Enquête publique portant sur la création des lignes nouvelles Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax, opération du Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO)

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[L’enquête est téléchargeable à la fin de l’article]

Monsieur le Commissaire enquêteur,

 

Le Groupe des élus Europe Écologie – Les Verts du Conseil régional d’Aquitaine émet un avis défavorable à cette déclaration d’utilité publique pour les raisons suivantes :

 

Le Premier Ministre a clôturé vendredi 28 novembre dernier par un discours la conférence environnementale.

 

Son intervention comporte un passage sur les Lignes à Grande Vitesse :

« La France a derrière elle une belle tradition dans le domaine des infrastructures.

Cette politique a été essentielle à la réduction des inégalités territoriales et au développement économique.

La France, c’est le pays du ferroviaire. Notre réseau – avec ses 30 000 kilomètres de voies, les TGV qui couvrent largement nos territoires – est un atout précieux. Nous devons en prendre soin.

A ce titre, la réforme ferroviaire votée cet été a été un grand pas. La trajectoire financière de nos grands opérateurs n’est pas bonne. Je veux le dire : déclencher la construction de 4 lignes à grande vitesse en même temps a été une erreur.

L’enjeu majeur, pour le développement durable de nos réseaux ferrés c’est avant tout de mieux les entretenir.

Je pense tout particulièrement aux réseaux régionaux, à ces transports du quotidien ».

 

En quelques phrases, le Premier Ministre a fait ainsi un désaveu cinglant des politiques des grandes infrastructures ferroviaires menées par ses prédécesseurs depuis des dizaines d’années. C’est que la situation est devenue si aiguë au niveau financier pour la construction des nouvelles lignes à grande vitesse ainsi qu’au niveau de la dégradation du réseau ferroviaire existant qu’il n’est plus possible pour l’Etat de continuer à faire la politique de l’autruche.

Le président de la SNCF, lui-même dans une interview au journal « Le Monde » parue le 26/03/2011 déclarait : « Le TGV est une fierté française. C’est très ambitieux de construire quatre lignes en même temps quand, jusque-là, on les construisait une par une. Ce faisant, le risque est de faire exploser les péages demandés par RFF ou les concessionnaires. Sur la nouvelle ligne Tours-Bordeaux, les péages prévus, assez dissuasifs, ne permettraient pas de faire circuler davantage de trains pour rentabiliser la ligne. On risque d’avoir un trafic supplémentaire bien plus faible qu’espéré.

Le risque est de se retrouver avec des lignes à grande vitesse de plus en plus longues et de moins en moins utilisées. La construction d’un réseau de LGV en France, c’est l’affaire d’une génération, pas de quelques années. Enfin, le financement des lignes à grande vitesse ne peut se faire au détriment de celui du réseau existant.

Ma priorité – et celle fixée par le chef de l’Etat dans ma lettre de mission – ce sont les trains du quotidien. La SNCF sait ce qu’elle doit au TGV, qui est aujourd’hui la troisième activité après nos trains du quotidien et la logistique de marchandises. Je suis un militant convaincu du réseau classique. D’autant que certaines lignes de banlieue sont aussi dans une impasse.

Le gouvernement dispose aussi désormais du rapport de la Cour des Comptes publié le 23 octobre dernier qui est très sévère sur cette politique du « tout TGV » qui aboutit à l’impasse financière et technique actuelle.

Mais plusieurs rapports parlementaires (notamment Mariton en 2011 mais aussi Auxiette, Bianco) avaient déjà alerté les gouvernements successifs sans que ceux-ci ne veuillent mettre fin à cette fuite en avant favorisée par le lobbying effréné d’élus locaux voulant à tout prix des LGV pour leur territoire.

Le Grenelle de l’environnement a été à ce sujet une aubaine pour ce lobbying. Sous couvert de report modal et de lutte contre le changement climatique, le gouvernement de l’époque a fixé des objectifs exorbitants de construction de 2000 km de nouvelles LGV en oubliant totalement la rénovation et la modernisation du Réseau ferroviaire existant qui est dans un état catastrophique et pour preuve, il est à l’origine du déraillement meurtrier d’un train, à Brétigny, le 13 juillet 2013.

Issu du Grenelle de l’environnement, le SNIT, le Schéma National d’Infrastructure de Transport) déclinait, entre autres, ces objectifs. Ce document de planification sur 30 ans est le symbole même de l’incohérence et de l’irresponsabilité car aucun financement n’était indiqué pour l’ensemble des projets retenus. Mais en évaluant le coût de tous les projets d’infrastructures de transports prévus, il était facile de connaitre le montant total qui se chiffrait à 260 milliards d’euros, dont 160 milliards d’euros pour le ferroviaire.

