Il faut tirer les leçons de Sivens, pour que tout cela n’arrive plus.
13 NOVEMBRE 2014 | PAR Guillaume CROS
Réponse au Président de l’association des maires et des élus du Tarn appelant à manifester pour le barrage de Sivens
Non Monsieur le Président de l’association des maires et des élu-es du Tarn, les élu-es responsables n’iront pas à la manifestation le 15 novembre à Albi.
Ce qui se passe à Sivens dépasse Sivens. On peut le regretter ou s’en féliciter mais c’est un fait : quelle que soit la sortie, que je souhaite par le haut, il n’y aura ni vainqueur, ni vaincu.
D’abord parce que il y a eu un mort. Oui un mort. Et qu’on n’accuse pas les écologistes d’instrumentalisation. Rémi n’aurait jamais dû mourir à Sivens. Pas parce que c’est « stupide » mais parce qu ‘un barrage, une infrastructure quelle que soit sa dimension, son impact, ne justifie jamais la mort d’un jeune ou d’un moins jeune, d’un militant ou d’un policier… Par contre la mort de Rémi nous oblige à la dignité, à la décence et au respect. Monsieur le Président, comment pourrions-nous assumer, nous, élus de ce territoire, qu’un barrage soit construit à l’endroit même où un jeune homme s’est effondré victime d’une grenade offensive. Ce n’est éthiquement, symboliquement, intellectuellement pas envisageable.
Monsieur le Président, être un élu responsable c’est accepter de faire des erreurs, c’est reconnaitre qu’on peut faire des erreurs. Oui ce barrage est un mauvais projet. C’est du gaspillage d’argent public puisqu’il a été montré qu’il était surdimensionné par rapport aux besoins actuels de la vallée. En disant cela, je ne nie pas la nécessité de mieux gérer l’eau dans cette vallée y compris en construisant des retenues d’eau. Mais quand des experts remettent en cause les éléments présents dans l’enquête publique, montrent que des erreurs, oublis, inexactitudes entachent l’ensemble du dossier, ce n’est ni un aveu de faiblesse, ni déshonorant que de dire STOP. Non monsieur le Président, on ne peut pas se cacher derrière la légalité de la procédure puisque des experts du ministère de l’environnement ont montré que la procédure n’avait pas été respectée. Dans le Tarn il y a pourtant un précédent. A croire que nous n’avons rien appris du barrage de Fourogue construit dans l’illégalité, au nom de « l’État de droit ».
Nous sommes dans un monde qui évolue. Les modes de mobilisation changent. Les critiques envers les élus – la plupart du temps excessives puisque la grande majorité d’entre nous travaille pour l’intérêt général – se cristallisent sur le manque d’écoute et la déconnexion avec ce que vivent nos concitoyen-nes. La méfiance envers la classe politique entraine abstention et votes extrêmes. Votre appel à manifester samedi ne fait qu’accentuer ce sentiment d’une classe politique acculée qui resserre les rangs pour mieux se protéger.
Au nom de ce que vous appelez l’État de droit, vous justifiez le fait que les décisions des élu-es ne pourraient en aucun cas être remises en question… Je reste persuadé que pour qu’une décision légale devienne légitime elle doit être partagée. Les temps ont changé, les citoyens sont hyper informés, les communications se développent, les informations circulent vites… c’est une bonne chose et tout cela correspond à une forme de contrôle démocratique qui doit modifier les vieilles pratiques des élu-es dans l’élaboration des politiques construites trop souvent de façon technocratique et parfois hors sol. Sachons, nous les élu-es, profiter de ce merveilleux souffle démocratique. N’ayons pas peur de l’expertise citoyenne, acceptons d’être remis en cause, partageons nos doutes et ensuite, oui décidons car nous avons été élu-es pour ça. Vous le savez, à Sivens, rien de tout cela n’a été fait. L’expertise citoyenne remarquable du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet n’a jamais été reconnue et entendue.
Oui, c’est une autre façon de faire de la politique mais c’est la seule solution pour légitimer nos décisions car nous aurons enfin su les faire partager. C’est la seule solution pour que les citoyen-nes reviennent aux urnes et s’éloignent des votes extrêmes simplistes et dangereux.
Monsieur le Président, ces formes de mobilisation citoyenne, déjà expérimentées sur le Larzac dans les années 70 et qui consistent à occuper des « zones à défendre » de façon pacifique sont appelées à se développer. Les occupants sont des lanceurs d’alerte et protègent des lieux considérés comme agressés. Ils sont profondément écologistes et pacifistes. Une mobilisation de ce type ne se fait pas à la légère. C’est toujours pour des raisons valables. S’il y avait eu des « zadistes » à Fourogue, le barrage illégal n’aurait pas été construit. La société bouge. Les modes de mobilisation aussi. Les « zadistes » ne sont pas les marginaux anarchistes que certain-es décrivent. Ils sont jeunes ou moins jeunes, diplômés ou pas, étudiants, salariés, artisans, sans travail… profondément écologistes, même si pas toujours politisés mais avec des convictions ancrées au corps. Y répondre par le mépris ou pire par la violence ne fait qu’accentuer ce sentiment d’une classe politique hors sol, sur la défensive, incapable d’être à l’écoute.
Sivens pose aussi la question des modalités qui permettent de déclarer un projet d’utilité publique ou d’intérêt général. Il faut les modifier pour accélérer les procédures, pour permettre de tenir compte de l’expertise citoyenne, pour séparer le propositionnel du décisionnel, pour étudier sérieusement les alternatives… Sivens doit permettre de faire évoluer la législation dans ce domaine comme dans celui de l’utilisation d’armes de guerre lors de manifestations citoyennes.
Il faut tirer les leçons de Sivens, pour que tout cela n’arrive plus.
Oui Monsieur le Président, il y a eu un passage en force sur ce projet. La montée continue de la violence que j’ai pu constater et que j’ai même subi n’est pas acceptable. Elle a abouti à la mort de Rémi Fraisse, personne ne peut le contester. La justice doit faire son travail sereinement.
Maintenant, les acteurs du dossier doivent pouvoir travailler ensemble pour répondre aux réels besoins en eau de la vallée. Je l’ai déjà dit, il n’y aura ni vainqueurs, ni vaincus. Il ne restera que des femmes et des hommes meurtris par la mort d’un jeune homme. Mais les politiques que nous sommes doivent tout faire, à partir de la situation actuelle, pour faciliter le dialogue, pour mettre de l’huile dans les rouages, pour faciliter les prises de décision acceptables, pour aboutir au compromis. Mais pas appeler à manifester samedi.
Guillaume Cros
Président de groupe EELV
Conseil Régional de Midi-Pyrénées