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« Quand le soleil de la démocratie est bas, l’ombre porte loin »

A l’heure où le Front National est au plus haut dans les sondages présidentiels – ce que les cantonales viennent, hélas, de confirmer – le site du journal « Le Monde » publie une tribune libre de Gérard ONESTA qui revient sur l’inavouable tentation de Sarkozy de jouer avec l’extrême droite.

Marine Le Pen en tête de la course. Et si l’Elysée n’était pas aussi désespéré par cette perspective qu’on pourrait l’imaginer de prime abord ? Et si Sarkozy avait parfaitement assimilé qu’il n’avait plus de marge de manoeuvre pour remonter, en un an de campagne, le décalage béant entre la France promise et la France récoltée ?

Et si le locataire du Château et ses « visiteurs du soir » faisaient tout simplement un terrible et cynique calcul : sachant qu’avec un niveau de détestation du sortant rarement atteint n’importe quel(le) socialiste gagnera contre lui le second tour de la présidentielle, il lui faut désormais pour l’emporter – de façon certaine et contre toute logique républicaine dans cette élection à l’arithmétique absurde – réunir les deux variables de l’équation qui avait permis l’improbable réélection d’un Chirac pourtant également honni.

Le premier élément de cette équation est un score décevant du PS au premier tour. Du moins, juste assez décevant pour que le candidat sortant le devance, même d’une simple pincée de voix. Certes, rien n’est écrit, mais le Château peut encore raisonnablement espérer que la primaire socialiste ouvre une boîte de Pandore bien saignante comme seuls les égos de Solférino en ont le secret. Sans compter qu’on ne décèle aucune appétence dans le pays pour un projet socialiste mille fois annoncé, et jamais imaginé. En temps opportuns, la (toujours) redoutable machine électoralo-médiatique de l’UMP saura le rappeler.

Le deuxième paramètre est qu’il faut que l’extrême droite soit qualifiée – qualifiée à coup sûr – pour le second tour de scrutin, et peu importe alors avec quel score. Pour cela, il faut exciter la populace en légitimant toutes les thèses du Front National (insécurité, invasions migratoires, anti-européisme, traditionalisme, islamophobie, identité, etc.). Mais n’est-ce pas ce que fait l’Élysée depuis longtemps avec une application déconcertante, sans jamais dévier de cette voie, et ce, malgré tous les revers que l’UMP a subi à chacune des élections intermédiaires ? Les commentateurs politiques se sont souvent demandé pourquoi le président s’entêtait à ce point : la réponse pourrait être fort simple : ne pouvant décidément plus l’emporter dans un combat droite/gauche, il lui faut parvenir à (re)créer les conditions d’un combat droite/extrême droite, pariant que le pays préfèrera toujours – comme en 2002 – un vilain choléra à l’épouvantable peste brune.

Simple hypothèse ? Gageons au moins qu’elle fait saliver en haut lieu.
Si elle était avérée, cette manoeuvre ne serait pas seulement détestable, elle serait aussi doublement risquée.

Manoeuvre d’abord risquée pour Sarkozy lui-même.
En effet, à trop flatter les mauvais instincts de notre société, loin de rallier les Morin et autres Villepin, il pourrait perdre ce qui lui reste encore d’électorat au centre droit, et franchir alors le point de non retour en termes d’opinions défavorables. Tous les barons de la droite – notamment les députés – affolés d’avoir leur propre avenirindexé sur le cours du Sarkozy, seraient alors à l’automne enclins à miser sur un moins mauvais cheval (Fillon ? Juppé ?…). Il serait illusoire de penser que le statut de président protège outre mesure l’hôte actuel de l’Élysée. Dans les partis traditionnels, on lèche, on lâche, on lynche…

Manoeuvre risquée ensuite pour notre pays.
Car qualifier « Miss Le Pen » – non par surprise comme son père en 2002, mais à fort étiage pleinement assumé par le corps électoral – n’en ferait pas une adversaire commode. Qui peut prédire ce que serait, dès lors, le résultat d’un tête à tête mortifère entre Le Pen et Sarkozy ? Surtout si la première couple sa dynamique avec une mue du FN en une organisation davantage « présentable » (comme le fit avec succès Gianfranco Fini en Italie, en accommodant les restes fascistes du MSI), et si le second, usé jusqu’à la corde, a déjà largement endossé le costume d’un petit Le Pen. Serait-il aussi aisé qu’en 2002 de trouver des « accents citoyens »pour motiver les masses à « faire barrage » (à qui ? à quoi ?…) ? La France s’inventerait alors un de ces drames psycho-politiques tel que son Histoire lui en propose deux ou trois fois par siècle.

Perdu pour perdu, qui peut dire si un Sarkozy est de nature à hésiter entre la certitude d’une défaite dans une joute classique, et une improbable victoire dans un scénario obscène ? Jusqu’où est-on prêt à aller quand on est, comme lui, accro aux ors bling bling de la fonction ? Quand le soleil de la démocratie est bas, l’ombre porte loin. Et certains ont alors l’illusion d’être grands.

 

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