Or l’Etat, via l’AFIT (l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport) ne pouvait consacrer que 2 milliards d’euros par an à ces projets. Il aurait donc fallu 130 ans pour réaliser tous ces projets, on voit donc l’absurdité d’une telle planification.

Pour supprimer cette aberration, une mission dirigée Philippe Duron a été désignée par le gouvernement en 2012 pour établir une hiérarchisation des projets. La hiérarchisation opérée par cette commission a retenu trois groupes  :

  1. Premières priorités : les projets qui devraient être engagés sur la période 2014-2030. Les études et procédures de ces projets doivent être poursuivies en vue de leur engagement avant 2030 ;
  2. Secondes priorités: les projets dont l’engagement doit être envisagé entre 2030 et 2050. Les projets concernés doivent être poursuivis en études afin d’en approfondir la définition et permettre leur engagement sur la période 2030-2050 ;
  3. Projets à horizons plus lointains : les projets à engager au-delà de 2050 et dont les études doivent être arrêtées aussi longtemps qu’aucun élément nouveau ne justifie leur relance.

Il se trouve que seule la LGV Bordeaux-Toulouse a été classée dans les premières priorités, et la LGV Bordeaux-Hendaye dans les secondes priorités, autant dire qu’elle était renvoyée aux calendes grecques.

Ce classement de la LGV Bordeaux-Hendaye a paru insupportable à un certain nombre d’élus aquitains qui ont redoublé de lobbying pour que le montage financier abracadabrantesque du financement de la LGV GPSO couplé à celui de la LGV Bordeaux-Tours ne s’écroule pas comme un château de cartes du fait de ce déphasage entre les deux projets.

Finalement, sous ce lobbying, le gouvernement a cédé en bricolant un dispositif à deux phases :

La première, objet de la présente enquête publique, concerne d’une part, la LGV Bordeaux-Toulouse avec l’objectif d’une mise en service à l’horizon 2024 et d’autre part, la LGV entre Bordeaux et Dax, avec une mise en service à l’horizon 2027.

Dans une seconde phase serait lancée la LGV entre Dax et la frontière espagnole, avec l’objectif d’une mise en service en 2032. Cette ligne, qui est censée présenter un intérêt dans le cadre du développement du réseau trans-européen de transport et des échanges avec la péninsule ibérique le long de la façade atlantique, ferait l’objet d’un approfondissement des études, notamment dans les secteurs à forts enjeux environnementaux» sans que ne soit préciser de date de l’enquête publique concernant ce projet.

C’est donc à une véritable mascarade que se livre ainsi le gouvernement car le financement de la première phase n’est absolument pas assuré à l’heure actuelle et ne parlons pas de la deuxième phase qui l’est encore moins. Comment dans ces conditions, oser mettre en enquête publique un tel projet ?

Mais tout comme il y a 50 ans, « il ne fallait pas désespérer Billancourt », le gouvernement n’a pas voulu désespérer les élus et décideurs pro LGV. Aussi, il entretient l’illusion d’une réalisation en deux phases, mais en réalité, le gouvernement permet à ces élus de ne pas perdre la face alors que des échéances électorales approchent. Ils pourront ainsi continuer de pratiquer la méthode Coué mais celle-ci ne peut marcher que si les choses à réaliser sont… réalisables financièrement, ce qui n’est manifestement pas le cas !

Et ce n’est pas l’abandon de l’écotaxe, ou plutôt de la pollutaxe, par ce même gouvernement qui pourra les sauver car cela amène une disette pour l’AFIT très préjudiciable, qui ne pourra donc financer ces nouvelles LGV mais surtout également les rénovations et modernisation du réseau ferroviaire existant.

Le Grenelle de l’environnement a été paradoxalement le catalyseur de tous les projets inutiles et ruineux d’infrastructures de transports. Il avait été précédé d’un certain nombre de débats publics pour notamment les nouvelles LGV.

S’il apparaissait que l’Aquitaine souffrait d’un retard en matière d’infrastructures ferroviaires, ne fallait-il pas préalablement à toute initiative, organiser un grand débat régional portant sur l’ensemble de cette problématique et essayer de dégager un consensus, avec l’aide d’expertises objectives et de scénarios différenciés ?

Au lieu de cela, RFF a préféré unilatéralement proposer deux projets ferroviaires bien distincts, Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne qui s’opposaient en termes de financements et de priorités et avec des justifications assez contestables.

 

Pour ces projets, il était mis en avant :

  • le développement du trafic ferroviaire de voyageurs ;
  • le développement du fret ferroviaire par libération des capacités (sillons) sur les lignes classiques qui ne seront plus occupés par les TGV ;
  • Le gain significatif de temps entre les grandes métropoles régionales et européennes.

