fluor ou de sel, impropre à la consommation. Sans oublier les caprices des groupes électrogènes.
Que faire ? Imaginons des forages suffisamment profonds avec des pompes alimentées par l’énergie solaire. Problème : ce qui techniquement réalisable n’est pas forcément politiquement faisable. Dans un pays où la réforme territoriale 2014 (suppression des régions et création des départements), se fait sans payer les indemnités et sans clarifier le schéma institutionnel des compétences des collectivités… c’est la guerre des nerfs. Qui passe les marchés, à qui appartiennent les forages ? Qui gère la distribution de l’eau ?
Baobab dans la savane
Présidant la délégation française, j’invite tous les acteurs sénégalais concernés à se mettre autour de la table. Peine perdue, chacun défend son territoire… La présidente du département de Bambey défend que les forages sont sur son fief en brandissant un arrêté du gouverneur sur la dévolution des biens de l’ancienne région administrative.
La mayonnaise monte, le jour du lancement du projet hydraulique est maintenu. Les militants politiques sont au rendez-vous dans le village pour soutenir les femmes, le maire ou la présidente du département. Le protocole des prises de parole est modifié à la faveur des opposants à la commune. Le préfet garde le silence, les protestations et les coups partent dans un vacarme assourdissant. La délégation française est évacuée pour des raisons de sécurité. Tristesse, consternation… un sentiment d’échec.
Mais la vie continue, les semis paysans sont en terre. Les haies végétales abritant les insectes polinisateurs et repoussant les animaux sauvages sont plantées. Les fausses à compost et les bio-fertilisants sont prêts. Nous sommes en saison sèche, les pluies n’arrivent que dans quelques mois. Sans eau, tout crève. Et sans nourriture, le village se vide. La pression des femmes pour trouver une solution concertée est prégnante, les autorités ministérielles le savent.
En quarante-huit heures, le dialogue s’engage à Dakar avec le ministre du développement et des collectivités. Des excuses sont prononcées, la médiation peut commencer : la région Aquitaine maintient ses engagements pour la réalisation du programme hydraulique avec l’opérateur Eau vive, la partie sénégalaise s’engage à trouver une solution dans l’intérêt des usagers. Espoir.
Parcelle de maraîchage
De retour, je garde le souvenir de ces femmes témoignant combien l’agriculture bio est une agriculture économe en argent, généreuse en nourriture et bénéfique pour les fins de mois. Le bio ce n’est pas bobo pour tout le monde !