C’est cette semaine que le Collège des Commissaires européens sera probablement amené à se prononcer sur l’ouverture éventuelle d’une procédure d’infraction dans le cadre du projet de Sivens.
En fait, l’Europe a non pas une raison (l’eau, comme on l’entend dans les médias), mais cinq raisons possibles pour intervenir sur ce dossier :
- Le non respect de la Directive Cadre Eau qui impose à la puissance publique d’agir non pas simplement sur la quantité d’eau disponible, mais également sur sa qualité (et à ce titre une zone humide a une valeur intrinsèque) ;
- Le non respect de la Directive Habitat qui enjoint aux autorités de protéger les milieux naturels des espèces fragiles ou menacées (et dans le cas de Sivens, il n’y en avait pas une ou deux, mais plus de 90 et l’on sait l’avis négatif des deux collèges scientifiques sur les mesures dites compensatoires) ;
- Sur le conflit d’intérêt entre l’organisme qui propose le chantier, celui qui le décide et celui qui l’exécute. Ce conflit d’intérêt interpelle d’autant plus la Commission quand de l’argent européen est en jeu.
- Sur le non respect des critères d’utilisation des fonds structurels européens, notamment sur l’usage du FEADER pour l’extension d’un périmètre d’irrigation, en sachant que le taux d’intervention public est plafonné par cette extension des surfaces irriguées (explicitement décrite dans le dossier d’enquête publique) ;
- Sur le non respect des délais d’utilisation des reliquats de fonds européens de la période 2007/2013 (ceux qui apparaissent dans le montage financier) qui imposent que tous les travaux soient terminés en juin prochain (alors que les travaux de décapage et d’empierrage sont très longs et d’autant plus complexes qu’il est impossible à des engins de chantier d’intervenir dans le marécage d’une zone humide durant la mauvaise saison).
La délégation d’élu-es reçue par le Président du Conseil Général du Tarn le 15 septembre lui avait rappelé tout cela. ( http://www.ladepeche.fr/article/2014/09/16/1952562-argent-europe-projet-pourrait-etre-revu.html )
Notons que la mobilisation sur place, à elle seule et dans des conditions hélas dramatiques, pour avoir conduit à l’arrêt du chantier, nous donne déjà quasiment gain de cause sur le 5ème point. Il ne devrait donc pas y avoir d’argent européen, avec ou sans ouverture d’une procédure à Bruxelles.
Rappelons que sur l’ensemble de ces points, et sur la base d’argumentaires montés en étroite coordination avec les responsables du collectif pour la défense de la zone humide du Testet, les élus écologistes de tous niveau sont intervenus officiellement par écrit et par oral depuis le début du dossier, du niveau européen (questions parlementaires sur certains points) jusqu’au niveau régional (sur l’ensemble des points, notamment face aux services de l’État, des Préfectures et des Conseils Généraux en Comité Régional Unique de Programmation des Fonds Européens, que la Région co-préside avec l’État, mais aussi au Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel par exemple…).
Ainsi l’État savait. Dans ce dossier il risque désormais la double peine : non seulement la perte du financement européen, mais la condamnation à une amende par la Cour de Justice de Luxembourg. Dès lors, on comprend mieux la demande conjointe des élus régionaux et des parlementaires nationaux écologistes de réécrire la loi sur la déclaration d’utilité publique, en commençant par imposer un contrôle de conformité du droit européen en amont de chaque projet (et non pas quand les bulldozers sont passés).
Attention cependant : la perte des financements européens serait un coup dur porté aux promoteurs du barrage, mais pas forcément un coup fatal. En effet, ceux-ci admettant désormais que cet ouvrage a été sur dimensionné, ils pourraient être tentés de se passer d’un quart de leur budget (l’argent européen) pour réaliser quand même un barrage « un quart moins cher », mais au même endroit sans changer en rien leur logique productiviste. Ils peuvent aussi, au nom de ce qu’ils appellent « l’intérêt général » tenter d’aller chercher l’argent ailleurs…
La mobilisation ne doit donc pas faiblir !
Enfin et surtout, n’oublions pas que si la Commission européenne, interpellée depuis trois ans, se « réveille » maintenant, c’est bien parce que l’opposition sur le terrain depuis trois mois a été particulièrement intense et a attiré les regards de tout le monde – y compris celui de Bruxelles – sur ce coin perdu du Tarn. Que chacun mesure bien – en toute modestie – tout ce que l’on doit, encore une fois, à celles et ceux qui, face au danger que l’on sait, ont « tenu » chaque mètre carré de forêt.
On voit ici que les mobilisations citoyennes, les actions des éluEs à chaque niveau (du municipal à l’Européen), l’action aussi des partis politiques impliqués dans la lutte peuvent concourir à faire bouger les lignes. Sur ce type de mobilisation, il est évident que sans les premiers (les citoyens mobilisés), les autres ont des moyens d’action qui restent limités quand se déroule le rouleau compresseur de ceux qui se disent les tenants de la parole majoritaire et de l’Etat de droit.
Mais dans tous les cas, tout cela ne valait pas la mort d’un homme…
Guillaume CROS
Président du groupe EELV
Conseil Régional de Midi-Pyrénées