 

Deux débats publics ont donc eu lieu, dont le coût financier n’était pas négligeable. Le premier débat en 2005 concernait la ligne LGV Bordeaux-Toulouse, qui n’apparaissait pas comme la première priorité pour notre région et qui ne faisait aucunement référence au projet de LGV Bordeaux-Espagne et pour cause puisque le débat public de celui-ci ne s’est déroulé qu’en 2006.

Deux débats publics très animés, voire trop animés pour certains qui n’ont pas apprécié qu’une majorité de citoyens puisse ne pas être en phase avec les grands décideurs politiques et économiques. Mais RFF et les décideurs politiques n’en n’ont tenu absolument aucun compte.

Ils n’ont pas tenu compte non plus et cela est inacceptable des études alternatives démontrant l’inutilité de ces lignes LGV dans la mesure où la rénovation et modernisation des lignes existantes Bordeaux–Toulouse et Bordeaux-Hendaye pouvaient tout à fait répondre à l’augmentation du trafic voyageurs et fret et faire coexister les TGV, les TER et trains de marchandise à l’horizon 2020 et au-delà avec des performances très voisines des LGV et en étant 3 à 4 fois moins chères.

En particulier, la rénovation de la ligne POLT (Poitiers, Orléans, Limoges, Toulouse) qui permettrait de relier Paris à Toulouse de manière beaucoup rapide et pertinente que de passer par Bordeaux, n’a pas non plus été l’objet d’étude d’un scénario du débat public Elle permettrait pourtant de diminuer de 20 % les temps de transport avec un Paris-Limoges en 2 heures, Cahors en 4 heures et Toulouse en moins de 5 heures.

D’ailleurs, il est symptomatique que le postulat, le dogme même posé pour les deux projets dans les débats publics était « Il faut doter les réseaux ferroviaires Bordeaux-Espagne et Bordeaux-Toulouse de deux nouvelles voies supplémentaires pour chacun d’eux ». Les deux débats publics étaient donc biaisés dès le départ.

La procédure du débat public est une avancée démocratique fondamentale dans la consultation et la participation des citoyens aux grandes décisions d’aménagement ayant un impact sur l’environnement. Mais servent-ils vraiment à l’intérêt général ou bien juste à donner l’illusion d’une procédure démocratique ?

En participant à des débats publics où il leur est impossible de remettre en cause l’opportunité même du projet proposé et de faire prendre en compte des projets ou démarches alternatives, les citoyens constatent leur impuissance démocratique, ce qui ne fait que renforcer leur opposition et crispe le débat. Le drame du barrage de Sivens avec la mort d’un jeune militant est révélateur d’un déficit démocratique inquiétant qui ne fait que s’accentuer.

Et pour preuve, ces deux débats publics sur les projets de la LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne. N’a-t-on pas fait débattre les citoyens sur des dossiers de projets dont le contenu et l’économie générale ont été profondément modifiées depuis leur présentation en débat public ?

Modifications majeures en termes d’organisation des procédures, d’échéancier, de pilotage et de suivi des études, de dates d’enquête publique, de délai de réalisation, de coûts de financements, de montage financier.

Le projet des LGV GPSO actuel soumis à la présente enquête publique, fusion bricolée des deux projets de LGV, est donc non seulement illégitime mais aussi illégal dans le sens où il n’a pas été précédé d’un débat public conforme à sa structuration actuelle comme l’exige le Code de l’Environnement.

Il est donc probable qu’une procédure juridique contentieuse, dont ne se priveront pas les opposants, sera à même de faire annuler la déclaration d’utilité publique pour ce motif ainsi que pour de nombreux autres.

Les projets de Lignes à Grande Vitesse dans le Sud-Ouest sont le révélateur que les politiques publiques restent encore enfermées dans une logique productiviste et à courte vue. Or « Toujours plus vite, toujours plus loin, toujours plus souvent » ne doit plus constituer le seul credo de ces politiques. En effet, l’urgence environnementale nous impose une décroissance de notre empreinte écologique par une transformation profonde de nos modes de vie pour tendre vers plus de sobriété. L’objectif de diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre pour éviter l’emballement climatique est crucial et doit guider nos choix politiques.

Ainsi la folie du transport de marchandises faisant des milliers, voire des dizaines de milliers de km de leurs lieux de production à ceux de consommation doit cesser. La relocalisation d’une partie importante de l’économie s’avère incontournable afin de reconstruire des circuits courts de production, de distribution et de consommation. De même, nous devons revisiter l’ensemble des politiques d’habitat, d’urbanisme, de déplacement, de transports collectifs, d’énergie… pour aller vers plus de « mieux-être » tout en diminuant nos impacts environnementaux.

Dans ce cadre, le rapport modal de la route vers le rail du transport de marchandises et des voyageurs, est l’une des priorités absolues, par l’aménagement et la modernisation les voies ferrées existantes pour qu’elles aient la capacité d’absorber l’augmentation du trafic induite dans les décennies à venir, comme l’ont démontré des études indépendantes pour les lignes actuelles Bordeaux-Hendaye et Bordeaux-Toulouse. Europe Ecologie-Les Verts n’est pas contre le principe de la grande vitesse mais cela doit se faire sur les voies existantes aménagées et modernisées et à une vitesse raisonnable de 220 km/h qui est largement suffisante et qui est la norme actuellement dans tous les autres pays européens.

 

Europe Ecologie-Les Verts n’accepte pas que l’on dépense des milliards pour un projet de LGV démesuré et ruineux sur des voies nouvelles (la totalité du projet GPSO Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne est chiffré à plus de 13 milliards d’euros), afin de faire gagner quelques minutes à une minorité de voyageurs privilégiés (10 % des habitués des TGV comptabilisent 50 % des trajets), alors que nous avons besoin d’un plan rail régional et inter-régional ambitieux, doté de moyens financiers très importants, pour la modernisation des voies secondaires et la densification du réseau de Trains Express Régionaux (TER) afin de faciliter les déplacements quotidiens des aquitains.

N’est-il pas paradoxal et inacceptable que le trajet Bordeaux-Paris puisse se faire bientôt en 2h grâce à la LGV Paris-Bordeaux alors que de nombreux usagers du TER font face à des galères récurrentes avec des suppressions de trains fréquentes et des retards systématiques, ce qui entraine des temps de parcours prohibitifs pour eux. Les déplacements inter régionaux et entre les villes moyennes sont également handicapés car la fréquence des trajets ont été réduits progressivement avec de plus un matériel roulant vieillissant (par exemple Bordeaux- Nantes). Pourtant, il serait parfaitement possible de procurer un grand confort et une vitesse appréciable des déplacements avec du matériel roulant modernisé sur les voies existantes modernisées, mais pour cela, il faudrait réorienter massivement les sommes investies actuellement sur les LGV.

Europe Ecologie-Les Verts n’accepte pas que le cofinancement de la LGV par les collectivités obligent celles-ci à s’endetter lourdement et à obérer un certain nombre de politiques dont elles ont la compétence telles que l’éducation, la formation, le social, l’environnement, les transports collectifs… Ainsi le Conseil régional d’Aquitaine doit débourser sur plusieurs années un montant total 600 millions d’euros. Cette somme représente la moitié de son budget annuel, ce qui est considérable et démontre la pression financière qu’exerce cette charge sur les autres budgets de la région, et ce d’autant plus dans un contexte de baisse des dotations de l’Etat.

Alors que la région Aquitaine va se doter d’un Schéma de Cohérence Écologique destiné à préserver les réservoirs de biodiversité, les corridors écologiques et les trames vertes et bleues, Europe Ecologie-Les Verts n’accepte pas le massacre et la destruction de 6000 hectares espaces naturels dont de nombreux sites Natura 2000, de terres agricoles, de forêts… qui vont accentuer la perte de biodiversité et la fragmentation accru du territoire aquitain par des saignées aggravant l’enclavement de territoires et de populations de zones rurales déjà trop souvent délaissées. En effet, les LGV, tout comme les autoroutes, vont profiter principalement aux grandes métropoles en termes d’attractivité économique donc d’emplois, contribuant ainsi au « déménagement du territoire » et à la dévitalisation des zones rurales. Comble de l’absurdité : Des gares LGV vont être créées ex nihilo, à plusieurs dizaines de kilomètres des grands centres urbains comme Agen, Mont de Marsan, Dax… et les temps de trajets entre ces centres urbains et les gares vont annihilés le gain de temps procurés par la LGV, sans compter la destruction d’espaces naturels et agricoles pour implanter ces gares.

Europe Ecologie-Les Verts n’accepte pas la privatisation du réseau ferré car la construction et l’exploitation de ces projets de LGV sont en effet octroyées par l’Etat à des groupes privés du BTP sous la forme de concessions très juteuses financièrement pour eux. Fait aggravant, la SNCF devra payer des péages de plus en plus élevés aux concessionnaires pour faire circuler ses trains sur les LGV, ce qui augmentera le coût du voyage et le rendra de plus de plus en plus difficilement accessible aux gens de condition modeste.

 

Pour toutes ces raisons, le groupe des élus Europe Ecologie Les Verts du Conseil régional d’Aquitaine émet un avis totalement défavorable aux projets de LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax dans le cadre de l’opération ferroviaire GPSO.
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